Dinar algérien : les six raisons de la faiblesse de la cotation sur le marché parallèle

Attention aux analyses statiques irréfléchies. Ne jouons pas avec la monnaie, car chaque option a des incidences stratégiques sur toute la politique socioéconomique. Actuellement, un débat est en cours concernant la réévaluation et la convertibilité totale du dinar, et d’autres sur la dévaluation du dinar qui serait surévalué. Pourquoi la valeur du dinar est-elle si insignifiante (106,42 pour un euro et 83,41pour un dollar), selon le cours du Forex1, en date du 18 octobre 2014, cours officiel. Sur le marché parallèle, contrairement aux pays voisins où l’écart est faible, en Algérie, les réseaux parallèles, avec un écart qui est passé de 140 DA un euro fin 2013 à 153 et 16O DA un euro, entre juillet-octobre 2014, les devises se vendent et s’achètent sur la place publique sans aucune intervention bancaire. Je ne pense pas, contrairement aux affirmations récentes de l’ex-délégué de l’ABEF, qu’une allocation de devises touristique de 1 000 dollars par personne et par an (750 euros) permettrait de réduire l’écart, permettant à peine de payer une chambre d’hôtel très moyenne pendant six jours. En fait, il faut recadrer le débat en s’attaquant à l’essence et non aux apparences. Tout cela renvoie à la nature de l’économie rentière et à la faiblesse d’un tissu productif local. La rente des hydrocarbures donnant une cotation officielle artificielle.
1- Les six raisons de la dévaluation du dinar sur le marché parallèle
Le marché parallèle joue comme un assouplisseur d’un contrôle de change trop rigide. Bien que les données soient souvent contradictoires, certaines sources estiment à environ deux à trois milliards de dollars les montants échangés annuellement sur le marché parallèle algérien entre 2009 et 2012. Le montant est extrêmement faible en comparaison avec les sorties de devises. Pour preuve, en 2013, plus de 55 milliards de dollars de biens, auxquels il faut ajouter 12 milliards de dollars de services, donc un total de 67 milliards ont quitté le pays. Je recense six raisons essentielles de cet écart entre les cours officiels et ceux du marché parallèle.
Premièrement : l’écart s’explique par la diminution de l’offre, du fait que la crise mondiale, combinée au décès de nombreux retraités algériens, a largement épongé l’épargne de l’émigration. Cette baisse de l’offre en devises a été contrebalancée par les fortunes acquises régulièrement ou irrégulièrement par la communauté algérienne, localement et à l’étranger, qui fait transiter irrégulièrement ou régulièrement des devises en Algérie. La reconvention de l’argent de la corruption, jouant sur la distorsion du taux de change en référence à l’officiel (vous me facturez 120/130 au lieu de 100, avec la complicité des fournisseurs, opérations plus faciles et plus rapides dans le commerce) montre clairement que le marché parallèle de devises est bien plus important que l’épargne de l’émigration, permettant des achats immobiliers à l’étranger. Cette corruption à travers les surfacturations confirme les données d’un site électronique en date du 27 avril 2014 qui note que pour la seule année 2013, plus d’un millier d’appartements ont été achetés par des Algériens non résidents dans la ville espagnole de Valence. Si on compte une moyenne de 100 000 euros par appartement, ce sont plus de 100 millions d’euros que les Algériens ont dépensés dans cette seule ville. Un chiffre auquel il faudra additionner les autres villes espagnoles, mais aussi françaises (les Algériens sont dans le quatuor de tête des acquéreurs immobiliers à Paris et sa région où l’immobilier est l’un des plus chers au monde). Aussi, on peut estimer à plusieurs milliards de dollars cumulés durant ces cinq dernières années les sommes dépensées par les Algériens pour acheter des biens à l’étranger. Cela explique également en Algérie la flambée des prix, notamment dans les grandes agglomérations, et ce, même en zone semi-urbaine, ces placements dans l’immobilier étant une valeur refuge contre la dépréciation du dinar. Ces montants fonctionnant comme des vases communicants entre l’étranger et l’Algérie renforcent l’offre. Il existe donc un lien dialectique entre ces sorties de devises dues à des surfacturations et l’offre, sinon cette dernière serait fortement réduite, et le cours sur le marché parallèle de devises serait plus élevé, jouant paradoxalement comme amortisseur pour la chute du dinar sur le marché parallèle.
