Le général Nezzar : «J’exhorte les députés à ne pas voter la loi sur le droit de réserve !»

Le général Khaled Nezzar. New Press

Algeriepatriotique : Le chef d’état-major de l’ANP a présenté un projet de loi visant à empêcher les généraux à la retraite de s’exprimer. Comment réagissez-vous à cette décision ?

Le général Khaled Nezzar : Le projet de loi portant devoir de réserve qui est soumis aux députés est porteur d’une grave dérive liberticide. Il constitue, dans son esprit même, une menace contre la liberté d’expression et une atteinte aux valeurs démocratiques que défendent nos élus. Il est, par ailleurs, incompréhensible que quelques mois après l’adoption de la Constitution, alors que plusieurs textes d’application urgents en attente à l’Assemblée sont différés sine die, on se précipite ainsi et on donne la priorité au projet de loi qui vise à interdire la parole aux militaires.

Qu’est-ce qui explique cet empressement ?

Cela dénote l’inconsistance de nos autorités. Cela provient de leur peur peut-être, mais sûrement du manque de confiance dans cette frange de la société.

Pourquoi le pouvoir devrait-il avoir peur des militaires à la retraite ?

Il n’y a aucune raison objective qui justifierait une telle infamie. Les militaires, conscients de leur responsabilité vis-à-vis de la nation et du respect dû à la noble Armée nationale populaire, ne porteraient jamais atteinte ni à leur cohésion ni à leur unité.

En définitive, quelles sont les intentions réelles des initiateurs de ce projet de loi controversé ?

Ils veulent imposer le silence aux officiers retraités de l’Armée nationale populaire. Ceci revient à priver une frange de la société algérienne de son droit de s’exprimer et de participer au débat national sur les questions qui engagent l’avenir de la nation.

Le chef d’état-major apporte son soutien politique de manière ostentatoire au président Bouteflika. N’y a-t-il pas une contradiction, selon vous ?

En effet, ce projet de loi comporte une grave contradiction qui lui ôte toute légitimité, si bien que l’initiateur de ce texte veut, par le biais de cette démarche anticonstitutionnelle et antidémocratique, interdire aux anciens officiers de l’armée d’afficher leur opinion, alors que lui-même a ouvertement engagé à plusieurs reprises l’institution militaire dans l’arène politique. Ce faisant, le chef d’état-major de l’ANP a annihilé ce projet de loi avant même qu’il ait été conçu et soumis à l’appréciation de nos élus. Il a bafoué ainsi la tradition de l’ANP qui, lors de la Constitution de 1989 qui consacrait la démocratie, s’était retirée d’elle-même du Front de libération nationale, pour garantir une compétition politique saine.

Ce projet de loi sera-t-il adopté, à votre avis ?

Je suis mal placé pour répondre à cette question. Mais je puis vous assurer que cette incohérence et cette inconséquence du chef d’état-major de l’ANP rendent ce projet scélérat nul et non avenu. Il serait dès lors malheureux et triste pour la République que les députés cautionnent ce texte qui, si par malheur il était voté, ferait des honorables élus du peuple qu’ils sont les garants d’une action machiavélique qui ne vise nullement à sauvegarder les intérêts de la nation, mais à satisfaire les ambitions politiciennes démesurées et égoïstes de ses initiateurs.

Si vous deviez lancer un appel aux députés, quel message leur adresseriez-vous ?

Je leur dirais simplement que l’avenir de la démocratie est entre leurs mains et qu’il est dans l’intérêt du pays qu’ils ne le compromettent pas en adoptant un texte discriminatoire et exclusif qui menace la cohésion nationale. Quant aux députés qui se sont engouffrés dans cette mascarade, ils font tout simplement preuve de malhonnêteté.

Pourquoi cet acharnement du général Ahmed Gaïd-Salah à faire passer une telle loi ?

On sait que chez le militaire fruste et mégalomane, beaucoup plus que chez d’autres, sommeille le diable de l’aventure.

Que faire face à ces velléités «aventurières» comme vous les qualifiez ?

Tout Etat responsable doit y réfléchir pour éviter le désastre. Certes, les efforts consentis par le pays pour la génération post-indépendance des officiers en général, ont largement porté leurs fruits, que ce soit dans les domaines du commandement ou dans celui de la formation – ils ont de quoi nous réjouir et nous rassurer, quoi qu’il arrive quant à notre sécurité et celle de la nation tout entière –, mais nous sommes-nous posé la question de savoir si, par les temps qui courent, notre sécurité et celle de nos concitoyens sont entre de bonnes mains ?

Qu’entendez-vous par là ?

La recherche de l’efficacité consiste tout d’abord à travailler avec ses adjoints, car un chef militaire, quel qu’il soit, doit laisser place à l’expression des différentes compétences de ses subordonnés directs avant toute prise de décision majeure. Le retrait de l’ancien ministre de la Défense à l’époque (le général Khaled Nezzar, ndlr) visait justement à faire école et éviter aux autorités militaires la tentation de faire irruption dans les fonctions politiques suprêmes. Or, on assiste à un «concept» nouveau, faisant de la fonction militaire un nomadisme et une gesticulation de tous les instants. De même qu’on assiste à une boulimie effrénée dans la réalisation coûte que coûte d’équipements militaires au détriment de l’économie nationale. Ne sont-ce pas là des signes avant-coureurs d’une ambition démesurée ?

Propos recueillis par Karim Bouali

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