Le nif et la redjla !
Omar est un petit pêcheur de sardines. Il est poète également. Il a terminé un recueil de qacidate qu’il souhaite éditer. Pauvre, il emprunte 1 000 DA à Boualem, son voisin et ami. Les mois passent, il ne peut éditer son recueil, a dépensé les 1 000 DA et évite Boualem à qui il doit rendre l’argent emprunté. Début d’une déprime à cause de l’honneur, le nif. Il n’arrive pas à dormir, que doit-il faire, comment rembourser ? Zohra, sa femme, s’en rend compte. Son mari est perturbé. Qu’a-t-il ? En marmonnant, il ne fait que répéter des vers écrits par lui : «Elli i khémam ou ma yarkadch fiddarou/ ilzamlou ikoun fahem/ maye féraq maâ djarou/ ghir li isellef adraham.»Le temps passe, Omar est mal au point. Il évite Boualem. Son état s’aggrave, il parle seul. Dans sa chambre, sur un vieux tourne-disque «Teppaz», il écoute, ininterrompu, Sabhane Ellah yaltif d’El-Anka. Chanson du nif ou redjla.
– Omar, tu m’inquiètes, que se passe-t-il, lui demande sa femme.
– Je dois de l’argent à Boualem et je ne peux le lui rendre.
– Quoi ? Et c’est seulement pour cela que tu ne dors plus !
Un soir, alors qu’elle voyait son mari dans un état dépressif, Zohra monte sur un escabeau et appelle la femme de Boualem de l’autre côté du mur :
– Saliha, viens, j’ai à te parler.
– Qu’y a-t-il, Zohra ?
– Tu dis à Boualem ton mari que les 1 000 DA, il ne les reverra jamais.
En criant très fort pour qu’Omar l’entende. Puis, Zohra rentre dans la chambre :
– Dors, maintenant. L’affaire est réglée, tu ne dois rien à personne.
Un matin, Zohra ramène le café «nosnoss» à son mari Omar. Il n’est pas dans la chambre.
Le lit n’est pas défait. Elle s’inquiète, c’est inhabituel.
C’est seulement vers midi que des garçons viennent frapper à la porte :
– Khalti Zohra ! Khalti Zohra ! On vient de retrouver le cadavre d’Omar sur la plage.
Que s’est-il passé ? Inhibé par le nif et la redjla, pris de remords de ne pouvoir rendre l’argent à Boualem, Omar a pris sa petite barque, s’en est allé au loin par grosse mer et s’est jeté à l’eau.
Depuis, Zohra déprime et ne fait qu’écouter la chanson écrite par El-Badji pour El-Ankis, Ya bahr Ettoufane : Khrajna sebna chi louhat/ Marfou3in fouq el moujate/ Bayène bli hbibi mal/ Irahmou ya ramant/ Ya bahr ettouffane.
Extrapolation : Ah ! Si tous ceux qui ont volé ou emprunté de l’argent aux banques pour des prêts non remboursés avaient le nif et la redjla de Omar pour rendre l’argent ! L’Algérie aurait été «patronne» du FMI, aurait acheté le Qatar, le PSG et Messi. Mais, Allah ghalleb ! dit-on. Quelle joli mot qui permet de nous taire et d’être en bonne conscience avec nous-mêmes. Comme il y a belle lurette que l’être humain n’émeut personne, les gens comme Omar peuvent se suicider ou… s’immoler sous le regard des passants ! Khti rassi.
Abderrahmane Zakad, urbaniste
Comment (2)