Interview – Saïda Benhabyles : «L’Algérie est un exemple à suivre dans la gestion des migrants»

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Algeriepatriotique : Le Croissant-Rouge algérien (CRA) vient de recevoir les félicitations du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), selon lequel le CRA a développé une image rayonnante du mouvement humanitaire international. Quelle a été votre réaction ?
Mme Benhabyles : Nous avons reçu également les félicitations de la Fédération internationale des Croix-Rouge et Croissant-Rouge et de l’Organisation arabe des Croissant-Rouge et Croix-Rouge. En plus des félicitations écrites, ils nous ont décerné un trophée qui est exposé à l’entrée du siège. Pour nous, c’est un acquis. Nous nous sommes attelés à atteindre cet objectif depuis deux ans. Depuis que je suis à la tête du Croissant-Rouge, mon premier objectif est d’élever le niveau de l’action humanitaire du Croissant-Rouge au niveau de la volonté politique de l’Algérie et des valeurs ancestrales de notre pays dans ce domaine. Etant donné que le CRA est le bras humanitaire des pouvoirs publics, il est très important pour nous que nous soyons au même niveau que la volonté politique, sinon l’image de l’Algérie est automatiquement écorchée. Et nous sommes fiers de ces reconnaissances internationales, mais ce qui est plus important, c’est qu’Alger a été déclarée capitale de l’humanitaire, et le président de la République honoré en tant que Cavalier de l’humanitaire, et ce, le 16 mai passé, lors de la célébration de la Journée mondiale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge qui a eu lieu à Alger, en présence de toutes ces organisations internationales.
L’année passée, le couffin de Ramadhan offert aux nécessiteux pendant le mois sacré a été supprimé et remplacé par une somme d’argent. Qu’en est-il pour cette année ?
Malheureusement, cela n’a pas été fait. Et c’est l’appel que je lance. Nous, nous n’avons pas de budget. Il faudrait que les choses soient claires : si je devais gérer un budget, j’aurais axé mes efforts sur l’élaboration des listes de familles nécessiteuses et je préfère, pour la transparence et le respect de la dignité humaine, qu’au lieu de négocier avec les commerçants et faire les démarcheurs, j’aurais envoyé des mandats. Les listes établies à notre niveau sont faites selon nos coutumes…
C’est-à-dire ?
Dans un village ou une commune, il y a les notables, l’imam et le cheikh de la zaouïa qui se réunissent avec le Croissant-Rouge et établissent les listes des familles qui sont dans le besoin. Des listes établies en toute transparence avec la contribution des concernés. Malheureusement, comme je viens de vous le dire, le CRA ne dispose pas de budget. Nous semons la bonne parole. Nous voulons réinculquer les valeurs de la solidarité chez les Algériens. Et nous ne sommes qu’un trait d’union entre les bienfaiteurs et ceux qui sont dans le besoin. Maintenant, concernant la suppression ou non du colis alimentaire – je n’aime pas ce mot «couffin», il me rappelle le colonialisme et l’indigénat –, ce n’est pas moi qui décide. Le CRA n’est pas un ministère. Ce n’est qu’un auxiliaire des pouvoirs publics qui développe la culture de la solidarité. La politique de la solidarité est à la charge de l’Etat. Il y a une nuance entre culture et politique de solidarité. Notre rôle à nous est de développer et de dynamiser la culture de la solidarité en rapprochant les gens entre eux. Dans nos propres familles, on trouve des membres dans le besoin. Si chaque famille aidait un des siens, eh bien il y aurait moins de sans-abri et de miséreux ! Il y a des donateurs qui prennent contact avec nous. A titre d’exemple, un investisseur arabe, non algérien, dans le bâtiment, a mis à notre disposition 3 000 colis alimentaires, la valeur de chaque colis est de 7 000 DA. Nous ne recevons rien de tout cela. Je me suis entendu avec lui pour qu’il assure le transport. On lui indique juste les destinataires. Donc, l’aide va du bienfaiteur au