Djamila Debèche, une écrivaine algérienne oubliée

Elle est née le 30 juin 1926 à Ghiras (Sétif). Orpheline à deux ans, elle fut élevée par ses grands-parents. Elle fit ses études à Alger où elle vécut jusqu’à l’âge de seize ans. En 1942, elle animait des émissions sur la promotion féminine à Radio Alger. Quelques années plus tard, en 1947, elle lança le mensuel L’Action, une revue «sociale, féminine, littéraire et artistique» dont seulement dix numéros parurent. Son parcours de journaliste et de publiciste fut court, mais elle peut être qualifiée de pionnière, en tant que femme algérienne. Dans le domaine de la littérature, elle apparaît aussi comme une pionnière à l'image de Taos Amrouche qui avait écrit Jacinthe noire paru en 1947. Le premier roman de Djamila Debèche, Leila, jeune fille d’Algérie, paraît en 1947 (imp. Charras, Alger) et le second Aziza paraît en 1955 (imp. Imbert, Alger). Djamila Debèche avait commencé à écrire deux autres romans, restés inachevés, Les cavaliers du Maghreb et Entre Orient et Occident. Après son départ du pays après 1962, elle a beaucoup voyagé, jusqu’au Japon, et rapporté des reportages parus dans des revues françaises comme Dialogues. Résidant à Paris, celle qui a beaucoup conféré sur les droits des femmes en Algérie et leur promotion a toujours agi avec indépendance. C’est ainsi qu’elle quitta l’Assemblée des femmes algériennes dont le siège était à Paris, se sentant tout à fait étrangère à cette assemblée. Djamila Debèche a également écrit Les musulmans algériens et la scolarisation – essai, imp. Charras, Alger, 1950, 20 pages – L’enseignement de la langue arabe en Algérie et le droit de vote des femmes algériennes, 1950, 32 pages – Les grandes étapes de l’évolution féminine en pays d’islam, imp.Chassaing, Nevers, 1959. Djamila Debèche était membre de l’Association des écrivains algériens, dans la ligne des Algérianistes des années 1920. Vice-président : Abdelkader Fikri (Hadj Hamou), Mohammed Zerrouki, El-Boudali Safir, Jean Sénac, Djamila Debèche. (Assemblée générale de l'Association des écrivains algériens – Afrique n° 243, Janv/Fév 1952). Djamila Debèche fait partie de la première génération d’écrivains algériens qui entrouvrent toutes grandes les fenêtres pour que portent leurs voix. Elle s’investit dans le thème de la condition de la femme dans la société algérienne jugée archaïque par opposition au milieu émancipé occidental. Contrairement à ce qu’on a pu dire d’elle, elle ne nie pas ses origines ni ne se prononce pour une assimilation d’intérêt mais, et ses actes le prouvent, elle a toujours activé pour que ses sœurs algériennes accèdent au savoir et à leur libération. Là est son credo : l’école pour les filles et la libération pour la femme. La seconde génération, dont on peut citer Assia Djebar, Zoubeida Bitari, Bédia Bachir entre autres, traite du thème de la guerre d’indépendance, la condition de la femme, le refus de l’assimilation occidentale et le refus de l’aliénation. D’autres écrivaines suivront (Sebbar, Méchakra, Djabali, Lemsine, Zinai-Koudil) dont la thématique concerne l’exil, la guerre avec la tentative d’une nouvelle écriture, refusant le reflet de l’histoire officielle. Par la suite apparaissent d’autres écrivaines qui s’investissent dans d’autres thèmes, idéologiques, sociologiques en une écriture esthétique. (Maissa Bey, Leila Hamoutène, Malika Mokkadem). D’une manière générale, la littérature algérienne féminine d’expression française confirme que le terrain de l’écriture féminine épouse les contours d’une histoire et de la destinée d’une nation dans laquelle les femmes écrivaines se sentent impliquées. «Tournant rapidement le dos aux problèmes de l’assimilation et de l’aliénation, les discours des femmes revendiquent le droit d’être une personne à part entière.» Par la suite, les femmes écrivaines sauront introduire une marque originale, proposant des écritures nouvelles, des regards différents sur la réalité sociale et culturelle algérienne. Il a fallu cinquante ans pour que de Djamila Debèche à Malika Mokkadem, on passe de l’émancipation de la femme colonisée à la culture, aux langages et aux identités plurielles prônés par des femmes libres menant toujours le combat pour l’égalité et contre la bêtise avec des interrogations sur l’avenir.
