La 2e Brigade portée algérienne en Egypte

Par Bachir Medjahed – La 2e Brigade portée algérienne en Egypte aurait pu être, par son seul titre, l’énoncé d’un film de guerre. Mais cette brigade est bel et bien réelle et elle est algérienne ; elle pourrait inspirer bien des cinéastes. Elle inspirera en tout cas certainement les politiques et analystes quand ils apprendront que les unités de l’Armée nationale populaire ont été envoyées en Egypte de 1967 à 1971 et de 1973 à 1975, sur le front, lors de la guerre d’usure et celle d’Octobre, au nom de la solidarité arabe et ne manqueront pas de faire leur lecture par l’intégration des relations actuelles entre ces deux pays : l’Algérie et l’Egypte.
Ce qu’étaient les relations égypto-algériennes à cette époque, quand les regards arabes étaient portés vers une direction d’ensemble aux actions politiques, et ce qu’elles sont devenues aujourd’hui, au moment où des pays arabes voudraient s’ériger en pivot régional d’une architecture de sécurité internationale définie par les Etats-Unis ou devenir un allié stratégique hors Otan. Jusqu’à la veille du départ en solitaire du président égyptien Anwar Sadate en Israël puis à Camp David, il y avait encore la conviction que le monde arabe pouvait aspirer à son unité face à une menace extérieure. Suite aux accords séparés avec Israël, qui ont été rendus possibles par l’Egypte et qui ont induit des paix séparées non accompagnées par celle des Palestiniens, la guerre israélo-arabe a fini par devenir une guerre israélo-palestinienne doublée, malheureusement, d’une guerre palestino-palestinienne. A ce rêve d’intégration soufflé par la politique égocentrique de l’Egypte, répondent aujourd’hui l’inefficacité des actions isolées, l’impossibilité des projets concertés, la dévalorisation des réunions aux sommets des chefs d’Etat de la Ligue arabe, l’impossibilité pour cette dernière d’apporter des solutions arabes à des problèmes interarabes, de réussir à faire converger leurs visions sur les relations arabes avec Israël, des Etats au bord de la désintégration, suite au réveil de certains clivages confessionnels et identitaires là où il n’existe pas d’identités collectives et intégrantes, des alignements sur des puissances étrangères perçus comme pouvant garantir la stabilité des pays et des régimes en insuffisance de légitimité. Il faut une redéfinition des liens entre les pays arabes et, éventuellement, pour l’ouverture en Algérie d’un débat portant sur des choix à faire entre des espaces géopolitiques auxquels il faudra s’arrimer. Ne dit-on pas que la géographie fournit ses déterminants à la politique ? C’est une coïncidence instructive qui montre que les grandes politiques conçues pour la construction du monde arabe ne sont pas continues. C’est plutôt une consternation pour ceux qui font du monde arabe et de sa cohésion une rente politicienne ; un phénomène d’investissement plutôt politicien que politique. Celle-ci paraît évidente dès lors qu’on prend connaissance du contenu du livre de Khaled Nezzar se rapportant à la contribution directe de l’Algérie aux guerres de 1967 et 1973 aux côtés, plus particulièrement, de l’armée égyptienne. La contribution a été intense et totale à la fois sur les plans militaire et diplomatique, car il ne peut pas y avoir de séparation entre politique de défense et politique internationale. Il est de ces publications qui interpellent les consciences face à des amnésies volontaires mises au service de stratégies parfois non explicitées, quand le devoir de mémoire immunise l’avenir contre le retour de ce qu’on appelle les «vieux démons». C’est également une coïncidence constructive que ce livre soit achevé et publié au moment où l’on devrait assister à une sorte de «retour d’investissement» dans les relations de l’Egypte avec l’Algérie. Rien qu’à l’évocation des circonstances dans lesquelles fut décidé l’envoi en Egypte des unités de l’armée algérienne et des objectifs qui leur étaient assignés, il est inévitable qu’on mette en perspective l’engagement militaire et diplomatique de l’Algérie aux côtés de l’Egypte, avec la mise en scène égyptienne, il y a quelques années, d’un scénario proche de la rupture des relations diplomatiques, car toucher aux symboles de la Nation (notre drapeau, nos chouhada, etc.) et en appeler au lynchage des ressortissants algériens et à la spoliation de leurs biens ne sont pas fort loin d’être assimilés à une déclaration de guerre. Ce fut en tout cas un camouflet moral à ceux qui «militaient» pour la ouma arabe, concept utilisé aussi bien par le nationalisme arabe – qui s’est débarrassé de sa composante laïque – que par l’islamisme politique. Le contenu du livre concerne la contribution militaire opérationnelle de l’Algérie dans une époque dominée par la guerre entre Israël et ses voisins arabes et un environnement stratégique encore caractérisé par l’alliance «conjoncturelle» entre ce qui restait encore du nationalisme arabe et ce qui montait alors en puissance, à savoir le conservatisme religieux.