bénéficiaire, directement. Cette démarche lui a tellement plu l’année passée qu’il a doublé la quantité cette année. Nous avons également l’entreprise Cheffa qui met à notre disposition 1 000 colis. Je tiens à préciser que nous n’acceptons pas n’importe quel colis. Nous l’avons fait avec une entreprise étrangère que je ne nommerai pas. Cette entreprise a mis à notre disposition soi-disant 2 000 colis alimentaires. Elle a même fait de la publicité et quand j’ai vérifié le contenu de ces colis, je les ai refusés, car leur valeur ne dépassait pas 1 000 DA. Je leur ai signifié que nous ne faisions pas de la publicité sur le dos des nécessiteux. Je voudrais ouvrir une parenthèse, car, parfois, les gens déforment l’information. Des rumeurs ont circulé selon lesquelles j’aurais interdit les restaurants «errahma». Ce n’est pas vrai ! J’ai organisé l’ouverture de ces restaurants. C’est-à-dire que j’ai posé des conditions. Ces restaurants ne doivent servir que ceux qui en ont besoin. Par exemple, le pauvre manœuvre qui travaille dans un chantier et qui va rompre son jeûne avec un bout de pain et une bouteille de limonade, les sans-abri, les Subsahariens qui traînent dehors et n’ont pas où aller. Ce que nous avons constaté ces dernières années, c’est que des gens garent leur voiture et en descendent pour aller manger dans ces restaurants sous prétexte qu’ils sont de passage – «âabir sabil». C’est très grave ! Priver de pauvres gens d’une quantité alimentaire est un crime ! J’ai interdit cela. Il y a autre chose qui m’a révoltée et à laquelle je voudrais mettre fin – je ne peux tout surveiller, mais je le dis pour que l’opinion publique le sache : certains restaurateurs que j’ai interrogés m’ont affirmé qu’ils ont servi des repas chauds à des familles. Imaginez la détresse et la tristesse de ces familles au moment où leurs voisins, pendant tout l’après-midi, cuisinent dans une ambiance ramadhanesque, attendant tristement d’aller récupérer un repas chaud. J’ai interdit cela aussi et demandé aux restaurateurs de donner des denrées alimentaires à ces familles pour qu’elles jouissent du plaisir de préparer leur repas elles-mêmes. Mais je n’ai pas interdit l’ouverture de ces restaurants. Je lance un appel pour qu’il soit mis fin aux opportunistes. Ce qui a saboté la politique de solidarité en Algérie, ce sont les opportunistes qui bénéficient des instruments que mobilise l’Etat envers les couches fragiles.
Avec la baisse des prix du pétrole, nous supposons que l’aide humanitaire que reçoit le CRA a diminué. En plus, vous refusez les subventions de l’Etat. Comment arrivez-vous à subvenir encore aux besoins des nécessiteux ?
Nous n’avons pas refusé, mais nous avons seulement adopté une ligne de conduite : ne pas demander de subventions. Nous faisons confiance à la population. Les gens travaillent. Voilà un exemple concret : la lettre d’un citoyen qui nous envoie une somme d’argent. Et il le fait de temps à autre. Je viens, à l’instant, de recevoir une personne. Elle me dit qu’il y a des gens financièrement à l’aise, mais malades. Au lieu de distribuer l’argent à tort et à travers, ces bienfaiteurs m’ont envoyé 1 000 000 de dinars. Je vais vous dire autre chose : quand il y a la transparence et la crédibilité, cela encourage les gens à donner. Nous avons reçu, il y a presque une année, une correspondance de la Caisse d’assurance de Créteil qui nous avise qu’il y a une personne nommée Fatima Gaumont, qui est décédée et qui a fait part dans son testament de céder son assurance vie de 100 000 euros au Croissant-Rouge algérien. J’en parle pour rendre hommage à la défunte et pour qu’elle soit un exemple pour les Algériens. On ne sait même pas si elle a des relations en Algérie ou pas. Elle a pensé à son pays et à ceux qui sont dans le besoin.
Les familles de Mihoub, à Médéa, sont restées dehors suite au séisme qui a secoué la région, malgré la promesse du gouvernement de leur fournir des tentes. Quelle action a entreprise le CRA pour cette population sinistrée ?
