Une contribution de Houria Aït Kaci – Intervention saoudienne au Yémen : le terrible retour de flammes

Les pourparlers onusiens informels qui se sont poursuivis à Mascate, la capitale du sultanat d'Oman (neutre dans le conflit), auraient permis à l'envoyé spécial de l'ONU pour le Yémen, Ismail Ahmed Ould Cheikh, de finaliser des propositions pour un plan de paix à soumettre aux différentes parties yéménites en conflit. C'est peut-être l'ultime chance de parvenir à une solution politique à un conflit qui risque de virer à une guerre d'usure avec l'Arabie Saoudite, atteinte à ses frontières avec le Yémen. Une copie du document en sept points que l'émissaire onusien pour le Yémen présentera aux différentes parties yéménites a été diffusée par la chaîne satellitaire Al-Mayadeen. Certaines d'entre elles auraient déjà approuvé le document qui n'attend plus que l’aval de Riyad pour officialiser la conclusion d'un accord dont l'application serait supervisée par une partie tierce neutre, sous la houlette des Nations unies. Pour sa part, l'agence Khabar Presse Agency parle de négociations de «dernière chance pour une solution politique» et révèle que «Mascate réunit Saoudiens et Ansar Allah à la même table de négociations», et fait état de «contacts entre les Américains et les dirigeants saoudiens pour ne pas fermer la porte à la solution politique» à la crise yéménite qui est «témoin d'une épreuve de vérité politique».
Un plan en six points
Le document en sept points proposé par l'ONU comporterait, entre autres, «un cessez-le-feu permanent et global, et le retrait de tous les groupes armés des villes, conformément à une procédure consistant à combler le vide sécuritaire et administratif», «la levée de l'embargo terrestre, maritime et aérien imposé (par l'Arabie) contre le Yémen, la remise en place du gouvernement de la coalition dirigé par Khaled Bahhah pour gérer les affaires courantes dans un délai ne dépassant pas les deux mois et la formation d'un gouvernement d'unité nationale au cours de ces deux mois, conforme à la Constitution». Les parties en guerre au Yémen arriveront-elles enfin à mettre fin au conflit militaire qui dure depuis près de six mois et fait plus de 5 000 victimes ? Ou alors s'acheminerait-on vers une guerre d'usure après l'escalade des combats qui ont suivi la bataille d'Aden à la mi-juillet ? Une telle guerre d'usure aux frontières nord avec le royaume saoudien dans un Yémen menacé de partition au sud avec la présence d'Al-Qaïda qui occupe déjà certaines régions stratégiques ne servira pas les intérêts des deux pays qui sont poussés aujourd'hui par la communauté internationale à faire taire les armes et à retourner à la table des négociations.
Guerre d'usure
En effet, une escalade dans les combats a fait de nouvelles victimes et de nouvelles destructions depuis la contre-offensive militaire de mi-juillet à Aden par la coalition menée par l'Arabie Saoudite et ses alliés yéménites, combinés avec les attaques d'Al-Qaïda. Les partisans d'Ansar Allah (Houthis), qui ont perdu certaines positions et subi de nombreuses pertes, ont eu recours aux «options stratégiques», dont l'ouverture d'un nouveau front aux frontières de l'Arabie Saoudite (nord du Yémen) et la défense des villes au centre du pays qui mènent vers la capitale Sanaa. Celle-ci est menacée par les troupes de la coalition qui ont installé des camps d'entraînement au sud du Yémen, convoité par des monarchies du Golfe. Le retrait tactique d'Aden (selon les Houthis), ou la défaite (selon la coalition arabe) des forces d'Ansar Allah (Houthis), à la mi-juillet devait permettre au président Abd Rabo Mansour Hadi et son gouvernement en exil de reprendre pied dans la ville portuaire du Sud pour ensuite reconquérir tout le pays et reprendre la capitale Sanaa aux Houthis et aux militaires fidèles à l'ancien président du Yémen, Ali Abdallah Salah.
