Pierre Galand à Algeriepatriotique : «Il faut obliger le Maroc à se conformer aux lois internationales»

Pierre Galand Sahara occidental Maroc
Pierre Galand. D. R.

Algeriepatriotique : La visite du représentant spécial du secrétaire général des Nations unies, Christopher Ross, au Maroc est programmée pour la mi-octobre. Pensez-vous que les autorités marocaines se conformeront, cette fois-ci, aux recommandations de l’ONU ?

Pierre Galand : Les autorités marocaines, en faisant fi de la légalité internationale, en retardant l’ensemble du processus référendaire pour faire en sorte qu’elles puissent continuer leur politique d’occupation du Sahara Occidental et en poursuivant l’exploitation des ressources naturelles des Sahraouis, tentent de persuader la communauté nationale qu’il n’y a pas d’autre solution que l’autonomie ou l’intégration du Sahara au Maroc. Ce n’est pas en comptant sur la bonne volonté ou les bonnes intentions du Maroc qu’on fera avancer ce dossier. La seule manière pour le faire, c’est de permettre à M. Christopher Ross de remplir sa mission et d’exiger qu’il puisse la remplir pour faire son rapport au secrétaire général des Nations unies, et obtenir ainsi que les droits fondamentaux du peuple sahraoui soient respectés, c’est-à-dire l’autodétermination.

Pourquoi le Conseil de sécurité de l’ONU n’arrive-t-il pas à contraindre le Maroc à se conformer au droit international qui confère aux peuples le droit à disposer d’eux-mêmes ?

Bonne question. Il faudrait, pour y répondre, se tourner vers la diplomatie française et savoir qui au Conseil de sécurité des Nations unies, finalement, empêche l’extension du mandat de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso) aux droits de l’Homme et aux violations de ces droits dans les territoires occupés, et empêche, en fait, tout progrès dans le processus d’autodétermination du peuple sahraoui. Il faudrait demander, peut-être, à l’Espagne aussi de revoir sa position qui est une position qui date de l’ère franquiste, à l’époque où avait été signé ce fameux accord, le 15 novembre 1974, qui n’a jamais été reconnu par l’ONU.

Vous accusez la France et l’Espagne de retarder le processus d’autodétermination du peuple sahraoui…

Je les accuse carrément de trouver un intérêt avec le Maroc dans une position attentive ou collaborationniste.

Des rapports et témoignages accablent les autorités marocaines concernant des dérapages et les violations des droits de l’Homme dans les territoires sahraouis. Quels échos vous parviennent-ils à ce propos ?

Effectivement, les grandes organisations internationales des droits de l’Homme, qui ont eu à mener des missions parlementaires dans les territoires occupés, conviennent toutes de la violation caractérisée des droits de l’Homme dans les territoires occupés et de la manière tout à fait anormale avec laquelle se comporte l’occupant, c’est-à-dire en violation de la IVe convention de Genève. Il y a là une série de rapports accablants et le secrétaire général de l’ONU en a pris acte dans son rapport d’avril dernier. Il a également déclaré que sans un progrès réel dans les négociations pour essayer de trouver des solutions à ces questions de violation des droits de l’Homme et au manque d’avancement dans le dossier tel qu’il est proposé par les Nations unies, c’est-à-dire un processus référendaire, «nous allons prendre des mesures alternatives».

Quelles sont ces mesures alternatives ?

Un, il y a la possibilité, sur le plan des droits de l’Homme, d’étendre le rapport de la Minurso, même s’il faut passer par Genève et s’il faut que le Conseil des droits de l’Homme envoie un délégué spécial pour la question des territoires occupés. Deux, il y a l’obtention d’un peu plus de cohérence de la part du Conseil de sécurité des Nations unies pour mettre en œuvre le processus d’autodétermination du peuple sahraoui. Si ce n’est pas par le processus référendaire qui consiste à consulter les populations, ce sera par la prise d’une décision conforme aux règles des Nations unies concernant les droits des peuples non autonomes à obtenir leur indépendance.

Vous avez souligné récemment qu’il fallait réorganiser la solidarité avec les Sahraouis et contrer activement la machine coloniale marocaine et sa propagande. Quel est votre programme d’action pour y arriver ?

C’est un volet important et nous allons nous réunir à Madrid ce mois-ci pour préparer la conférence européenne internationale des comités de soutien aux Sahraouis. Lors de cette conférence, nous allons établir un programme pour faire en sorte que les instances internationales et les Etats responsables prennent des mesures et faire pression – celle-ci doit être initiée au sein des Parlements, aux assemblées nationales, à l’Assemblée des Nations unies et à l’Assemblée des droits de l’Homme – pour obliger le Maroc à se conformer aux lois internationales. C’est tout un travail de militants que nous allons réadapter en fonction de cette exigence fondamentale.

Y a-t-il une position européenne claire vis-à-vis de la question du Sahara Occidental ? Si oui, peut-on savoir laquelle ? Qu’en est-il du poids de la France par rapport à cette question sachant que le Maroc est considéré comme un protectorat français ?

Si vous me demandez la position de la Commission européenne, je vous répondrai qu’elle est claire. Cette commission a réaffirmé, à chaque fois, qu’elle défendait la position des Nations unies et le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui. La position européenne est claire, mais celle des Etats ne l’est pas autant, notamment celle de la France et de l’Espagne.

Quels lobbies le Maroc actionne-t-il en Europe et en Belgique pour maintenir le statu quo et empêcher un référendum d’autodétermination ?

Le référendum est défini par les Nations unies depuis 1990. Il devait être organisé en 1992 et c’est la politique marocaine qui a retardé sa mise en œuvre. Et, lorsque ce retard est devenu insupportable, le Maroc a proposé une alternative, c’est-à-dire l’autonomie. L’Europe estime qu’en cette matière, elle n’est pas compétente. Et là, c’est grave, parce que l’Europe qui a des partenariats privilégiés avec le Maroc pourrait, par des mesures, influencer et faire pression. Il se fait qu’au sein de l’Europe, ceux qui empêchent que cette pression puisse se faire, ce sont la France et l’Espagne.

L’armée marocaine est en état d’alerte et le Polisario a mobilisé ses étudiants en prévision d’une reprise des hostilités. Ce scénario est-il possible, selon vous ?

Evidemment ! Tout peuple a le droit de se défendre lorsqu’il est occupé. Tout peuple a le droit de prendre tous les moyens, dans le respect des conventions internationales, pour se défendre. Quand il s’agit d’occupation militaire, reprendre les actions telles qu’elles étaient entreprises par le Front Polisario dans les années 70 et 80 est tout à fait pensable et possible. Il faut savoir que le Front Polisario a toute la légitimité pour reprendre la lutte armée qui est l’outil des peuples sous occupation coloniale ; on ne peut pas l’empêcher de recourir aux mêmes moyens dans le cadre d’une lutte pour l’émancipation du peuple sahraoui, mais que ce ne soit pas une guerre qui s’attaque aux civils. Les conventions de Genève valent pour tout le monde même pour le Front Polisario et je tiens à dire qu’il les a toujours respectées. Le Maroc doit être mis devant la contrainte de se retirer comme on a mis l’Afrique du Sud devant la contrainte de mettre fin à l’apartheid. C’est une contrainte internationale qui oblige finalement un occupant à se retirer ou bien c’est la lutte populaire telle qu’elle a été engagée par l’ensemble des pays colonisés, et les Algériens en savent quelque chose. Ces pays ont mené une lutte de libération coloniale. Pour le peuple sahraoui, il s’agit à nouveau d’une guerre de libération contre une colonisation.

Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi

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