1967-1973 et aujourd’hui sont deux contextes radicalement différents ; antagonistes même. Le premier était inscrit dans une démarche d’entraide opérationnelle, de solidarité face à un «ennemi» commun extérieur à l’espace arabe. Par rapport à cet «ennemi» se définissait le projet de transformation de ce qui s’appelait le monde arabe en une entité cohérente par ses convergences, à la fois dans la politique de défense et dans la politique extérieure, y compris même dans l’usage politique de l’arme du pétrole. En traversant le canal de Suez, les troupes arabes avaient «réussi» alors à faire douter Israël, à l’ébranler dans ses certitudes. La guerre des Six Jours, pour autant qu’elle fût humiliante pour les Arabes, n’en fut pas moins supplantée par celle d’Octobre qui donna quand même, à ce moment, quelques éléments de fierté aux populations arabes. Les dirigeants israéliens ressentirent pour la première fois qu’ils pouvaient perdre la guerre et avaient, en conséquence, durci leurs exigences territoriales de sécurité. «Et si, s’inquiétait-on à Tel-Aviv, le départ des armées arabes avait eu lieu à partir des frontières de 1948 ?», sachant qu’Israël est le seul pays au monde à ne pas pouvoir s’offrir le luxe de perdre la guerre. Quand bien même la région et, également, le monde arabe se trouvent dans une situation où une guerre est impossible avec Israël, sans le règlement de la question palestinienne, c’est la sécurité qui est impossible et plus encore dans la durée. Solutions militaire et politique impossibles, car les Nations unies se montrent incapables de prendre des mesures de contrainte, tandis que les Etats-Unis se comportent à la fois comme médiateur et arbitre, mais toujours en faveur d’Israël. Les pays arabes devraient se convaincre que, depuis la fin de la guerre froide, depuis que les menaces de guerre conventionnelles se sont fort éloignées des frontières de l’Europe, depuis que l’Europe n’est plus susceptible de devenir le théâtre des rivalités entre les deux grands blocs, c’est apparemment sur le territoire arabe et aussi celui des pays musulmans – au sens large, mais plus particulièrement ceux qui figurent dans l’espace du Grand Moyen-Orient (de la Mauritanie à l’Afghanistan) – que vont se dessiner les fractures mondiales et ce seront ces territoires qui vont offrir leur cadre aux affrontements pour des intérêts extérieurs à ces pays. Une autre menace pourrait se dessiner pour les pays arabes, particulièrement dans le domaine énergétique et plus particulièrement encore en ce qui concerne le nucléaire. La pression exercée sur l’Iran ne concernera pas réellement l’enrichissement en vue de la production des armes atomiques, mais l’enrichissement en vue de l’acquisition des capacités autonomes à produire de l’électricité à partir du nucléaire. On parle de l’Opep du gaz et on devrait parler d’une future Opep nucléaire qui régulera les approvisionnements des pays arabes en combustibles pour la fabrication de l’énergie électrique. Là est le véritable enjeu.
B. M.
Analyste à l’INESG, spécialiste en géostratégie

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