Interview – Gentiane Piovanacci : «Il faut changer la vision qu’ont certains Occidentaux des Algériens»

Algeriepatriotique: Vous préparez une émission pour la télévision algérienne intitulée «Algériens du monde». Pouvez-vous nous en parler ?

Algeriepatriotique: Vous préparez une émission pour la télévision algérienne intitulée «Algériens du monde». Pouvez-vous nous en parler ?
Gentiane Piovanacci : Il s’agit d’une émission de divertissement mensuelle visant à mettre en avant la diaspora algérienne dans le monde à travers sa créativité artistique et ses réussites sportives, scientifiques, associatives et entrepreneuriales. C’est un nouveau concept qui prend la forme d’un dîner-spectacle où sont invitées les personnalités en lien avec l’Algérie d’un territoire. Le premier plateau aura lieu prochainement à Marseille. Tous les styles musicaux seront représentés : arabo-andalou, rap, raï, arabian rock, notamment avec le groupe marseillais Temenik Electric dont le premier album, Ouech Hada,a été élu Album Top of the World en 2013 au Royaume-Uni. Nous aurons aussi des interventions d’humoristes marseillais d’origine algérienne. Les shows seront entrecoupés de portraits et de clins d’œil de personnalités dans d’autres domaines.
Vous donnez un chiffre très important, celui de 400 000 Algériens parmi les cinq millions résidant en France qui occupent des fonctions de cadres supérieurs. Pourquoi ces Algériens sont-ils occultés par les médias français qui ne parlent d’Algériens que si ces derniers sont accusés de vandalisme ou vus comme de présumés terroristes ?
Pour répondre à cette question, je ne peux que donner mon ressenti, car aucune raison ne serait valable ni rationnelle. Il me semble que le processus d’intégration à la française par assimilation, en occultant les différences, a abouti à l’acceptation des réussites que l’on qualifie de réussites «françaises». Zinedine Zidane est le plus grand joueur français de football. Tout le monde semble être d’accord avec ça. Et pour le coup, quand un grand scientifique s’exprime à la télévision, les médias ne mettent pas nécessairement en avant ses origines. En revanche, et cela semble encore plus apparent en période de crise, quand les journalistes – souvent en quête de sensationnalisme et de sujets-chocs – trouvent un délinquant ou un terroriste, il se pourrait que ce soit plus facilement acceptable par l’opinion publique française que ce ne soit pas réellement un des leurs… Une manière de trouver des boucs émissaires ou de diviser pour mieux régner. Ce phénomène n’est pas seulement français, il existe un peu partout sur terre. Sans compter le fait – peut-être – qu’un nombre de «Français» (je mets des guillemets, car nombreux sont d’origines étrangères, italienne, espagnole, etc.) n’ont toujours pas digéré la perte de l’Algérie, en particulier.
Vous dites, à travers cette émission, vouloir rétablir «la vérité» sur une communauté dynamique et mettre en avant des modèles de réussites dans tous les domaines. Pensez-vous que cela pourrait changer la vision qu’ont certains Occidentaux des Algériens souvent assimilés à la violence, au terrorisme, etc. ?
J’espère sincèrement que cette modeste émission pourra changer la vision qu’ont certains Occidentaux des Algériens. Mais cette émission, à elle seule, ne peut contrecarrer ce que j’appelle les «médias d’information permanente». Il faudrait que les actions positives, comme cette émission, soient visibles et relayées de façon régulière au grand public, que les artistes et les intellectuels investissent les plateaux mass media, comme certains chanteurs de raï l’ont fait auparavant avec beaucoup de succès. Il y a une vraie dichotomie en France par rapport à la vision que les gens ont des Français d’origine algérienne. Pas un mariage français ne se passe sans une chanson de Khaled, le couscous est le plat préféré des Français, mais beaucoup de Français digèrent mal les drapeaux algériens dans les mariages et les stades de foot. Personnellement, je ne vois pas où est le problème. Nous, les Corses, nous arborons aussi fièrement notre drapeau et cela ne pose de problème à personne alors qu’il a existé un terrorisme corse d’indépendance. Nous ne faisons qu’une émission de divertissement, une émission positive. Cela fait du bien par les temps difficiles en termes économiques que traverse la France. Mais cette émission – qui est en préparation, car nous cherchons encore des sponsors – ne fait déjà pas l’unanimité du côté français, car on nous taxe de communautaristes.
Vous parlez de reconnexion de cette importante communauté avec son pays d’origine. Les aspects matériels sont-ils le seul frein à leur retour, selon les témoignages que vous avez recueillis ? Y a-t-il d’autres raisons ?
Nous espérons que cette émission permettra une reconnexion des Algériens à leur pays d’origine dont certains semblent s’être déconnectés. Je ne peux parler que de mes rencontres personnelles et je ne dispose pas de chiffres quantifiés permettant d’en faire une généralité. Personnellement, j’aime beaucoup l’Algérie et je me suis sentie plus en sécurité à Alger et Oran que dans ma ville Marseille. Il me semble que certains Franco-Algériens sont moins attachés à leurs racines afin (peut-être le pensent-ils) d’être mieux «intégrés» et acceptés par leurs concitoyens «français» (je me plais à mettre des guillemets, car, à Marseille, je connais peu de gens qui soient de purs Provençaux ou gaulois). C’est une erreur, me semble-t-il, car je conçois la diversité culturelle comme une richesse, et je suis convaincue qu’il faut savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va.
Une autre partie semble s’être lassée des vacances au bled quand ils vont depuis des années au village familial et n’ont pas la curiosité d’esprit de découvrir d’autres villes. J’ai envie de leur dire, l’Algérie ce n’est pas un village ! C’est quatre ou cinq fois la France avec d’incommensurables richesses naturelles, historiques et culturelles.
Notre action est ambitieuse et gagnerait à être soutenue par les ministères algériens du Tourisme et de la Culture, car nous sommes convaincus du potentiel touristique et culturel de ce grand pays, mais il semblerait qu’il y ait un déficit de communication ou de promotion de ces domaines en particulier. En France, il n’y a pas eu de véritable écho de Constantine, capitale de la culture arabe, alors qu’en Algérie vous avez sans doute entendu parler de Marseille, capitale européenne de la culture en 2013… Il manque certainement une institution représentative en termes de marketing et de communication en France sur le plan touristique et culturel, comme cela existe pour d’autres pays. Il est encore temps, et l’émission «Algériens du monde» se propose d’être la vitrine des talents et de la culture algériens dans le monde dans les deux sens. Cette émission ne vise pas seulement le public algérien, car la chaîne Canal Algérie est visible dans le monde entier et nous entendons, bien évidemment, inviter tous les médias des territoires où nous allons tourner, à découvrir ce programme. Une chose est sûre : ça va faire du bruit !
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi

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