Lancement de la 4G en Algérie : des experts mettent en garde contre toute précipitation

«Ce n’est pas parce que le pays accuse un grand retard en matière de TIC qu’il faut faire n’importe quoi», alertent des experts sollicités par Algeriepatriotique.Nos sources soulèvent une série de problèmes qui risquent de survenir dans le cas où le passage à la 4G n’est pas précédé par d’autres ouvertures, notamment dans le domaine du téléphone fixe, et mettent en avant de graves risques liés à la sécurité nationale. Les pouvoirs publics ont-ils réfléchi aux conséquences d’une telle action ? se demandent ces experts qui s’accordent sur le fait de l’existence d’un réel problème de stratégie et de vision. «Quel que soit l'opérateur étranger entre les mains duquel sera mise cette technologie, cela revient à mettre en péril la protection des données. L'Etat mettrait, dès lors, en danger tout le pays dans ce contexte marqué par des tentatives multiples et sérieuses de porter atteinte à l'intégrité territoriale de l'Algérie.» Selon eux, des priorités stratégiques s’imposent, insistant sur deux points importants qui sont le développement d’infrastructures terrestres et d’acteurs locaux, pour la gestion du réseau d’information du pays.
Toutes les conditions ont été créées pour bloquer le développement du secteur
Pour quelle raison l’Etat algérien a-t-il bloqué, durant toutes ces années, les entreprises algériennes qui se sont aventurées dans le domaine des TIC, pour venir aujourd’hui l’ouvrir à des sociétés étrangères ? Une question que se posent ces experts très au fait du dossier relatif aux télécommunications, soulevant un autre problème, celui de la politique d’exclusion qui a poussé la quasi-totalité des fournisseurs d’accès à internet à mettre la clé sous le paillasson. En effet, les acteurs algériens qui promettaient la spécialisation dans le domaine, lesquels étaient au nombre de 97, ont vu leurs investissements bloqués et les décrets d’ouverture du secteur avec. Aujourd’hui, nous comptons dix ISP, dont trois qui sont actifs. Le reste des ISP ont vu leur autorisation retirée et leur business model cassé par l’ancienne responsable de l’ARPT, Mme Derdouri, en violation des textes réglementaires régissant le secteur des TIC au profit de l’opérateur historique. A ce jour, ces sociétés algériennes ne comprennent pas pourquoi l’application de la Déclaration de la politique sectorielle (DPS), lancée par le gouvernement en 2000, a été bloquée. La DPS avait donné un semblant de stratégie pour une véritable économie numérique avec, entre autres, l’ouverture du secteur à la concurrence(*) à travers la mise en place de plusieurs licences et autorisations pour l’établissement et l’exploitation du réseau public de télécommunication dans le cellulaire, les satellites, la fourniture de services téléphoniques en milieu rural, interurbains et internationaux, etc. Ce plan d’action et d’ouverture, qui devait dynamiser le secteur des TIC en Algérie, a été réduit à néant. La DPS a été jetée aux oubliettes, et avec elle tous les investissements des fournisseurs d’accès à internet algériens.
Une opération tape-à-l’œil non accessible au citoyen moyen
Le lancement de la 4G intervient alors même que la 3G en est à ses balbutiements. Les spécialistes du secteur sont unanimes. Le lancement de la 4G mobile «serait une erreur stratégique que nous paierons tôt ou tard». Le lancement prématuré de la 4G mobile avant le développement des autres moyens d’accès fixe viendrait à menacer l’existence même d’Algérie Télécom ; mettre en difficulté financière l’opérateur national Mobilis du fait de son fort investissement sur la 3G qui n’est pas toujours amorti ; et hypothéquer définitivement l’existence des opérateurs restants qui pourraient être de véritables acteurs dans le projet d’édification de l’économie numérique. Cela bloquerait, également, le développement de la chaîne de valeur, c’est-à-dire la possibilité d’avoir plus d’acteurs spécialisés, celui des usages utiles de l’internet, et l’aménagement numérique des territoires et l’export de nos services et la diversification des moyens d’accès. Les membres du gouvernement devraient savoir qu’il est impossible de lancer la 4G en ce moment, surtout que les opérateurs actuels de la 3G n’ont toujours pas achevé la couverture nationale du territoire algérien, attestent les experts qui expliquent que les offres des 3G et 4G mobiles sont de type limité au volume, avec paiement à la consommation, avec des prix hors de portée du citoyen lambda. Il faut le dire, cet accessoire est un accès destiné à une élite. Aussi, l’utilisation de l’internet en