Ses livres (disponibles à la BN et à la bibliothèque «Arts et Culture», palais du gouvernement :
Leila, jeune fille d’Algérie, 1947, 191 pages, imp. Charras.
Leila, instruite et évoluée, est ramenée dans sa famille conservatrice du Sud. Elle en souffre. Elle échappe au mariage imposé par un oncle despotique, après la mort du père, grâce à l’intervention d’une amie française. Elle est même accueillie dans la famille française. Elle se met au service de la promotion de ses compatriotes, de la femme musulmane en particulier. Le programme de Leila est que la «vieille civilisation orientale» ainsi que la «jeune civilisation occidentale» doivent s’appuyer l’une à l’autre. Ce roman traduit les préoccupations sociopolitiques de l’auteur. (Assimilation ? Intégration ? Indépendance ?).
Aziza, 1955, 182 pages, imp. Imbert.
Une jeune fille musulmane d’Alger fait connaissance d’un jeune avocat, Ali Kamal. Nationaliste, il est en contact avec des hommes politiques. Tous deux s’aiment et se marient, mais au village natal selon la loi traditionnelle. L’époux est bientôt vite repris par ses «affaires» politiques. L’épouse, elle, languit et tombe malade au douar. Elle revient cependant à Alger ; mais l’union se rompt avec lui, passionné par son combat politique. Elle est ulcérée par l’indifférence d’Ali. Le divorce est consommé. Là encore le roman peut être interprété dans un sens politique ; d’un côté, le combat nationaliste, de l’autre, une volonté de promotion dans le cadre d’une assimilation.
Quelques points de vue concernant ses livres
Dans Aziza, le personnage se trouve face à un rejet des pratiques où l’islam est associé aux traditions «archaïques» qu’elle peut tolérer tant qu’elle n’y est pas impliquée personnellement. Ce rejet est accompagné de la prise de conscience de «contradictions», expressions elles-mêmes du conflit entre l’idéologie d’origine et l’idéologie acquise.
Ainsi, lorsqu’Aziza renverse la jarre, le jour de ses noces et qu’on lui prédit un avenir plein de douleurs, elle est ébranlée : «Quand je voulus me lever, ma tante dut me soutenir ; c’est que je croyais très fort aux présages» (p.88). Puis elle se prête volontiers à une pratique de désensorcellement : «A la fin, il apparut que le mauvais sort était conjuré et nous fûmes toutes soulagées d’un poids» (p.89).  C’est ce que nous lisons également dans La statue de sel d’A. Memmi (1953). «Notre culture locale était d’un incroyable primitivisme. Mélange incohérent de superstitions berbères, de croyances de bonnes femmes, de rites formels. Il ne pouvait satisfaire le moindre besoin de spiritualité» (p.128) – (cf. Abécédaire en devenir de Christiane Achour).
L’autobiographie est une écriture nouvelle. L’usage de raconter et de publier l’histoire de sa propre personnalité. Comme le journal intime, l’autobiographie est l’un des signes de la transformation de la notion de personne qui est intimement liée au personnage comme moyen de ne pas apparaître ou se mouiller tout en libérant la parole. C’est le cas de Djamila Debèche qui verse dans une soigneuse introspection écrite, car elle sait qu’elle a transgressé le social et utilise donc le personnage d’Aziza dans une autobiographie-roman. (Cas aussi de Le fils du pauvre, Le sommeil du juste ou La statue de sel). Il y a une liaison intime entre l’autobiographie et