Deuxièmement : la demande provient de simples citoyens qui voyagent : touristes, ceux qui se soignent à l’étranger et les hadjis du fait de la faiblesse de l’allocation devises dérisoire. Etant conscient que les investisseurs tant étrangers que locaux se méfient d’une monnaie administrée stable, mais faible, il faut être prudent, d’où le besoin d’un débat national sans passion. En réalité, ce sont les agences de voyages qui, à défaut de bénéficier du droit au change, recourent aux devises du marché noir, étant importatrices de services. Majoritairement, elles exportent des devises au lieu d’en importer comme le voudrait la logique touristique, comme en Turquie, au Maroc ou en Tunisie.
Troisièmement : la forte demande provient de la sphère informelle qui contrôle 40% de la masse monétaire en circulation (avec une concentration au profit d’une minorité rentière) et 65% des segments de différents marchés : fruits et légumes, viande rouge/blanche, poisson et, à travers l’importation en utilisant de petits revendeurs, le textile-cuir. Car il existe une intermédiation financière informelle loin des circuits étatiques. Au niveau de cette sphère qui est le produit de la bureaucratie, tout se traite en cash, favorisant des liens dialectiques avec certains segments rentiers du pouvoir et donc la corruption. L’Union nationale des commerçants algériens estime l’évasion fiscale due à cette sphère d’environ 3 milliards de dollars par an. En fait, l’essence de cette situation réside dans les dysfonctionnements des différentes structures de l’Etat, du fait de l’interventionnisme excessif de ce dernier qui fausse les règles du marché, ce qui contraint les ménages et les opérateurs à contourner les lois et les règlements. Ainsi, lorsque les autorités publiques taxent (fiscalité excessive) et réglementent à outrance ou en déclarant illégales les activités du libre marché, elles biaisent les relations normales entre acheteurs et vendeurs. En réaction, les acheteurs et les vendeurs cherchent naturellement les moyens de contourner les embûches imposées par les gouvernements. Lorsqu’un gouvernement veut imposer des règles et des lois qui ne correspondent pas à l’état réel de la société, cette dernière enfante ses propres lois lui permettant de fonctionner. Le fondement d’un contrat doit reposer sur la confiance. Au niveau de la sphère informelle, il existe des contrats informels plus crédibles que ceux de l’Etat, car reposant sur la confiance entre l’offreur et le demandeur. Qu’on visite l’Algérie profonde et on verra des milliers de contrats établis par des notables crédibles au niveau de différentes régions du pays, en présence de témoins. Devant le fait accompli, l’Etat officiel a souvent régularisé ces contrats (notamment dans le domaine du foncier et de l’immobilier). L’Etat doit se cantonner dans son rôle de régulateur stratégique et non fausser les règles de la libre concurrence. Dans les pays à économie administrée, on délivre des autorisations (comme, autrefois, les licences d’importation, que certains nostalgiques voudraient rétablir) qui permettent à ceux qui ont des relations de les vendre, mais au cours du marché, s’alignant sur les cours du marché parallèle donnant à ces personnes ayant des relations des rentes sans contreparties productives.
Quatrièmement : l’écart s’explique par le passage de la Remdoc au Crédoc, crédit documentaire (expliquant les mesures d’assouplissement) en 2013, ce qui a largement pénalisé les petites et moyennes entreprises représentant plus de 90% du tissu industriel en déclin (5% du PIB). Le Crédoc n’a pas permis de juguler, comme cela était prévu, la hausse des importations, mais a renforcé les tendances des monopoles importateurs, où, selon l’officiel, 83% du tissu économique global est constitué du commerce et de petits services à faible valeur ajoutée. Nombreuses sont les PME/PMI, pour éviter les ruptures d’approvisionnement, qui ont dû recourir au marché parallèle de devises. Le gouvernement a, certes, relevé à 4 millions de dinars (cours officiel 1 euro pour environ 100 DA) la possibilité du recours au paiement libre pour les importations urgentes de matières premières ou de pièces de rechange, mais cela reste insuffisant. Par ailleurs, beaucoup d’opérateurs étrangers utilisent le marché parallèle pour le transfert de devises, puisque chaque Algérien a droit à 7 200 euros par voyage transféré, utilisant leurs employés algériens pour augmenter le montant.