Dans notre stratégie, nous ciblons toujours les zones rurales. Médéa était dans le programme avant le séisme. Il y a des villages qui me tiennent à cœur, là-bas, et ce, depuis la décennie noire. Je me suis rendue dans cette localité de nouveau vendredi passé et j’ai distribué 500 colis alimentaires. J’ai rendu visite aux familles touchées par le tremblement de terre. En toute objectivité, tout ce que je sais, c’est qu’il y a une vraie volonté et une mobilisation. Un document m’a été remis par le wali qui recense toutes les actions qui ont été entreprises. Des spécialistes ont été dépêchés des wilayas environnantes pour expertiser les logements atteints. Les pouvoirs publics ont proposé un centre d’accueil adéquat et mis à leur disposition des médecins et des psychologues. Mais les familles ont refusé et je comprends leur refus. Elles m’ont affirmé qu’elles préféraient qu’il y ait une tente devant chaque maison. Je comprends qu’elles aient peur de rentrer et aussi qu’elles veuillent rester près de leur domicile pour éviter d’éventuels vols. Je crois que la solution a été trouvée auprès du ministre de l’Intérieur. Je dois me rendre sur place à nouveau pour connaître les besoins des populations sinistrées et apporter un plus, mais une fois qu’elles se seront organisées.
Vous avez annoncé le gel de dix-neuf comptes bancaires de l’organisation. Pouvez-vous nous dire ce qui en est réellement ?
Oui, le CRA n’a pas besoin de dix-neuf comptes. Il a besoin d’un compte en dinars et d’un autre en devises. Ce que j’ai fait. Néanmoins, je ne me permets pas de juger les autres ; je bénéficie de l’expérience des autres. Nous faisons tous des erreurs et l’essentiel est de ne pas persévérer dans son erreur.
Notre pays connaît un flux migratoire subsaharien de plus en plus important ces dernières années. Pensez-vous que l’Algérie soit en mesure d’y faire face ? A-t-elle les moyens financiers et humains pour la prise en charge de ces populations qui ont fui les guerres et la famine ?
Je n’aborde pas le problème dans ce sens. Je suis en train de militer pour atténuer ce drame humanitaire.
Comment ?
En œuvrant à faire en sorte que les espaces internationaux tels que la Fédération des Croix-Rouge et Croissant-Rouge, le CICR et tous les organismes humanitaires réussissent à devenir une force de pression sur les grands décideurs politiques aux Nations unies afin qu’ils réfléchissent profondément sur les conséquences de leurs décisions politiques sur l’humanité. Le drame humanitaire que nous vivons est la conséquence de l’irresponsabilité de ceux qui ont décidé de bombarder la Libye. L’Otan n’a jamais été un instrument de démocratisation. L’Otan est un instrument de guerre, et il le restera. Les conflits se résolvent par le dialogue. Les exemples ne manquent pas, à commencer par la Somalie, l’Irak, la région du Sahel, la Syrie, le Mali et les tentatives de déstabilisation de l’Algérie. Je ne suis pas adepte de la théorie du complot, mais il ne faut pas sortir de Saint-Cyr pour comprendre que la division du monde arabe a bel et bien été planifiée. Il faudrait s’attaquer à l’origine du mal. Il faudrait sanctionner et mettre fin à ces actes irresponsables. Nous, au Croissant-Rouge, nous faisons le maximum. Et quand je vous ai dit qu’Alger a été déclarée capitale de l’humanitaire, ce n’est pas par hasard ; c’est une considération pour tout ce que l’Algérie a fait et continue de faire pour les réfugiés, surtout ces dernières années. L’Etat algérien a respecté la dignité de ces gens-là. Dans les rues, vous ne voyez pas de gens malades. Ils se soignent gratuitement. A Tamanrasset, où se trouve la plus forte concentration de réfugiés, j’ai passé une semaine au milieu de ces réfugiés. Je leur ai offert un déjeuner. Ils étaient, à peu près, 600 migrants. J’ai fait le tour de table et discuté avec eux. Je suis partie à l’hôpital. J’ai discuté avec eux là-bas aussi. Ils m’ont dit qu’ils étaient bien soignés. Il y a même des Maliens qui, ne pouvant être soignés à Tamanrasset, se sont rendus à Alger. J’ai consulté les dossiers des malades migrants. Les malades dont les pathologies ne peuvent être soignées à Tamanrasset sont évacués par avion. Il y a quelques cas de sida. Des traitements, onéreux, leur sont fournis gratuitement. Il y a des malades qui viennent du Mali et du Niger pour se faire soigner, mais qui rentrent chez eux. Il y a des femmes enceintes qui viennent accoucher à Tamanrasset et repartent chez elles également. Quand le représentant de l’ambassade des Etats-Unis et l’ambassadeur du Japon sont partis là-bas et ont consulté les dossiers médicaux des migrants, ils sont restés bouche bée. L’Algérie fait ce qu’elle peut, mais que la communauté internationale prenne ses responsabilités et, pour ce faire, il faudrait qu’elle mette fin à l’utilisation des armes et de la force pour régler les problèmes. Qu’elle mette fin à l’ingérence. Qu’elle encourage le dialogue et la résolution des conflits de manière pacifique et qu’elle encourage le développement. Quand le gouvernement nigérien a sollicité le gouvernement algérien pour l’aider à rapatrier ses ressortissants en situation irrégulière, le gouvernement algérien a accepté et, étant donné que c’est une mission humanitaire, cette dernière a été confiée au CRA. Nous avons respecté toutes les normes (vêtements, visites médicales, vaccination, garder les malades et les femmes enceintes, etc.), des ambassades ont pris contact avec moi pour proposer leur aide, nous leur avons dit que nous étions capables d’accomplir cette mission et leur avons demandé de nous aider dans un autre domaine. J’ai proposé que leurs pays financent des micro-projets au profit de ces ressortissants chez eux. Nous commençons à cueillir le fruit de notre démarche. Le gouvernement suisse a dégagé 500 000 francs suisses pour financer ces micro-projets en faveur de ces Nigériens rapatriés. Si on encourage le développement, on mettra fin aux flux migratoires et l’Algérie est un exemple à suivre dans ce domaine.
