L’Algérie peut-elle encore sauver son tissu industriel ?

Le phénomène de désindustrialisation, qui touche l'Algérie, peut être caractérisé par trois transformations concomitantes : un recul de l’emploi industriel, un recul de la contribution de ce secteur au PIB (le poids de l’industrie dans le PIB en valeur est de 10 % en 2012) et une forte croissance du secteur des services marchands.

Le phénomène de désindustrialisation, qui touche l'Algérie, peut être caractérisé par trois transformations concomitantes : un recul de l’emploi industriel, un recul de la contribution de ce secteur au PIB (le poids de l’industrie dans le PIB en valeur est de 10 % en 2012) et une forte croissance du secteur des services marchands.
Or, selon les spécialistes, pour une économie en développement intermédiaire, l'industrie devrait représenter de 30% à 40% de l'activité économique globale. Autant dire que l'Algérie a atteint un seuil critique de désindustrialisation. La question qui se pose désormais est : comment faire revenir l'industrie dans notre pays ?
Politique industrielle
Toute politique industrielle d’entreprise doit être examinée dans le cadre d’un débat social et faire l’objet d’une concertation des salariés dans les bonnes instances de gouvernance et toute politique de filière performante nécessite la valorisation des carrières dans les filières industrielles ainsi que la valorisation des métiers scientifiques techniques et technologiques.
Six axes de travail sont à préconiser pour revitaliser le tissu industriel algérien moribond. Il s'agit dans l'ordre de :
1) Redonner un modèle industriel à l'Algérie ;
2) Créer des filières industrielles capables de répondre aux défis industriels de demain et leur donner une attractivité auprès des jeunes cadres et des salariés ;
3) Refonder les relations donneurs d’ordre (DO) /sous-traitants (ST) ;
4) Aider les PME à se développer à l’international ;
5) Faire coopérer recherche publique et recherche privée pour créer de véritables écosystèmes de l’innovation ;
6) Refonder les relations sociales dans les entreprises.
Filières industrielles
• La notion de filière qui fait référence à une chaîne de valeur peut être définie comme un ensemble de produits (biens ou services) et d’acteurs économiques concourant à la desserte d’un marché. Ces marchés sont organisés par des entreprises qui structurent la chaîne de valeur le long de grands processus (marketing et définition de produits, design et conception, production, etc.) et définissent les activités qu’elles conservent en interne et celles qu’elles sous-traitent. Dans le cas de produits ou de processus industriels complexes (automobile, aéronautique), la supply-chain peut être articulée en plusieurs niveaux : on distingue alors des sous-traitants de rang 1, de rang 2 et dans certain cas de rang 3. Le sous-traitant de rang 1 est lui-même intégrateur de prestations ou sous-ensembles venant de sous-traitants de rang 2.
• La structuration d’un secteur en une filière suppose que les entreprises qui servent le marché correspondant structurent leur chaîne de valeur de manière telle que des entreprises externes industrielles ou de service puissent devenir leurs fournisseurs sur une base compétitive, ce faisant elles organisent des marchés ou font appel à des marchés sous jacents où les entreprises s’organisent elles-mêmes en filières, généralement des filières métiers (plasturgie, mécanique, logiciel) ou technologiques (composants électroniques etc.). Il existe donc un réel problème de répartition de la création de valeur tout au long de cette chaine de valeur.
• Pour qu’une filière fonctionne, il est essentiel que la tête de filière (l’aval) soit mobilisée et y croit.
• La structuration de secteur en filière dans les produits complexes n’est pas naturelle lorsque le nombre d’acteurs est insuffisant ou que les conditions d’émergence de marché de produits intermédiaires ne sont pas remplies et suppose une concertation forte entre les différentes parties prenantes et bien souvent l’action de l’Etat s’avère nécessaire. Les organisations professionnelles ont un rôle majeur à jouer dans la construction de ces filières.

• Les pôles de compétitivités orientés marchés (automobile, aéronautique, santé, agroalimentaire) qui jouent un rôle de décloisonnement dans la chaîne de l’innovation entre les DO et les ST peuvent contribuer, dans la région où ils opèrent, à la création de la filière sous réserve qu’ils se coordonnent au niveau national et qu’ils coopèrent avec les associations professionnelles correspondantes. De même les clusters types SPL (Système Productif Local) ou grappes d’entreprises qui sont la traduction locale d’une filière métier.
• Pour être efficiente et compétitive, cette structuration en filières doit permettre d’autres types d’horizontalité, en particulier autour des grandes ruptures technologiques multi-applications (nanotechnologies, logiciels de conception et de simulation etc.) ou autour de nouveaux marchés faisant appel à une variété de compétence associées à des filières industrielles différentes.
