Augmentation du prix de vente par certains titres : le signe d’une grave crise structurelle de la presse

C’est à un choix cornélien que certains anciens quotidiens ont dû faire face. Soit ils augmentaient le prix de vente de leur journal, pour passer de 15 à 20 DA, soit ils maintenaient le prix tout en se serrant la ceinture jusqu’à n’en plus pouvoir. Les quotidiens El-Watan et Liberté ont finalement dû recourir à la première solution, apprend-on. Ces deux journaux seront, d’ailleurs, suivis par d’autres dans les prochains jours. Cette augmentation des prix – la seconde en trois ans – dénote une crise structurelle profonde qui concerne toutes les publications, qu’elles soient à fort tirage ou de petits journaux qui continueront de paraître tant que le monopole exercé par l’Etat sur la publicité institutionnelle persistera et qui disparaîtront dès que ce monopole serait levé. La dichotomie entre «grands» et «petits» journaux a disloqué la corporation et fait s’imposer un particularisme et un nombrilisme dont les conséquences commencent à apparaître au grand jour. Les premiers signes de cet individualisme fatal se sont manifestés après l’attentat qui avait ciblé la Maison de la presse en 1996, et qui avait coûté la vie à plusieurs journalistes. A l’époque, l’Unesco avait proposé une aide pour rééquiper les journaux touchés par cette action terroriste, mais l’organisation onusienne avait vite fait de revenir sur sa décision après que les éditeurs concernés se crêpèrent le chignon au sujet du partage de la forte somme proposée ; chaque éditeur cherchait à récupérer une part du «butin» au prorata du nombre de [ses] journalistes tués dans l’explosion de la voiture piégée. Une attitude immorale qui avait écœuré les gens de la profession et signé la fin de la «cohabitation pacifique» entre patrons de presse et journalistes-employés. Les premiers effets de ce divorce ne seront visibles, néanmoins, que plusieurs années plus tard, lorsque le terrorisme perdra de son intensité et que les «affaires» commencent à bien marcher pour les éditeurs, sans que cette embellie financière ne se répercutât sur les travailleurs. Ces journaux, devenus «grands», n’ont pas vu venir une crise dont les symptômes étaient, pourtant, manifestes. En effet, si la majorité des plus de 140 journaux qui peuplent les étals des buralistes chaque matin – et dont la plupart finissent dans les usines de recyclage de papier sans même avoir été lus – ne vit que de la manne publicitaire distribuée par l’Anep, les quelques quotidiens qui mènent la cadence n’en sont, paradoxalement, pas mieux lotis. Seul le chiffre d’affaires diffère. Pendant que l’écrasante majorité des titres attend un chèque de l’Anep chaque fin de mois, qui pour honorer ses lourdes factures dues aux imprimeries de l’Etat et couvrir la masse salariale, qui pour se remplir les poches impunément, les grands journaux attendent, à leur tour, les gros chèques de quelques grands annonceurs privés qui leur achètent les onéreux espaces publicitaires de façon régulière. Or, alors même que l’Anep continue d’alimenter les petits journaux en publicité, les trois ou quatre grands fidèles clients des trois ou quatre journaux qui constituent la locomotive de la presse en Algérie ont, pour des raisons propres à chacun d’eux, mis un frein à leurs dispendieuses dépenses de notoriété, mettant, ainsi, sur la paille les quotidiens qui servaient de support à leur publicité. Parmi ces grands annonceurs, Renault est un cas d’école. La filiale algérienne de la marque française au losange a déboursé des sommes astronomiques au profit d’un ou deux titres qui ont bâti, sinon toute, du moins la majeure partie de leur stratégie sur ce seul annonceur dont «l’acharnement publicitaire» relevait presque du mécénat et soulevait des doutes. Mais la signature par ce constructeur automobile d’un accord avec le gouvernement algérien pour l’érection d’une usine en Algérie a sonné le glas d’une politique généreuse à l’égard de ces quotidiens «victimes» d’intérêts d’Etats, qui dépassent de loin le simple besoin en quelques supports médiatiques auxquels il est demandé, en retour, de servir de relais à la politique étrangère de la France dans la région. D’ailleurs, beaucoup entrevoient une relation entre la «générosité» de cette marque automobile et l’emploi, par un de ces quotidiens, d’un grand nombre de «stagiaires» français. L’autre quotidien concerné par la baisse des rentrées publicitaires et des ventes est, lui, adossé à un richissime homme d’affaires, mais dont la chute brutale des bénéfices risque de pousser le propriétaire du titre à revoir sa stratégie de fond en comble, quitte à prendre des mesures draconiennes, tant il n’est pas dans l’habitude d’un businessman de jeter son argent par les fenêtres. La récente charge du quotidien El-Khabar contre le ministre de la Communication résonne, enfin, comme un appel au secours d’un journal qui prend l’eau de toute part. Les anciens titres qui ont pu émerger du lot connaissent le début d’une crise qui risque de leur être fatale. Ils ont engagé des dépenses faramineuses dans le cadre d’investissements très lourds sans avoir su, au préalable, anticiper l’imminence d’un krach dont la survenance était pourtant prévisible, vu la fragilité de leurs finances qui dépendent quasi exclusivement d’annonceurs qui se comptent sur les doigts d’une main. Il a suffi que ces annonceurs éternuent pour que ces «grands» titres s’enrhument. Les temps à venir s’annoncent plus difficiles pour l’ensemble des journaux et seules une conjugaison des efforts, une épuration sérieuse de la corporation et une prise en charge de ses nombreux problèmes par les professionnels de la presse pourront sauver le métier. Dans le cas contraire, les étals se videront chaque jour un peu plus de leurs nombreux journaux et il ne subsistera que les quotidiens gouvernementaux. L’Algérie retournera alors inexorablement vers la pensée unique, tel que voulu par le pouvoir en place.
M. Aït-Amara
 

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