Youssof Leclercq : «Les sanguinaires devraient écouter la musique au lieu de faire valser les têtes»

J’estime, jusqu’à preuve du contraire, être plus fondamentaliste que réformiste. Entre autres exigences islamiques, je souscris au port volontaire du hijab et du niqab par les musulmanes, sans restriction et au sein de n’importe quel espace, j’exige du véritable halal issu d’abattages effectués manuellement et sans étourdissement (à la juive) et j’adhère à la vision physique du hilal de Ramadan néanmoins calculé astronomiquement. Je suis donc, logiquement, dans le camp de ceux pour qui, de quelque doctrine (minhaj) qu’ils soient et quelles que soient leurs particularités dogmatiques, l’esprit ne doit qu’expliciter la lettre de la Loi divine sans jamais s’y substituer. Et, en mettant les points sur les «i», je préciserai que cette position réputée conservatrice ne m’incline ni à l’obscurantisme ni au terrorisme.
Néanmoins, le fait de se conformer strictement aux préceptes islamiques clairs, Coran et traditions prophétiques (hadith), ne signifie pas qu’il faille souscrire à la moindre «sous-tradition» sans raisonner. Car, à ce propos, nombre de donneurs de leçons dépassent parfois les bornes en enjoignant à tous, y compris à ceux qui n’en veulent pas, des règles et des extrapolations religieuses mineures, voire exubérantes. Au lieu d’insister sur l’amélioration des caractères et des comportements, sur le respect des engagements et des droits des individus, sur l’engagement désintéressé au service de sa religion et de ses congénères et la répression de ses mauvais penchants, ils ne font que rabâcher des évidences et exagérer l’importance canonique de certains usages accessoires, des djellabas, des couvre-chefs, des tailles de pantalons, des poils de barbe et des vertus médicinales de l’urine de chamelle.
Et on en vient donc naturellement à la condamnation outrancière de la musique par certains «savants», et au tollé quasi unanime (hormis la solidarité salafiste de bon aloi, mais néanmoins inappropriée) déclenché par les propos inconsidérés de Rachid Abou Houdeyfa qui l’a qualifiée de paroles de chaytane (diable) et a traité ses amateurs de futurs singes et porcs. «Tonnerre de Brest !», comme dirait le capitaine Haddock. On ne tire pas sur les ambulances à condition qu’elles ne transportent que des blessés et des hommes désarmés. Ce n’est pas le cas ici avec le prétentieux imam brestois qui non seulement ne regrette ni ses élucubrations éhontées ni ses citations coraniques et prophétiques mensongères, mais réitère ses divagations en fustigeant hargneusement et non moins orgueilleusement ses détracteurs, y compris votre serviteur dont il ne pouvait que déclencher l’ire.
Comme pour la télé, le cinéma ou le foot, la musique est de ces sujets tabous dont les musulmans, sans bien savoir pourquoi, doivent faire hypocritement semblant de se désintéresser, alors qu’ils en sont grands amateurs. En islam, ce qui n’est pas expressément interdit est autorisé, alors inutile de se retrancher derrière de grandes figures musulmanes qui l’ont légalisée, comme Ghazali ou Ibn Hazm, pour légitimer la musique. Hormis un commentaire (tafsir) tiré par les cheveux d’un verset de la sourate Luqman relatif à la poésie impie, il n’y a aucun verset dans le Coran qui bannisse explicitement la musique, et hormis des interprétations contestables, rien non plus de décisif dans le hadith. Charité bien ordonnée commence par soi-même, pourquoi donc vos muftis préférés bien inspirés ne condamnent-ils pas les hymnes nationaux en fanfare de leurs bleds respectifs ? Et tant qu’on y est, interrogez-les aussi sur les petites guéguerres fratricides que déclenchent périodiquement leurs dirigeants !
Comme quatre-vingt-dix pour cent de mes semblables, musulmans ou pas, j’écoute de la musique, involontairement ou pas, sans en avoir honte et sans jamais avoir constaté les conséquences diaboliques évoquées par notre histrion breton. Avant l’islam, j’ai chanté dans un groupe de pop music pendant plusieurs années et je n’ai jamais cessé d’apprécier les belles mélodies. Je travaille encore aujourd’hui en musique, et je me console de mes petits malheurs comme de la bêtise humaine en musique. Et, la musique étant censée adoucir les mœurs, mes coreligionnaires les plus sanguinaires feraient mieux d’y recourir pour être plus positifs et productifs, au lieu de guerroyer à tort et à travers pour faire valser les têtes humaines.
Daniel-Youssof Leclercq

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