Poursuite à Alger du colloque sur Frantz Fanon



La pensée de Frantz Fanon est inséparable de son action militante, estiment des intellectuels participant au colloque «Esprit Frantz Fanon» consacré à l’œuvre du militant de la cause algérienne qui se poursuit depuis dimanche à Alger. Des intervenants sont revenus sur différentes interprétations de l’œuvre du psychiatre estimant que celles-ci avaient séparé la pensée de Fanon de son engagement pour l’indépendance des pays colonisés et privilégié des approches pluridisciplinaires ainsi que des grilles de lectures d’inspiration européenne. Pour l’anthropologue égyptien, Mohammed Hafez Dyab, les travaux de recherche sur Fanon sont dominés par deux approches. Une lecture «conceptuelle» analysant séparément le thème de la violence ou de l’aliénation, dit-il, et une lecture «référentielle» s’attachant à trouver chez Fanon les influences de penseurs comme Marx, Luckas et Gramsci, entre autres. Pour l’universitaire, ces approches de la pensée fanonienne ne prennent pas en compte son «dynamisme», lié, selon lui, au fait que son œuvre a été «écrite dans l’urgence» de la guerre de libération de l’Algérie, dans laquelle le psychiatre martiniquais était engagé. Le sociologue algérien, Lyes Boukra est allé plus loin que son collègue en estimant qu’ «il n’y pas de définition de concepts chez Fanon» mais seulement des «interprétations faites à posteriori» sur des sujets comme la violence ou aliénation. L’auteur de «Le djihadisme. L’islam à l’épreuve de l’Histoire» estime à son tour, que Frantz Fanon «pense dans l’action et à des fins d’actions», sous «la pression d’une urgence politique», jugement qui lui fera dire que Frantz Fanon est un «penseur politique», contredisant ainsi les approches pluridisciplinaires des «Damnés de la terre», notamment. Ce dernier livre écrit en 1960 et édité en 1961, l’année la disparition de Frantz Fanon, est l’œuvre la plus controversée de l’auteur de «Peau noir, masques blancs», quelques chercheurs européens ayant interprété la notion de «violence révolutionnaire» comme un appel au meurtre d’individus isolés. Par ailleurs, Lyes Boukra a tenté, dans son intervention intitulée «Identité et conscience nationale», de cerner à la suite de Fanon, les signes de la «mésaventure de la conscience nationale» après l’indépendance. La question de l’identité, posée par Frantz Fanon, a abouti, selon Lyes Boukra à une «impasse» après l’indépendance. «Le plus difficile (pendant la guerre de libération) n’était pas de se battre mais de savoir qui étions-nous et au nom de quoi luttions-nous», dira Lyes Boukra, en évoquant la construction de la conscience nationale pendant la révolution algérienne. Cette difficulté est encore présente, selon lui, en raison «des manipulations politiques des vecteurs de l’identité comme l’arabité, la berbérité ou l’islam». Les revendications identitaires au lendemain l’indépendance «se sont faites au détriment de la conscience nationale», affirme le sociologue qui voit dans ces dernières, un «risque de régression» vers des formes «infra politiques», comme le «régionalisme» ou l’«obscurantisme», reprenant à son compte les mise en garde de Frantz Fanon, mises en relief par de nombreux intervenants au colloque depuis son ouverture. Organisés du 1er au 10 juillet par les éditions APIC, les rencontres «Esprit Frantz Fanon» se déclinent en un colloque et des activités littéraires. Né en 1925 en Martinique, Frantz Fanon avait été nommé médecin-chef à l’hôpital psychiatrique de Blida, avant d’entrer en clandestinité pour rejoindre, en 1957, les rangs du Front de libération nationale (FLN) et s’engager pour l’indépendance de l’Algérie. Frantz Fanon a été emporté par une leucémie en 1961 dans un hôpital américain.
R. C.

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