Quels sont les projets du CRA ?
Nous avons trois célébrités du sport qui sont venues vers nous. Trois ambassadeurs de bonne volonté du CRA. Antar Yahia, Toufik Makhloufi et Hassan Benmehdi. Nous sommes en train d’élaborer un programme avec eux. Nous allons créer le marathon du Croissant-Rouge algérien. Un autre projet est en cours. Ces ambassadeurs veulent, en effet, faire signer des maillots et des chaussures de l’équipe nationale par les joueurs et mettre cela sur un site internet pour une vente aux enchères. Nous avons beaucoup de projets à l’avenir. Nous avons reçu, grâce à Ooredoo, trois cliniques mobiles de la part du joueur Lionel Messie. Nous les avons envoyées à Tamanrasset, Adrar et Illizi.
Pourquoi l’extrême sud uniquement ?
Parce que je connais très bien la région et ses besoins. J’ai vécu dans cette région depuis 1967. Je la connais par cœur. En plus de cela, il y a le flux migratoire et de plus en plus de gens ont besoin d’y être soignés. Ces régions ont besoin qu’on renforce leurs capacités à accomplir leur mission humanitaire. Nous lançons un appel à travers votre média pour en réclamer d’autres, car nous en avons besoin. Elles seraient destinées aux Hauts-Plateaux, aux campagnes et aux villages. Nous avons un projet qui nous tient à cœur, celui de créer un centre d’accueil pour recevoir les familles des cancéreux qui viennent de l’intérieur du pays. Nous avons une structure au niveau de la wilaya de Tlemcen qui a besoin d’être rénovée pour en faire un centre, surtout qu’elle est située près d’un hôpital pour cancéreux. Et elle va desservir toute la région. Nous sommes en train de sensibiliser des partenaires, tels que Naftal, Ooredoo et, peut-être, des entreprises chinoises aussi pour achever les travaux et l’équiper. Nous avons, par ailleurs, signé une convention de partenariat avec le Forum des chefs d’entreprises (FCE) qui s’est engagé à nous construire un dépôt de stockage qui répond aux normes internationales. Les démarches sont en cours. Nous avons obtenu un accord de principe de la wilaya d’Alger pour un terrain de 6 000 m2 à Douéra. Pour la solidarité alimentaire, nous allons signer un partenariat, ce mercredi 8 juin, avec l’entreprise publique de gestion des marchés de gros de fruits et légumes et l’Association des mandataires des fruits et légumes qui vont nous faire don de leurs produits pour alimenter les restaurants et les centres d’accueil pour réfugiés. Le lancement se fera pendant ce Ramadhan et l’opération durera toute l’année.
Un dernier mot ?
Je lance un appel à tous les Algériens pour renforcer les capacités du Croissant-Rouge. Tout ce que je peux promettre, c’est que je m’engage à ce que la transparence règne et tout ce qui sera donné ira à ceux qui le méritent pour atténuer un tant soit peu leurs souffrances.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi 

Commentaires

    mansouria
    18 juin 2016 - 16 h 11 min

    les centres d’accueil pour
    les centres d’accueil pour réfugiés c’est la rue on les trouve partout avec leur enfant entrain de mendier

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