Yacef Saâdi raconte la Bataille d’Alger – L’exigence d’une nouvelle direction pour la ZAA (III)

Le déploiement des «maquis urbains» et des «groupes armés» faisait appel à d'importants effectifs, indépendamment des «commandos», dont la mission se situait au niveau des opérations spéciales, appelées opérations «coups-de-poing» dans lesquelles l'aspect spectaculaire déroutait les grands stratèges de l'armée coloniale. Et pour contenir toute cette activité révolutionnaire dans l'Algérois, il fallait consolider davantage les structures de direction par d'autres formes d'organisation. Je commencerai par situer, dans le temps et dans l'espace, l'action de ces valeureux propagandistes – des nationalistes invétérés, au courage exceptionnel – qui a fait l'historique Zone autonome et lui ont donné ce lustre, qui était le sien, face aux hordes de reîtres formant les régiments de l'armée française. Le Congrès de la Soummam, qui a élu les membres du CCE (Comité de coordination et d'exécution) tenait à appliquer son programme pour que la Révolution ait plus d'effets dans tous les domaines, pour arriver à sa destination finale, l'indépendance. Dans cet esprit, Alger la capitale a bénéficié, par son importance dans le cadre politico-organique, d'une structure spéciale représentée par l'historique Zone autonome (ZAA). Celle-ci était propice et mieux adaptée à la clandestinité pour appliquer la guérilla urbaine, aussi importante pour le FLN que les combats dans les maquis. Pour cela, des chefs de la Révolution algérienne, et non des moindres, Abane Ramdane, Krim Belkacem et Rabah Bitat, se sont retrouvés secrètement chez moi, dans la maison de mes parents, en Haute-Casbah, pour une réunion historique au cours de laquelle a été décidée la création de la direction de la nouvelle et historique Zone autonome d'Alger, qui sera détachée de la Wilaya IV, et que j'ai eu l'honneur de diriger. D'ailleurs, c'est une tradition dans ma famille que d'abriter ces réunions importantes, dans le cadre du nationalisme. Déjà, en 1947-48, les grands chefs de l'OS se réunissaient chez nous, parce qu'ils étaient très à l'aise, tant sur le plan de l'espace que sur le plan de la discrétion. Hocine Aït Ahmed le mentionne si bien dans son ouvrage. Il y a lieu de signaler que la Zone autonome fonctionnait, bien avant – comme expliqué auparavant –, avec son organigramme et ses structures adaptées aux exigences de la lutte armée dans Alger, la capitale. Je ne vais pas donner les détails de l'organigramme, avec ses principales branches et ses réseaux qui nous regroupaient autour d'une gestion aussi rigoureuse que secrète, mais je me résumerai à quelques grandes lignes pour permettre la compréhension de la mission qui nous mobilisait dans le cadre de cette grande organisation. Pour cela, nous avions adopté le système pyramidal de cellules de trois membres. Cette forme de gestion, qui privilégiait le cloisonnement, avait l'avantage d'éviter les noyautages, de protéger l'information et de ne pas dévoiler, sous la torture, quand un responsable est arrêté, les détails de l'organisation. Ainsi, l'organigramme, d'une manière très succincte, se composait, en plus de la direction que je représentais au nom du FLN-ALN, de deux branches, l'une militaire et l'autre politique, ainsi que d'un réseau de bombes et un autre du renseignement. Cette structure n'aurait pas été complète si elle n'était pas confortée par des comités spécialisés, dont le comité hébergement, le comité liaisons et le comité justice. En somme, c'était un Etat dans l’Etat qui s'occupait de tous les problèmes liés à la lutte contre les occupants, mais aussi ceux des citoyens dans leur vie quotidienne, comme les mariages par exemple ou les transactions en tout genre. Les noms et les fonctions des militants qui me secondaient dans cette exaltante, mais difficile mission, sont minutieusement et fidèlement rapportés dans les archives – les nôtres et celles de l'ennemi – pour perpétuer le souvenir de la noble mission qu'était celle de l'historique Zone autonome. Il n'est pas opportun de vous relater ces listes qui vous paraîtront interminables – plus de 5 000 hommes représentant l'ensemble des militants et des groupes armés –, tant l'engouement des enfants d'Alger et d'ailleurs, ceux qui s'étaient joints aux nombreuses opérations dans la capitale, honoraient notre organisation qui se renforçait constamment, malgré la dureté du combat et les pertes énormes qui traduisaient les sacrifices sur le terrain. Comme je dois ne pas omettre d'exalter la participation féminine dans nos actions les plus difficiles, notamment celles de poseuses de bombes dans des endroits dangereux pour n'importe quelle opération décidée par le FLN. C'est ainsi que je reconnais et salue le rôle déterminant qu'ont joué nos sœurs moudjahidate dans les grandes opérations de la «Bataille d'Alger».
Yacef Saâdi
Demain : La «Bataille d’Alger» : une création de l’armée française
 

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