Une contribution de Djemaâ Djoghlal – Bateau pied-noir et linceul wahhabite : pour quels buts ?

Si des citoyens des deux rives de la Méditerranée voulaient évaluer la misère intellectuelle dans laquelle ils sont plongés depuis 40 ans, il leur suffit d’écouter et de lire les jumeaux qui se sont partagé récemment le débat intellectuel en France et en Algérie. Débat de la raison réduit dangereusement à l’expression de leurs complexes personnels. Le premier vit en France, il porte un nom et un physique qui déterminent sans erreur son origine pas tout à fait gauloise. Ces deux marqueurs le font souffrir du complexe du nouveau converti dont il veut se défaire «en déportant les musulmans qui sont responsables de la régression de la France». Bénéficiant des avantages professionnels, médiatiques et financiers que lui procure la puissance de sa communauté d’origine, il tente de désigner aux Français, appauvris pour toujours par les financiers des Bourses de Paris, Londres et Wall Street, un bouc émissaire sans défense. Ce nouveau converti feint d’ignorer que l’objet de son fonds de commerce représente des familles dont les ancêtres ont, depuis 1830, pour certains, servi de chair à canon et, pour d’autres, de collaborateurs sur tous les champs de bataille où furent engagés les armées françaises, y compris lors de la chute de Constantine et pendant la Révolution algérienne. Il veut oublier que de nombreuses familles «musulmanes» ont été sollicitées par les pouvoirs publics et les employeurs pour participer au remplacement des hommes engagés contre le nazisme et ensuite pour la reconstruction de «la métropole». Ces familles, arrivées plusieurs décennies avant la sienne, comptent une quatrième voire une cinquième génération de Français qui, hélas !, n’ont pas su créer une institution communautaire ayant un dîner annuel où toutes les personnalités françaises viendraient prêter allégeance. Pour cet énergumène, désigner à la vindicte populaire française les «musulmans», c’est contribuer à brouiller les pistes et à cacher les puissants qui forment réellement un Etat dans l’Etat en France, puissants dont il est un membre à part entière malgré ses dénégations d’amuseur public. Depuis trois décennies, comme lui, de nombreux rejetons d’anciens colonisateurs tentent de recréer l’apartheid en France pour les descendants des anciens colonisés. A défaut d’élimination des «musulmans» de la sphère publique, ce pitre propose leur déportation en oubliant d’indiquer s’il faut expédier les hommes sur les chantiers de ses cousins d’Israël et du Qatar, et envoyer les femmes dans les colonies de vacances de son cousin du Maroc, colonies de vacances pas seulement destinées aux personnes âgées françaises. Il ne précise pas le sort qu’il destine aux enfants «musulmans», mais en regardant celui réservé aux enfants palestiniens, depuis 1948, la question est vite résolue. Selon la thèse de ce raciste, pour supprimer les effets de la crise financière internationale qui a plongé les peuples dans le chômage et la précarité style dix-neuvième siècle, il faudrait actualiser les recettes des nazis qui avaient déporté et tué des millions d’innocents d’Europe et d’ailleurs dont des «musulmans». Les descendants de ces «musulmans» n’ont pas su honorer cette mémoire et demander les réparations qui s’imposent. Pour faire taire tous ces racistes névrosés, les musulmans algériens vivant en France devraient s’inspirer du contenu de l’ouvrage [1] dirigé par Mohamed Arkoun, qui offre les clefs de réponse variées sur leur présence en France. Victor Hugo, François Mauriac, Sartre, Simone de Beauvoir et bien d’autres Français qui ont contribué au rayonnement de ce pays par leurs écrits et leurs engagements furent et sont à des années-lumière de ce complexé et de son bateau pied-noir. Le Gaulois François George, nom de plume Maugarlone, dont les œuvres littéraires [2] et philosophiques sont de portée universitaire autant que populaire n’apparaît jamais dans ces médias où pullulent le nouveau converti et ses semblables, la régression intellectuelle de la France trouve sa source là. Le second, son jumeau, possède un corps basé en Algérie et un cerveau vivant dans les pétromonarchies wahhabites, raisons pour lesquelles il ne peut connaître l’antique et héroïque histoire du pays et sa sociologie, ni comprendre et admettre la diversité culturelle de ses habitants qui ont su créer leurs codes et leurs expressions selon les différents paysages où ils se meuvent. Depuis des millénaires, les Algériens ont écrit, souvent dans la langue du colonisateur, des romans étudiés mondialement tel l’Ane d’Or écrit au IIe siècle par Apulée de Madaure, ils ont chanté les épopées guerrières depuis les exploits de Dihya jusqu’à ceux des maquisards indépendantistes et ils ont transmis les mélopées amoureuses de chaque région voire de chaque tribu. Seule la progression du wahhabisme, dans les années 90, avait couvert le pays de sa culture mortifère et de