A Aden, Al-Qaïda a pris ses quartiers
Mais au lieu du président Hadi, ce fut Al-Qaïda qui débarqua au port d'Aden qui venait d'être pris par les troupes des Emirats arabes unis qui ont débarqué avec d'énormes moyens (600 chars), aidées par l'aviation de la coalition qui a couvert leur déploiement lors de l'offensive de la coalition sur Aden. Aussitôt après, les groupes terroristes d'Al-Qaïda se sont infiltrés et occupent des points importants sans rencontrer d'opposition de la part des troupes des Emirats, ni de l'aviation de la coalition saoudienne, ni des groupes de la résistance populaire et militaire fidèles à Mansour Hadi. Seuls les militants du Mouvement du Sud (séparatistes) se sont affrontés aux groupes d'Al-Qaïda. Le drapeau noir d'Al-Qaïda flotte alors sur le port et ses éléments occupent tout Tawahi, quartier ouest d'Aden, où ils ont pris le contrôle de la zone portuaire le 22 août. Ils circulent librement, les armes à la main, dans les rues de Tawahi, rapporte la presse yéménite et internationale. Le quotidien américain New York Times, cité par l'agence de presse yéménite Khabar, observe que «la présence des miliciens d'Al-Qaïda, à Aden (sud) embarrasse de plus en plus le gouvernement démissionnaire, qui a veillé à qualifier de victoire sa lutte contre l'armée et les Houthis retirés d'Aden. Et d'ajouter : «Les miliciens, appuyés par la coalition, ne se sont pas opposés à la présence des éléments takfiristes d'Al-Qaïda à Aden» où il y aurait actuellement plus de 100 miliciens d'Al-Qaïda dans la région de Tawahi.
Le drapeau noir bien planté
Cette avancée des groupes takfiristes, les grands gagnants de la bataille d'Aden, laisse le champ libre aux parties qui cherchent la partition entre le nord et le sud du Yémen. Et pour certaines, le démembrement comme revendiqué aux Emirats arabes unis par Dahi Khalfan, le chef de la police de Dubaï, connu sur les réseaux sociaux, critiqué par l'analyste yéménite Ali Al-Boukhaiti dans un article publié par Khabar News Agency le 28 août. Selon lui, la gravité des revendications de Dahi Khalfan ne réside pas dans le retour aux deux Yémen comme avant 1990, qui peut être acceptable, et que beaucoup de courants du Sud exigent (…), mais ce qui est inacceptable, par contre, c'est quand il appelle à la dislocation due à l'unité du sud du Yémen par la création de deux Etats indépendants à Aden et Hadramaout, et leur rattachement au Conseil arabe du Golfe (CCG) ! Les visées des Emirats, notamment pour détrôner le port d'Aden au profit de celui de Dubaï, ont été signalées dès le début du débarquement de leurs troupes dans le sud du Yémen. Pour Al-Boukhaiti, les commentaires de Khalfan qui témoignent des visées d'occupation de ces provinces du sud du Yémen «montrent que l'intervention de ces pays au Yémen était guidée par leurs propres projets» et indiquent qu'«il y a un nouveau partage du gâteau Yémen, un nouveau Sykes-Picot concernant le Yémen et le Sud en particulier, sous prétexte qu'il a une faible population et une grande zone géographique». Mais au sud du Yémen, les contradictions au sein même des forces alliées à «l'ennemi» saoudien ont éclaté au grand jour.