• En résumé, l’intérêt du raisonnement en filière est de pouvoir partager en son sein, entre les différents maillons de la filière, les grands enjeux que sont : l'emploi, la formation et les compétences, l'innovation technologique, la réglementation, la normalisation, les attentes et exigences des clients finaux et l'accès à l’international.
Remarque
La notion de filière s’appuie sur une conception de la chaîne de valeur bâtie sur un modèle de production idéalisé. Cette conception s’entend parfaitement sur la partie matérielle des flux économiques, mais une part de plus en plus importante des flux devient immatérielle (économie de la connaissance). L’émergence et le développement de nouveaux outils issus des TIC (ingénierie collaborative notamment) permettent un partage de connaissances en réseau de plus en plus efficace, de nature à modifier sensiblement les relations entre acteurs économiques.
Recommandations opérationnelles
A) Créer un nouveau modèle industriel
• Proposition 1 : Mettre en place un think tank sur le modèle industriel algérien
Il apparaît indispensable d’avoir une vision réellement partagée de ce que doit être l’industrie demain en Algérie pour inciter les acteurs à réellement travailler ensemble.
Il est donc proposé de mettre en place un think tank permettant de refonder la réflexion stratégique associant chercheurs en économie, en innovation, et en Sciences humaines et sociales, des professionnels de l’industrie, des services et de la finance, des représentants d’organisation syndicale, des représentants de fédérations pour faire émerger un «nouveau modèle industriel algérien durable». Les facteurs clé de compétitivité seront clairement l’innovation (en particulier innovation organisationnelle et pas seulement technologique), la qualité au sens large, l’anticipation et la réactivité pour se positionner rapidement sur des marchés à fortes marges. Chaque année ce think tank pourrait animer ou contribuer à une conférence nationale de l’industrie.
B) Définir une politique de filières et organiser la gouvernance de ces filières
• Proposition 2 : Inciter les acteurs industriels à s’organiser en filières
L’Etat devrait inciter toutes les grandes branches ou secteurs industriels à repenser leur gouvernance en leur proposant une approche par filière marché croisée avec des filières orientées technologies et services.
C) Amener les donneurs d’ordre à s’impliquer dans la structuration de leur filière et refonder les relations donneurs d’ordre / sous traitants 
• Proposition 3 : Créer des instances de concertation par filière visant à faire respecter les engagements réciproques (dispositions contractuelles et législatives existantes, chartes de bonnes conduites) et travailler ensemble à des plans de progrès et à une vision stratégique partagée sur les enjeux de la filière (visibilité stratégique, mutations technologiques et mutations des structures de coûts).
L’objectif est d’inciter les DO à s’impliquer dans la structuration de leur filière par des leviers incitatifs et des outils adaptés et à refonder les relations avec leurs ST en les transformant en relation client-fournisseur.
• Proposition 4 : Mettre en place une agence d’évaluation transversale permettant d’objectiver et d’évaluer la réalité des relations entre fournisseurs et donneurs d’ordre dans chaque filière. Cette notation aura vocation à être prise en compte par les donneurs d’ordre pour leur image de marque, au même titre que leur responsabilité environnementale, sociétale et éthique.
• Proposition 5 : Mise en place de fonds financiers par filière avec participation financière des donneurs d’ordre pour aider à recapitaliser les ST. Chaque filière doit se doter d'un fonds d'investissement ayant pour mission de favoriser l’émergence d’ETI (entreprises de taille intermédiaire) compétitives et capables d’offrir à leurs clients une capacité de R&D et un ancrage international renforcés.
• Proposition 6 : Favoriser des partenariats entre DO, ST et sociétés de services pour des opérations de R&D, partageant leur prise en charge ainsi que la propriété intellectuelle et l’usage de certaines applications qui en découlent.
• Proposition 7 : Mettre en place un dispositif type crédit impôt partenariat visant à inciter les entreprises à sous-traiter leur R&D à une PME ou à investir dans l’amélioration des processus industriels.
D) Aider les PME à s’organiser et à croître à une taille suffisante d’ETI pour structurer leur offre 
• Proposition 8 : Lever les contraintes pesant sur les PME et les limitant dans leur fonctionnement et donc dans leur croissance en simplifiant tous les processus administratifs et tous les textes règlementaires.
• Proposition 9 : Mettre en place dans chaque wilaya un guichet unique d’information pour les entreprises et améliorer la cohérence des aides et actions de soutien au développement et à la croissance des PME.
• Proposition 10 : Encourager la mutualisation au sein des filières et pour les zones géographiques pertinentes d’un certain nombre de moyens (techniques, marketing, commercial, veille, recherche) pour structurer l’offre des PME et susciter l’émergence d’intégrateurs intermédiaires et de regroupements des PME capables de dialoguer avec le centre de décision des DO.
