Touria Yacoubi Arkoun nous écrit : «Mohammed Arkoun n’a jamais renié l’Algérie»

Je n'ai point l'intention d'entrer en polémique avec les internautes qui se sont exprimés suite à votre article sur l'enterrement de Roger Hanin en Algérie. Encore moins de répondre aux insanités me concernant, débitées par des personnes qui, visiblement, ne connaissent rien de moi. C'est une énorme insulte à la mémoire et, surtout, à l'intelligence de Mohammed Arkoun, que de penser qu'il aurait pu lier sa vie à la femme qu'ils décrivent. «Femme qui aurait décidé de l'enterrer au Maroc sous les injonctions du pouvoir en place dans un but lucratif.» Cela dépasse tout entendement et prête même à rire. Mohammed Arkoun était chez lui au Maroc. C'était son vœu d'y être enterré parce que c'est l'endroit où je vis. Il tenait à ce que je puisse me recueillir sur sa tombe autant que possible et, ensuite, reposer à mon tour à ses côtés pour l'éternité. Il a une tombe simple au cimetière des Chouhada, à quelques centaines de mètres de mon père, comme il le souhaitait. Ce n'est ni un monument ni un mausolée. Certes, il ne manque pas de visites, mais elles sont gratuites. Quant à être inféodé à un quelconque pouvoir, il ne l'a jamais été ni en France, ni au Maroc, ni nulle part ailleurs. C'est ce qui lui donnait la liberté d'exprimer avec force ses idées partout dans le monde. Voici une des ses phrases à ce sujet : «L’intellectuel qui compromet son indépendance perd la possibilité de contribuer, selon ses moyens propres, à la création d’une dette de sens par ses écrits et son enseignement.» Les Algériens devraient ôter de leur esprit, une bonne fois pour toutes, que Mohammed Arkoun a été inhumé ici contre son gré et celui de sa famille, en particulier de sa fille. Les propos de cette dernière, sur TV5 et ailleurs, sont des mensonges éhontés, faciles à prouver. Mensonges qu'elle pensait être rentables pour son livre. Elle était rentrée de son plein gré avec moi à Casablanca pour les funérailles de son père – un article mentionne sa déclaration à la presse ce jour-là. J'invite également les internautes à visiter le site de la Fondation Mohammed Arkoun pour la Paix entre les Cultures, que j'ai créée à Casablanca (fondation-arkoun.org) et d'aller à la rubrique «médiathèque», playlist vidéo puis «hommages», pour visionner les obsèques où on la voit et l'entend également. C'était le 17 septembre 2010. C'est ce jour seulement (à quarante-huit ans) et devant le profond chagrin de l'immense foule qui a accompagné mon mari à sa dernière demeure qu'elle a vraiment réalisé qui était son père et qu'elle a «commencé» à s'y intéresser, comme elle l'a elle-même reconnu. Je ne m'attarderai pas davantage sur ce point ; je la laisse face à sa conscience (…). Je me permets, par contre, d'insister sur la relation complexe de mon mari avec son pays d'origine (l’Algérie, ndlr). Il ne l'a jamais renié, bien au contraire, il en parlait avec beaucoup d'émotion mais de colère également : il n'en avait plus foulé le sol depuis 1991. Au Maroc, où nous séjournions régulièrement, il a pu avoir la vie de famille qu'il n'avait plus ailleurs, en dehors de la Kabylie s'entend. Ce fut son pays d'adoption : il y était aimé, écouté, respecté, s'y exprimait librement sans aucune censure d'aucun ordre, et sous tous les gouvernements successifs depuis le début des années 1970. Preuve, s'il en était encore besoin, de l'extrême ouverture du Maroc, mondialement reconnue, contrairement à ce qu'affirment certains commentateurs. Halte donc aux déclarations déplacées, dénuées de tout fondement et, surtout, tout à fait stériles. Si l'amour que les Algériens portent à Mohammed Arkoun n'est pas feint, alors qu'ils honorent sa mémoire autrement ; qu'ils lisent ses livres, visitent le site de sa fondation : plus de deux cents enregistrements audio et vidéo y sont archivés ; qu'ils les visionnent, les commentent, les diffusent… Ce serait la meilleure manière de participer à faire rayonner la lumière de ses enseignements et de lui rendre ainsi un hommage bien mérité. Voilà de quoi nous avons besoin, quel que soit notre pays, pour sortir des situations dans lesquelles nous sommes enfermés. Pour lui : «Les murs les plus infranchissables sont ceux de l’esprit.» Je terminerai par une de ses déclarations (à bien méditer) aux «Medays» à Tanger, en novembre 2008, à propos du différend maroco-algérien : «Les intellectuels, les hommes d’affaires, les ONG, la société civile en général des deux pays doivent poursuivre leur rapprochement sans attendre les décisions des responsables politiques qui finiront, avec le temps, par se plier aux vœux du peuple.»
Avec mes fraternelles salutations.
Touria Yacoubi Arkoun

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