Cinquièmement : l’Etat dérape (la Banque d’Algérie parle de glissement) le dinar pour voiler l’importance du déficit budgétaire, biaisant les comptes publics. On a vu par le passé que lorsque le cours du dollar baissait et le cours de l’euro haussait, la Banque d’Algérie dévaluait pour des raisons politiques à la fois le dinar par rapport tant au dollar que de l’euro alors que le dinar, dans une véritable économie de marché, devrait s’apprécier par rapport au dollar. Pourquoi cet artifice comptable ? La raison essentielle est qu’en dévaluant le dinar par rapport au dollar, nous aurons une augmentation artificielle de la fiscalité des hydrocarbures, qui fluctuent en fonction des cours, entre 60 et 70% du total, fondement d’une économie rentière. Car les recettes des hydrocarbures sont reconverties en dinars, passant, par exemple, de 75 DA un dollar entre 2008- 2010 à 79 dinars un dollar loi de finances 2O14-2O15. Idem pour les importations libellées en monnaie étrangère, les taxes douanières se calculant sur la partie en dinars, cette dévaluation accélérant l’inflation intérieure. Tout cela voile l’efficacité réelle du budget de l’Etat à travers la dépense publique, et gonfle artificiellement le fonds de régulation des recettes calculé en dinars. L’inflation étant la résultante, cela renforce la défiance vis-à-vis du dinar où le cours officiel se trouve déconnecté par rapport au cours du marché parallèle traduisant le cours du marché.
Sixièmement : l’écart s’explique par le niveau d’inflation qui ne peut être compris qu’en analysant d’abord la productivité du travail et les liens dialectiques entre le développement, la répartition du revenu et le modèle de consommation par couche sociale. Celui qui perçoit 200 euros par mois n’a pas la même perception de l’inflation que celui qui perçoit 30 000 euros. La non-proportionnalité entre la dépense publique programmée à 500 milliards de dollars entre 2004 et 2013 (aucun bilan physico-financier à ce jour) et le faible impact, le taux de croissance moyen n’ayant pas dépassé 3% (il aurait dû dépasser les 10%), est source d’inflation et explique la détérioration de la cotation du dinar sur le marché libre par rapport aux devises que la Banque d’Algérie soutient artificiellement grâce aux recettes d’hydrocarbures. La faiblesse de la productivité du travail renforcée par le versement de salaires sans contrepartie productive accroît l’inflation et l’importation, du fait que l’Algérie a une capacité productive très faible que l’on comprime par les subventions et les transferts sociaux, plus de 60 milliards de dollars en 2014 soit 28% du PIB sinon le taux d’inflation approcherait 10%. Selon un rapport de l’OCDE, la productivité du travail en Algérie est une des plus faibles dans le Bassin méditerranéen. Pour se prémunir contre l’inflation, et, donc, la détérioration du dinar, l’Algérien ne place pas seulement ses actifs dans le foncier, l’immobilier ou l’or, mais une partie de l’épargne est placée dans les devises. C’est un choix de sécurité dans un pays, où l’évolution des prix pétroliers est décisive. S’il n’y avait pas de pétrole et de gaz et les réserves de change, l’euro s’échangerait à 300 ou 400 DA. C’est grâce aux réserves de change que le taux de change officiel fluctue en 2012-2014 entre 105 et 110 DA l’euro. Face à l’incertitude politique et la psychose créée par les scandales financiers, beaucoup de responsables et ménages achètent à l’étranger, se mettant dans la perspective d’une chute des revenus pétroliers, et vu les fluctuations erratiques des cours d’or, à la baisse depuis 2013, ils achètent les devises.
2- Eviter les fausses solutions
L’économie algérienne étant une économie fondamentalement rentière, cela contredit les lois élémentaires de l’économie où toute dévaluation en principe devrait dynamiser les exportations. En Algérie, le dérapage du dinar au lieu de dynamiser les exportations hors hydrocarbures a produit l’effet contraire, montrant que le blocage est d’ordre systémique. La valeur réelle de la monnaie, rapport social, n’est qu’un signe, un moyen d’échange (les tribus d’Australie utilisaient les barres de sel comme monnaie d’échange). Nous sommes passés successivement de la monnaie métallique aux billets de banque, puis aux chèques et ensuite à la monnaie électronique. Thésauriser ne crée pas de valeur. C’est le travail par l’innovation continue, d’où l’importance en ce XXIe siècle de l’économie de la connaissance, s’adaptant à ce monde interdépendant, turbulent et en perpétuel bouleversement qui est source de richesse d’une nation. La valeur de la monnaie dépend de la confiance, de la production et de la productivité, comme nous l’ont montré les analyses des classiques de l’économie sur la valeur. Si la convertibilité totale à court terme, avec l’importance des réserves de change algériennes (194 milliards de dollars au 31 décembre 2013 sans les 173 tonnes de réserves d’or) permettrait