la culture occidentale. Les auteurs maghrébins ont été annexés à une culture qui n’était pas la leur dans la mesure où dans leur civilisation l’individu s’efface devant la communauté. C’est plus tard, pour la nécessité d’exprimer sa libération et par l’écriture qui devient une prise de conscience pour s’affirmer que le «je» apparaît. Le «je» est aussi utilisé pour le témoignage ainsi que pour s’imposer et dire que j’existe. On peut supposer que les romans de Djamila Debèche soient en partie autobiographiques. Ils sont écrits en français par un non-Français sur un itinéraire d’assimilation alors que les assimilés n’étaient pas légion, ne pouvaient qu’être nourris de l’expérience personnelle du romancier ou être des empreintes de lectures antérieures. Dans ses romans, un des personnages les plus importants de l’univers de l’enfance est la mère ou un de ses substituts : Chama, la nourrice d’Aziza remplaçant la mère défunte. (En passant il est intéressant de relever que dans les romans coloniaux le personnage de la mère est totalement évincée), alors que dans le roman algérien la grand’mère puis la mère sont le pivot où fonctionne la société (Je rappelle à ce sujet la fameuse phrase de Bourdieu dans son livre La paysannerie algérienne : «L’Algérie c’est la femme.» Dans Djamila Debèche (et on le retrouve dans La Chrysalide ou dans Bou El-Nouar) se pose le conflit culturel, conflit entre une formation originelle et une formation apprise. Souvent les personnages riches de leur double culture, ne parviennent pas à comprendre pourquoi ils ne peuvent servir de trait d’union pour le rapprochement franco-musulman. Mais on occulte la cause première qui est la colonisation. Les coreligionnaires se méfient, on essaie de s’arabiser, mais ils restent marqués par la culture française. Ils ne peuvent aller contre ce qui semble être leur nouvelle nature. Certains acceptent la marginalisation et s’isolent ou vont en France (Cheraïbi), d’autres affichent leur athéisme, comme dans Le sommeil du Juste. Mais le savoir conduit à une impasse : «Je refuse l’Orient et l’Occident me refuse. Que serais-je donc ?» (La statue de sel, page 262). Le roman insiste sur les différences sociales au sein de la société colonisée mais il tait la grande séparation colonisateurs/colonisés mais il ne faut pas nier l’ardente activité de l’auteur pour l’émancipation de la femme algérienne et son combat pour la sauvegarde de la personnalité algérienne, on n’ose pas encore faire le pas pour situer le problème dans le contexte politique. On relève une dépréciation des revendications politiques, primordiales pourtant dans le contexte historique où émergent ces romans, celui de la colonisation et de l’unification des forces nationalistes. Le discours nationaliste est minimisé par des procédés divers qui aboutissent tous à réduction (C. Achour). C’est la suspicion qu’éprouve Aziza pour tous ceux qui entourent son ami, puis mari, Ali Kamal, qu’elle quitte justement à cause de ses activités politiques. Djamila Debèche ne s’exprime pas en tant que femme indigène mais en tant que femme libre. Il n’y a pas de regard ethnographique dans ses œuvres comme dans celles d’Aïcha Lemsine. Dans ses œuvres transparaissent la nécessité et les conditions pour faire accéder les Algériens à l’émancipation. Djamila Debèche n’en demeure pas moins une pionnière et une écrivaine qui a occupé l’espace littéraire de 1945 à 1965, soit vingt années de combat pour l’émancipation de la femme, la sauvegarde de la personnalité algérienne et l’accès au savoir. Mais peut-on sauver sa personnalité dans une assimilation ?
Les textes de Djamila Debèche parus dans des revues :
Afrique n°22 – mars/avril 1948.
Afrique n° 243 Janvier-Février 1952.
Afrique n° 260 – Oct. Nov.Déc. 1955
Ibla n° 40 – 4e trimestre 1947.