son linceul : des écrivains, y compris arabophones, des imams algériens, des journalistes, des médecins, des architectes, des artistes et même des anciens maquisards furent assassinés et quelques-uns réussirent à s’exiler pour fuir ce linceul. La condamnation à mort d’un écrivain algérien en 2014 n’est que la suite de cette hécatombe programmée. Selon le converti wahhabite, aujourd’hui, l’Algérie serait peuplée de 36 millions d’autistes qui devraient l’imiter et mimer ses professeurs en régression. Comme son jumeau de France, il souffre du complexe du nouveau converti et veut devenir plus wahhabite que ses maîtres en imposant son conditionnement archaïque au peuple algérien. Les Algériens pratiquant l’islam depuis quatorze siècles n’ont jamais eu besoin de clergé pour exprimer leur foi, comme l’indique le Coran, l’imam n’est qu’un guide envoyé par Dieu pour éclairer son peuple et non pour lui imposer la régression politico-religieuse et sectaire wahhabite. Depuis le 14 février 1945, cette régression fut imposée au monde musulman par Roosevelt, au service de l’oligarchie financière, et par Abdelaziz Ibn Saoud, au service du fondamentalisme wahhabite, mais les effets néfastes de cette union naturelle s’imposèrent aux pays musulmans suivant leurs changements historiques : certains pays ont quitté le colonialisme européen pour se retrouver plongés dans le néocolonialisme américano-wahhabite, telle l’Algérie depuis 1980. Ce néocolonialisme s’est imposé dans le domaine culturel en 1975 lorsque des apprentis sorciers du wahhabisme s’attaquèrent à la pièce de théâtre de Kateb Yacine Mohamed prends ta valise. Cette pièce qui dénonçait les conditions de vie infâmes de l’émigration algérienne en France faillit coûter la vie à son auteur. Lorsqu’il décéda le 28 octobre 1989 à Grenoble, les maîtres en régression refusèrent que son corps soit enterré chez lui en Algérie. L’Algérie, son pays qu’il avait défendu à 16 ans au risque d’être emprisonné ou tué, il subit dans sa chair d’enfant les geôles coloniales. Au risque de sa vie, Kateb sillonna le monde avec ses conférences pour faire connaître la réalité de la Révolution algérienne, et ses ouvrages contribuèrent à montrer l’âme de son peuple. A chaque attaque contre Kateb, peu de voix se sont élevées pour dénoncer ces ignominies. Ce néocolonialisme s’est imposé dans le domaine économique dès 1980 lorsque le président de la République de l’époque utilisait son temps dans des tractations politiques qu’il ne maîtrisait pas et qui l’ont conduit aux transactions financières du capitalisme étasunien. Ceux qui lui avaient conseillé la libéralisation de l’économie du pays et la mise sous tutelle du FMI furent les premiers qui se servirent des richesses nationales et ils installèrent leur capital et leurs familles à l’étranger. Cette libéralisation créa l’inégalité sociale provoquée par le bradage des pans entiers des biens de l’Etat, biens que se sont octroyés ces affameurs du peuple, avec la bénédiction wahhabite à l’intérieur et à l’extérieur du pays. L’explosion sociale de 1988 découle directement du chômage et de la précarité imposée aux millions de travailleurs algériens et à leurs familles, les messages de haine distillés contre ceux qui pensent ne sont-ils pas destinés à créer des boucs émissaires et à préparer les pauvres à serrer leur ceinture d’un cran supplémentaire, comme en 1988. Il n’est pas interdit de questionner les buts poursuivis par l’organisation de l’université d’été des ennemis de la République et par les appels au meurtre contre un Algérien : se taire, c’est cautionner les dangers qui menacent le pays. Déjà en mai 2014, l’attaque contre la ministre de l’Education nationale, sur son origine supposée juive, avait rappelé aux militantes algériennes les insultes dont elles furent victimes lorsqu’elles refusèrent l’instauration du Code de la famille en juin 1984. Code dont le contenu ne pouvait différencier les droits accordés à un géniteur de ceux accordés à un père, texte qui est la copie conforme de ce qui se pratique dans tous les pays sous colonialisme wahhabite. Juin 1984, période de la décennie de la peste brune et mai 2014 doivent nous servir d’exemples pour réagir contre l’appel au meurtre d’un homme. En Algérie, depuis les temps les plus reculés, le débat d’idées s’est toujours déroulé par la contradiction verbale, même au sein des «djemaâs» dans les douars, et non par le sabre fut-il religieux.
Djemaâ Djoghlal, militante associative

[1] Mohamed Arkoun (direction), Jacques Le Goff (préface), Histoire de l’Islam et des musulmans en France du Moyen Age à nos jours, Albin Michel, 2006
[2] François George Maugarlonne, Présentation de la France à ses enfants, Grasset, 2009 ou FGM, Histoire personnelle de la Cinquième République, Fayard, 2008. François Maugarlonne, Traité de l’Ombre, Editions du Bon Albert, 2000, et une quinzaine d’autres ouvrages voir sur Internet.
 

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