de réduire le marché parallèle et redonner confiance en la monnaie, le risque à terme est que toute réévaluation et convertibilité intégrale entraîneraient une fuite massive de capitaux. L’économie du pays étant dépendante des hydrocarbures à 98% pour les exportations et 70/75% d’importations pour les besoins des ménages et des entreprises publiques et privées avec un taux d’intégration ne dépassant pas 15%, une réévaluation de la monnaie générerait inévitablement une tension inflationniste tirant à la hausse des importations par la consommation interne, propulsée, elle aussi, par l’amélioration d’un pouvoir d’achat fictif, puisque dépendant à 70% de la rente des hydrocarbures. Les subventions et la distorsion du taux de change entre le cours officiel et celui du marché parallèle avec les pays voisins sont les explications fondamentales des surfacturations en Algérie. Cette distorsion avec les cotations des monnaies de pays voisins explique également les fuites de produits hors des frontières. Les mesures administratives ne peuvent qu’être ponctuelles, sinon il faudrait une armée de contrôleurs. La solution réside en une nouvelle gouvernance, de nouveaux mécanismes de régulation conditionnant la dynamisation de la production locale dans des segments à valeur ajoutée au sein de filières internationalisées ainsi que des mécanismes de contrôle démocratiques reposant sur une plus grande moralité de ceux qui dirigent la cité, ne combattant pas la corruption uniquement par des textes de loi. Cela rend urgent l’approfondissement de la réforme globale, notamment réhabiliter l’entreprise et son fondement le savoir, la réforme du système financier de distribution de la rente, inséré aux réseaux internationaux, actuellement de simples guichets administratifs, où les banques publiques contrôlent en 2013-2014 plus de 90% du crédit octroyé, les banques privées malgré leur nombre étant marginales. Comme j’ai eu à l’affirmer dans une interview à une télévision internationale à Paris le 18 avril 2014, je propose un assouplissement de la loi sur la monnaie et le crédit, ce qui permettrait qu’une fraction des réserves de change (20/25% du total, soit environ 40/45 milliards de dollars dont 86% sont placées à l’étranger à un taux d’intérêt très faible posant la problématique de leur rentabilité) soit consacrée à la création d’un fonds souverain. Ainsi, des entreprises algériennes à l’instar des grands groupes internationaux investiront à travers le monde (regardez ce que fait un petit pays comme le Qatar, un grand pays comme la Chine), ce qu’interdit actuellement la loi sur la monnaie et le crédit en Algérie. Ce fonds souverain doit rentrer dans le cadre d’une stratégie hors hydrocarbures, d’une adaptation au processus irréversible de la mondialisation, grâce à une balance devises, technologique et managériale, positive pour l’Algérie. Afin qu’il soit rentable dans le temps, ce fonds est conditionné, grâce à l’apprentissage international, par l’émergence de bureaux d’engineering complexes nationaux, où cohabiteront des experts de différentes spécialités (algériens et étrangers), économistes, financiers, sociologues, psychologues et ingénieurs et où des compétences existent, mais sont éparpillées. Il s’agit d’un montage de la ressource humaine comme fait le Qatar. Cela permettra d’avoir d’autres marchés en Algérie en partenariat et notamment en direction du Maghreb, pont entre l’Europe et l’Afrique, continent d’avenir et à enjeux multiples, où l’Algérie peut avoir des avantages comparatifs. Ce sont les conditions pour améliorer la cotation du dinar, les taxes douanières et les subventions étant transitoires, avec un cahier des charges précis pour les bénéficiaires de cette rente. L’Algérie avec l’amenuisement de ses recettes d’hydrocarbures entre 2015 et 2020 peut-elle continuer à généraliser ces taux d’intérêt bonifiés au profit de jeunes dont la majorité n’a pas la capacité d’être entrepreneurs et qui ne pourront pas rembourser même le principal ? Un bilan des avantages et des résultats des bénéficiaires des différentes agences d’investissement (exonération TVA, taux d’intérêt bonifiés) devient urgent afin d’éviter de dépenser sans compter pour une paix sociale fictive grâce, toujours, à une rente des hydrocarbures éphémère, laquelle, si elle est bien utilisée, devient une bénédiction, mais mal utilisée, elle est, par contre, une malédiction, source de corruption et de gaspillage. C’est que l’Algérie est en transition depuis 1986, ni économie de marché ni économie administrée, ce qui explique les difficultés de régulation politique, sociale, économique et financière, et, par là la transition d’une économie de rente à une économie hors hydrocarbures, fonction elle-même d’une transition énergétique dans le cadre d’avantages comparatifs mondiaux.
Dr Abderrahmane Mebtoul, professeur des universités, expert international
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