Cela passe également par un accompagnement stratégique et de recherche d’alliance des PME par un coaching approprié (action type Cluster SPL) et l’organisation d’un système d’intelligence économique et de veille concurrentielle au profit des PME en mettant en réseau par filière les CTI (commissions pour la technologie et l'innovation), SPL, pôles de compétitivité et CCI (chambres d'industrie et de commerce).
• Proposition 11 : Diffuser l’innovation organisationnelle vers les PME
Il s'agit de les aider dans l’optimisation de leur organisation et l’amélioration de leur compétitivité via l’investissement en innovation organisationnelle (diffusion de méthodes type Lean). Renforcer également toutes les actions de formation pour améliorer à court terme la qualité et à moyen terme l’adaptabilité.
E) Inciter et aider les PME et ETI à se développer à l’international
Cet objectif est clé pour accélérer le développement des PME et permettre à l'Algérie de gagner des parts de marché à l’export. Il est réellement vital que les entreprises algériennes puissent prendre des positions à l’export et que les produits 'made in Algeria' puissent être conçus dans l’optique d’un marché mondial, en développant une stratégie appropriée et un marketing opérationnel adapté. Ceci nécessite donc que les PME soient aidées dans leur prospection et leur pénétration sur les marchés ciblés.
• Proposition 12 : Simplifier et clarifier l’accompagnement à l’international proposé par les différents acteurs institutionnels (vers un guichet unique d’accompagnement).
• Proposition 13 : Renforcer le Pacte PME International afin de développer le
«portage export» : portage stratégique, portage-abri (hébergement collectif, hébergement sur stands et salons, mise à disposition de locaux) ; portage-conseil (fourniture d’adresses, informations juridiques et réglementaires, analyses du marché) en relation avec les acteurs institutionnels (Organismes d'accompagnement dans le développement à l'export, CCI, organisations professionnelles, conseillers du commerce extérieur).
Ce portage des PME à l’international pourra être réalisé avec la participation des grands donneurs d’ordre mais aussi avec des structures de coopération entre PME.
F) Veiller à la pérennité du tissu industriel et faciliter sa recomposition
Le dégrèvement tarifaire à l'horizon 2017 (ou 2020) fait peser à l'industrie algérienne le risque important, celui de la disparition pure et simple d’un nombre important d’entreprises TPE et PME. Or il est important de veiller à la pérennité de notre tissu industriel en favorisant la reprise d’entreprises et de mettre à profit les quelques années qui nous séparent de la date butoir pour recomposer autant que faire se peut notre tissu industriel en favorisant les regroupements vertueux et en conservant l’ancrage territorial de celui-ci.
• Proposition 14 : Mobiliser les acteurs autour de la détection des entreprises en situation de risques liés à la transmission (ou à la faillite)
– Mettre en place un système de veille permettant d’identifier les entreprises en réelle difficulté ;
– Mettre en place des dispositifs financiers permettant à des entrepreneurs ou aux salariés une reprise d’entreprise. Impliquer également les donneurs d’ordre dans le cas d’entreprises sous-traitantes pour aider les repreneurs sur les perspectives de marchés.
– Inciter les fournisseurs de même niveau à se regrouper.
G) Favoriser l’intégration et la structuration de la Supply Chain comme levier majeur de la compétitivité
• Proposition 15 : Mettre au point des standards de processus par filière afin de formaliser au sein des filières un fonctionnement réactif et efficace (normalisation, dématérialisation des échanges d’information) en impliquant les DO dans leur rôle d’intégrateur de supply chain.
• Proposition 16 : Améliorer la formation des futurs dirigeants en supply chain management, en achat et en économie industrielle
– Rénover l’enseignement de ces disciplines en passant de la formation des logisticiens et des acheteurs à celle d’une « stratégie de la supply chain » et de la gestion globale des ressources externes de l’entreprise, bénéficiant aux élites et fonctions commerciales et pas seulement à l’encadrement intermédiaire.
– Impliquer les pôles de compétitivité dans la formation.
• Proposition 17 : Valoriser les avantages logistiques de la proximité et inciter les entreprises à les prendre en compte dans leurs décisions: au delà des impacts évidents en termes de BFR et coûts logistiques, cela permettrait d'assurer le maintien de l'optimum de l'équation : prix réduit * fluidité * régularité * réactivité.
H) Redonner de la compétitivité aux filières industrielles actuellement ancrées dans les territoires par un investissement important
• Proposition 18 : Mobiliser les acteurs et encourager les travaux en matière d’innovation sur les technologies et processus industriels
Il s'agit de favoriser l’émergence de pôles de compétitivité et d'encourager les efforts des entreprises en matière de R&D par une aide fiscale grâce à la mise en place d'un crédit d'impôt recherche (CIR).