Liberté du 12 juin 1947.
Communauté algérienne n° 5 du 23 décembre 1955.
Simoun n° 31 – «Notre frère Albert Camus» – juillet 1960.
Méditerranée n° 37 du 9 novembre 1946. «La vie tourmentée d’Isabelle Eberarht»
Méditerranée n° 23 du 3 août 1946. « Dahmane, enfant de la Casbah». Nouvelle
Méditerranée n° 38 du 16 novembre 1946 – «Poésie kabyle».
Terre d’Afrique n° 36 de février 1947 – «Les Ben Lockri». Nouvelle
Dialogues n° 13 de juillet/août 1964.
Notes de lecture parues dans divers journaux :
Dans le journal Liberté du jeudi 12 juin 1947 apparaît la note de lecture suivante :
Leila, jeune fille d’Algérie. La première fois qu’une jeune fille musulmane publie un roman on devrait jubiler d’enthousiasme. Et c’est avec un regret profond et sincère qu’il faut constater l’impossibilité d’en faire l’éloge. Mlle Debèche nous décrit les aventures d’une jeune fille musulmane, émancipée, cultivée, riche, «assimilée» complètement. Rien ne manque au cliché conventionnel et conformiste, baigné dans de l’eau de guimauve : le riche industriel européen arrachant la malheureuse des griffes d’un vilain cheikh et d’une marâtre, une jeunesse dorée utilisant ses loisirs pour des œuvres philanthropiques et happy end ! L’auteur évoque bien la grande misère des populations algériennes (la seule scène réaliste : le petit cireur d’Alger mourant de phtisie.), mais voici les solutions qu’elle propose : des œuvres sociales pour lesquelles on fait confiance à la générosité de gros industriels et à l’administration colonialiste ! Que nous sommes loin de la réalité algérienne, de la soif d’apprendre et de lutter de la femme musulmane. Tout en saluant le fait qu’une Algérienne publie un roman, exprimons notre impatience de voir bientôt une de nos sœurs musulmanes écrire un livre qui dit la vie, la lutte, l’espérance de l’Algérie véritable. (Charras, Alger, 140 francs).
Dans Ibla n° 40 – 4e trimestre 1947.( Institut des Belles Lettres arabes-revue tunisienne)
Le livre publié par Djamila Debèche mérite d’attirer l’attention … En fermant le livre, on regrette de ne pouvoir entretenir Leila pour étudier avec elle les modalités pratiques des réalisations entrevues. On voudrait aussi peut-être, en lui souhaitant des émules, lui objecter que son cas ne saurait être, présentement, le cas ordinaire des jeunes filles d’Algérie. Elle n’est actuellement qu’une heureuse et rare exception, une de celles dont son pays a besoin pour entraîner les autres dans une évolution qui ne pourra s’accomplir que progressivement. C’est que, remarquons-le, Leila, orpheline, libérée de tutelle, a la faculté de raisonner et d’agir en chef de file. Elle l’a chèrement acheté par une rupture avec son milieu familial. Ses sœurs algériennes, pour la plupart, évolueront à l’intérieur de la famille ; leur mouvement sera plus lent, mais il pénétrera le foyer tout entier, celui dont la femme doit être l’âme – et ce rôle, pour peu qu’on l’y aide, la femme algérienne le remplira ; elle en est capable.
Sources : Dictionnaire des écrivains de Achour Cheurfi/ Abécédaires en devenir de C. Achour/ Mohammed Ghriss, Quotidien d’Oran du 8 mars 2007. /Aicha Kassoul in Insanyat n°9 / Abdellali Merdaci (L’institution du littéraire dans l’Algérie coloniale – Parcours intellectuels dans l’Algérie Coloniale)

Etude d'Abderrahmane Zakad, urbaniste, romancier
 

Comment (2)

    selecto
    30 novembre 2013 - 15 h 55 min

    L’Algérienne idéale c’est
    L’Algérienne idéale c’est celle qui maniait les MAT 49 comme Hassiba Ben Bouali, Malika Gaïd, Mériem Bouattoura, par exemple.

    selecto
    30 novembre 2013 - 15 h 55 min

    L’Algérienne idéale c’est
    L’Algérienne idéale c’est celle qui maniait les MAT 49 comme Hassiba Ben Bouali, Malika Gaïd, Mériem Bouattoura, par exemple.

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