mode mobile n’a pas à ce jour pas remplacé l’internet haut débit fixe et de ce fait, les offres d’accès au haut débit mobile ne seront pas à même de se substituer aux offres d’accès fixe qui, elles, progressent malheureusement de manière insignifiante. Les spécialistes imaginent que le gouvernement va faire des concessions, mais à quel prix se demandent-ils, surtout que les opérateurs de téléphonie n’ont pas encore développé leur réseau. L’octroi de la licence de la 4G signifie la mort pure et simple de l’opérateur historique Algérie Télécom et celle des ISP existants. Certes, ont ajouté les experts, il va y avoir un semblant de croissance, mais quel en sera le coût ? Alors qu’on nous dit que le gouvernement cherche par tous les moyens à réduire la facture d’importation, voilà qu’il se lance dans un projet qui nécessite, entre autres, des équipements 4G, «CPE», fabriqués à l’étranger. La réponse est donc une facture d’importation très lourde. L’Etat devra débourser des sommes importantes en devises, qui plus est pour l’internet des réseaux sociaux et non pour l’internet utile. Le dernier rapport du Forum économique mondial a indiqué clairement que notre pays accuse un retard flagrant dans l’usage de l’internet utile, que ce soit dans l’économie, le social, les infrastructures ou bien dans l’usage gouvernemental et régulatoire. Seulement, au lieu de résoudre les problèmes fondamentaux qui bloquent l’émergence d’une économie numérique de valeur, le gouvernement précipite le lancement de la 4G mobile. Est-ce une manœuvre pour masquer son échec dans le développement d'une véritable économie numérique ? Sans aucun doute. Ce ne serait rien d'autre qu'une opération tape-à-l’œil pour donner l'illusion au président de la République que le secteur des TIC en Algérie est au diapason de ce qui se fait dans le monde. Opérateurs nationaux et experts tirent la sonnette d’alarme afin d’attirer l’attention sur les dérives potentielles et les conséquences désastreuses que peut engendrer une telle décision irréfléchie sur les acteurs historiques du secteur, l’économie nationale ainsi que sur la souveraineté du pays, ce qui est encore plus grave. Nous y reviendrons.
Mohamed El-Ghazi
(*) L’ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications fixes avait dressé un plan d’action conformément à la déclaration de politique sectorielle visant à dynamiser le secteur à travers la mise en place de plusieurs licences et/ou autorisations, parmi lesquels :
– Arrêté du 18 safar 1422 correspondant au 12 mai 2001 fixant la date d’ouverture à la concurrence de l’établissement et de l’exploitation du réseau public de téléphonie cellulaire de norme GSM.
– Arrêté du 30 joumada Ethania 1422 correspondant au 18 septembre 2001 fixant la date d’ouverture à la concurrence de l’établissement et de l’exploitation du réseau public de télécommunications par satellite de types VSAT.
– Arrêté du 7 chaâbane 1423 correspondant au 14 octobre 2002 fixant la date d’ouverture à la concurrence de l’établissement et de l’exploitation du réseau public de télécommunications et la fourniture de services téléphoniques internationaux.
– Arrêté du 7 chaâbane 1423 correspondant au 14 octobre 2002 fixant la date d’ouverture à la concurrence de l’établissement et de l’exploitation du réseau public de télécommunications et la fourniture de services téléphoniques interurbains.
– Arrêté du 7 chaâbane 1423 correspondant au 14 octobre 2002 fixant la date d’ouverture à la concurrence de l’établissement et de l’exploitation du réseau public de télécommunications et la fourniture de services téléphoniques en milieu rural.
– Arrêté du 16/03/2003 fixant la date d’ouverture à la concurrence de l’établissement et de l’exploitation du réseau public de télécommunications à boucles locales radio et de fourniture de services téléphonique au public.
– Arrêté du 13 moharram 1424 correspondant au 16 mai 2003 fixant la date d’ouverture à la concurrence de la troisième licence d’ l’établissement et de l’exploitation du réseau public de téléphonie cellulaire de norme GSM et de fourniture de services de télécommunications au public.
– Arrêté du 5 dhou el-hidja 1424 correspondant au 27 janvier 2004 fixant la date d’ouverture à la concurrence de l’établissement et de l’exploitation du réseau public de télécommunications par satellite de type GMPCS et de fourniture de services de télécommunication au public. Il est à noter que seules les ouvertures du GSM, V-SAT et GMPCS ont été lancées en plus d’une licence fixe pour le consortium algérien des télécommunications CAT.

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