Etre ou ne pas être…
«Nous n'avons plus rien à perdre après le blocus total et les crimes à Hodeïda au sud et d'autres régions du Yémen. L'ennemi massacre notre peuple sans aucune retenue et détruit notre pays menacé d'effondrement. Etre ou ne pas être, telle est la question qui se pose à chacun de nous aujourd'hui», affirme un analyste cité par la presse yéménite. Pour Abdel Basset Hubaishi, consultant et militant politique yéménite, dans un entretien à la chaîne satellitaire Al-Alam, «l'agression contre le Yémen s'est transformée en une guerre d'usure entre un pays pauvre qui n'a pas rien à perdre et le pays riche d'Arabie Saoudite qui est en train de perdre des millions par jour». Et d'ajouter : «Cette guerre d'usure se poursuivra sur une longue période, mais prendra fin par la victoire du Yémen et mettra l'Arabie Saoudite dans une situation embarrassante.» Selon lui, la guerre est passée de l'option défensive à une option offensive et il y a des options stratégiques qui ont commencé à se concrétiser sur le terrain cinq mois après l'agression. L'expert souligne que l'objectif des «assaillants» était essentiellement de lancer une guerre éclair devant se terminer en quelques jours, mais que «cette guerre s'est transformée en une guerre d'usure inégale contre ceux qui défendent leur terre, leur patrie, ses habitants et l'agresseur». Hubaishi est formel : «La victoire serait un allié du Yémen, qui n'a rien, sauf ses hommes, ses femmes et ses enfants pour se battre face à un pays qui perd un milliard de dollars par jour.» Cela dit, même si les attaques aux frontières saoudiennes ont déjà cours depuis les premiers mois de l'intervention de la coalition, les comités populaires et l'armée yéménite ont multiplié depuis la mi-juillet les attaques aux missiles et aux roquettes des bases et positions militaires saoudiennes de Jizan, Najran et Zahran Assir, situées à la frontière avec le nord du Yémen. Les habitants de ces territoires, à l'origine yéménites et à majorité chiite, qui ont été annexés par l'Arabie en 1934 et où se trouvent les richesses pétrolières, ne verraient pas d'un mauvais œil aujourd'hui leur retour à la mère patrie. C'est ce que revendique d'ailleurs un mouvement autonomiste de ces provinces créé récemment.
Des territoires saoudiens conquis
Des dizaines de missiles et de roquettes sont tirés quotidiennement et provoquent plusieurs pertes dans les rangs de l'armée saoudienne et des dégâts aux sites et équipements militaires (blindés et chars), alors que plusieurs bases militaires saoudiennes ont été occupées par les forces yéménites, selon les informations rapportées par la presse yéménite, libanaise et iranienne. Ainsi, des dizaines de roquettes et de missiles ont ciblé le 30 août la base d'Al-Jallah à Jizan, causant des pertes humaines dans les rangs de l'armée saoudienne, selon Al-Manar. La position de Touweyla, à Zahran Assir, a également été visée par une salve de missiles Grad, entraînant la fuite de soldats saoudiens à bord de leurs véhicules blindés. Selon Fars News Agency (FNA), le 31 août, «les troupes yéménites ont repris une base militaire stratégique dans les parties méridionales de l'Arabie Saoudite. Elles ont également pris le contrôle d'une base militaire dans la province de Jizan Mash'al. Des dizaines de soldats saoudiens ont été tués et plusieurs de leurs véhicules militaires et des chars ont également été détruits pendant le raid des forces yéménites sur la base». FNA rapporte encore que le 30 août, «lors des affrontements violents avec les forces révolutionnaires du Yémen dans la région de Najran en Arabie Saoudite, trois conseillers militaires américains ont été tués et deux autres blessés». La base militaire de l'armée saoudienne à Al-Khoba, située dans la province de Jizan, aurait été prise par l'armée yéménite le 3 septembre, selon des sources yéménites, dont l'agence de presse officielle qui a fait état de bombardements saoudiens pour tenter de reprendre cette base aux forces yéménites. Pour le quotidien Al-Akhbar, «quelque 250 kilomètres carrés du sol saoudien sont désormais aux mains des forces d'Ansar Allah qui entend mettre à profit le chaos pour reprendre le contrôle de trois provinces saoudiennes, Assir, Najran, Jazane, des provinces annexées en 1934 par Riyad et que, depuis cette date, aucun des gouvernements yéménites n'a osé revendiquer. Il y a quelques jours, un autre groupe du nom évocateur de «Front pour la libération de Najrane, d'Assir et de Jazane» vise aussi à obtenir la récupération de ces trois provinces. C'est dire que l'agression saoudienne a donné aux tribus du nord du Yémen l'occasion d'exiger leur restitution. «La plus grande défaite saoudienne au Yémen aura été le réveil du démon sécessionniste du Sud», commente un journal libanais.
H. A.-K.
Ancienne directrice de l'agence de presse AAI
 

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