Une réflexion de Joseph Massad – Assimilation des musulmans français : «Merci, très peu pour nous !»

Au lendemain de l’attaque contre les bureaux du magazine Charlie Hebdopar deux musulmans français, et celle d’un supermarché juif français par un troisième (les origines géographiques des parents de ces hommes ont été immédiatement identifiées par les médias français comme significatives voire centrales dans leurs crimes), l’ancien président français d’origine catholique hongroise, Nicolas Sarkozy (son grand-père maternel est un juif grec qui s’est converti au catholicisme), a proposé «d’expulser tout imam [français musulman] qui soutient des vues qui ne respectent pas les valeurs de la République». On ne sait pas si Sarkozy serait d’accord avec la proposition de l’expulser en Hongrie ou en Grèce s’il venait à épouser des vues «qui ne respectent pas les valeurs de la République». De même, il reste difficile de savoir si cela devrait aussi être le sort réservé aux prêtres catholiques français et aux rabbins français s’ils s’avèrent manquer de respect envers ces valeurs, bien qu’en se basant sur le statut des juifs sous Vichy, il semble que les rabbins ne seraient pas épargnés non plus. Contrairement à la perception qu’ont la plupart des catholiques français d’eux-mêmes, le problème avec la culture française contemporaine dominante catholique («laïque») est, avant tout, son manque de raffinement. Le racisme français s’exprime souvent de la manière la plus vulgaire, sans les moindres palliatifs ou euphémismes. En cela, les Français sont différents de leurs pairs des contextes américain et britannique, où le racisme est souvent formulé dans un langage socialement plus acceptable, bien qu’il cache derrière lui la même vulgarité raciste. La vulgarité du racisme catholique français, cependant, est plus similaire à celle du racisme juif israélien, qui n’a souvent que faire des périphrases et autres produits cosmétiques linguistiques. Les politiques et crimes actuels du gouvernement français au Mali, en Libye et en Afghanistan, pour ne citer que les trois principaux sites des interventions militaires françaises, se poursuivent. Lorsque les troupes françaises ont ouvert le feu sur une voiture civile en Afghanistan en 2011, tuant trois civils, dont une femme enceinte et un enfant, le ministre français de la Défense Gérard Longuet a exprimé sa «profonde tristesse» pour ces morts, mais a déclaré que les soldats avaient agi en légitime défense, car la voiture avait «refusé de s’arrêter en dépit des sommations répétées». Le soutien français actuel apporté aux djihadistes syriens – y compris l’aide de la France et de l’Otan, sinon l’encouragement prodigué aux Français musulmans désireux de prendre part aux combats en Syrie – dément l’horreur officielle des catholiques français face à la montée de l’Etat Islamique et à ses pratiques de décapitation. Peut-être que les membres français de Daech ont trop bien assimilé la culture catholique française, surtout en ce qui concerne l’intolérance et la décapitation – car la pratique «laïque» de l’Etat français d’exécution des criminels par décapitation par la guillotine s’est poursuivie jusqu’en 1977, la dernière personne décapitée étant par coïncidence un criminel français musulman.
Qui devrait s’assimiler ?
C’est cette France qui accuse sa population musulmane de refuser de s’assimiler à ses usages, mais ne se demande jamais pourquoi elle ne devrait pas s’assimiler à leurs manières – puisque les musulmans français font tout autant partie de la France et de sa culture que les catholiques français, et puisque la France n’est plus la propriété exclusive des catholiques français qui pourraient en disposer à leur guise. Peut-être que les catholiques français (devrions-nous simplement les appeler Gaulois ?) pourraient apprendre des musulmans français une certaine forme de tolérance. Après tout, ce sont les musulmans français qui ont subi et continuent du mieux qu’ils peuvent à supporter le racisme et l’intolérance des catholiques français depuis des décennies. Les catholiques français pourraient-ils à leur tour apprendre à supporter la tolérance des musulmans français ? Aussi choquante que cette dernière idée puisse être aux yeux des catholiques français et des racistes sectaires (qui sont bien sûr «laïques»), ces mêmes personnes n’ont jamais considéré leurs actions choquantes lorsque, en tant que minorité coloniale, ils ont cherché à forcer la majorité des colonisés à s’assimiler à leurs usages – quels que soient leurs usages, bien sûr. On ne sait pas vraiment si on attend des musulmans français qu’ils adoptent la torture et les méthodes meurtrières des catholiques français et leur intolérance «laïque» dans le cadre de leur processus d’assimilation. Si cela était effectivement requis, alors les trois seuls musulmans français assimilés avec succès ne seraient autres que Cherif et Saïd Kouachi, les frères qui ont attaqué Charlie Hebdo,et Amedy Coulibaly, qui a attaqué le supermarché juif. De manière assez surprenante, le gouvernement français a refusé de reconnaître à quel point les frères Kouachi étaient des Français bien assimilés, et il a demandé au gouvernement algérien de les faire enterrer en Algérie, un pays où ils n’avaient jamais mis les pieds, plutôt qu’en France où ils se seraient assimilés d’une manière exemplaire. Le gouvernement algérien a dûment refusé d’autoriser l’inhumation des deux Français sur son sol. La France a obtenu la même réponse du gouvernement du Mali, qui a rejeté une demande du gouvernement français de leur envoyer le corps du citoyen français Coulibaly pour qu’il y soit enterré. Malgré l’ampleur horrible des actes de ces trois hommes, leurs crimes restent numériquement modestes et pâles comparés aux bien plus cruelles monstruosités des Français catholiques et «laïques» qui ont atteint des proportions génocidaires à travers le monde. Cependant, si les frères Kouachi et Coulibaly avaient survécu, ils auraient encore eu besoin de beaucoup de leçons de cruauté et d’intolérance violente avant de pouvoir devenir entièrement assimilés à l’authentique francité catholique et laïque. Le reste des musulmans français continuent à résister à l’assimilation à la francité catholique et «laïque» et à refuser de suivre l’exemple de l’intolérance des Français catholiques et «laïques» racistes et de leurs quelques émulateurs musulmans. Pour la majorité des musulmans français, la réponse à ces invitations catholiques françaises et laïques à l’assimilation est un «Non, merci» explicite, ou plutôt, dans la langue raffinée des Français : «Merci, très peu pour nous !»
Joseph Massad
Professeur de sciences politiques et d’histoire intellectuelle du monde arabe moderne à l’université Columbia (New York). Son dernier ouvrage est L’islam dans le libéralisme.
Traduit de l’anglais par Salah Lamrani.

 

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