• Proposition 19 : Favoriser les investissements de modernisation des outils de production
Mettre en place un crédit d’impôt pour la modernisation des outils de production.
• Proposition 20 : Revaloriser l’enseignement technique et favoriser l’apprentissage
– Réintégrer dans les cursus techniques l’enseignement des technologies de fabrication et méthodes de production.
– Rétablir ou renforcer le lien entre entreprises et enseignement technique.
I) Structurer des filières capables de répondre aux défis industriels de demain et encourager les projets stratégiques transversaux
• Proposition 21 : Faire émerger puis structurer les écosystèmes de l’innovation et le tissu industriel sur les nouvelles technologies grâce :
– au lancement de projets stratégiques sur les nouvelles technologies en orientant la politique de recherche publique et en impliquant les industriels dans la gouvernance de ces projets ;
– au lancement de projets interpoles ou le soutien aux plateformes d’échanges entre pôles sur des enjeux nécessitant de rassembler des moyens importants ou des expertises variées ou pour faire naître des projets innovants ;
– à la mise en place de Plans filières régionaux impliquant les PME et les acteurs du développement économiques (pôles de compétitivité, SPL, CCI) autour de projets filières ;
– à la mise en place de groupes de collaboration transverses rassemblant DO, ST, écoles/universités, instituts de recherche et services afin de pouvoir présenter des offres complètes aux marchés ;
– à la mise en place d’une commission entreprise /enseignement pour définir les formations qui seront nécessaires aux niveaux ouvrier, technicien, technicien supérieur et ingénieur.
• Proposition 22 : Faire émerger de nouveaux marchés et créer de nouvelles opportunités de développement en organisant des décloisonnements pertinents. Par exemple, en application d'une politique intégrée de développement agricole, renforcer le décloisonnement entre les différentes filières de l’économie agricole en s’appuyant sur les pôles de compétitivité et les clusters de façon à saisir les opportunités de croissance de certaines régions ciblées.
II) Accroître la coopération entre recherche publique et recherche privée pour créer de véritables écosystèmes de l’innovation
• Proposition 23 : Accélérer l’émergence d’écosystèmes de l’innovation par une meilleure articulation entre les diverses initiatives sur le sujet : notamment par un rapprochement des instances de gouvernance de toutes les structures impliquées.
• Proposition 24 : Favoriser l’implication des pôles de compétitivité dans la constitution des instituts de recherche technologiques correspondants à leurs besoins.
• Proposition 25 : Améliorer l’accès à l’information. Créer une base de données permettant aux PME d’avoir une meilleure visibilité sur les projets de recherche collaborative dans les centres techniques et les pôles de compétitivité et pouvoir les orienter par rapport aux priorités des branches et des filières.
Conclusion
Substituer aux importations des produits relativement compétitifs et exporter des produits à forte valeur ajoutée ne peuvent se concevoir sans une industrie forte. Le modèle algérien de développement industriel, fondé sur un nombre restreint de grandes entreprises nationales soutenues par l’Etat est un échec patent, cuisant et ruineux.
Une industrie performante doit non seulement s’appuyer sur la recherche et employer un personnel qualifié, mais aussi s’intéresser à toutes les nouvelles technologies.
Le progrès est aujourd'hui si rapide que le remplacement du système IPv4 (2 puissance 32 adresses IP) par IPv6 (2 puissance 128 adresses IP) le 6 juin dernier va permettre une croissance fulgurante d'internet et surtout ouvrir la porte à la vraie révolution robotique.
Du point de vue du consommateur, cela signifie que nous allons voir de plus en plus d'appareils de la vie quotidienne rejoindre nos réseaux à l'aide de puces de moins en moins chères. Mais l'impact le plus important concernera la production. Le développement de machines intelligentes capables d'effectuer des tâches répétitives aujourd'hui accomplies par les humains atteindra son point ultime. Bientôt, la fabrication de vêtements et d'autres produits textiles ne sera plus simplement assistée par des robots chargés de la découpe et de la couture, mais bien totalement automatisée.
Or ce type de fabrication entièrement automatisée sera moins chère et de meilleure qualité que les produits de fabrication humaine, même dans les pays en voie de développement. Il est évident que lorsque la fabrication est robotisée, c'est l'énergie, et non le travail, qui devient la principale composante du coût de tout produit.
L'avantage en termes de coûts que les pays en développement ont par rapport aux pays développés ne va pas tarder à disparaître avec l'arrivée imminente de la robotique omniprésente et les entreprises de robotique émergentes seront le moteur de cette révolution technologique qui changera le monde.
En définitive, l'Algérie a le choix entre se positionner très vite ou disparaitre irrémédiablement en tant que nation industrielle !

Mourad HAMDAN (consultant en management)

Principale référence : les états généraux de l'industrie (française)
 

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