L’Etat algérien et la généralisation des subventions
Par Abderrahmane Mebtoul – L’Etat algérien a dépensé sans compter, a subventionné un grand nombre de produits de première nécessité, comme les céréales, l’eau et le lait, l’électricité et le carburant. En Algérie, de celui qui gagne le SNMG au chef d’entreprise national ou étranger, bénéficient des prix subventionnés, n’existant pas de système ciblé de subventions. La banque mondiale a noté, dans un rapport daté de 2012, que les montants des subventions sous forme de comptes spéciaux du Trésor, recensant sous différentes appellations, 14 fonds, allouées au soutien de services productifs, à l’accès à l’habitat et aux activités économiques étaient successivement de 40,83, 520,11 et 581,78 milliards de dinars, soit un total d’environ 1.143 milliards de dinars (équivalent à 16 milliards de dollars au cours de l’époque), représentant 14% du total des dépenses de l’Etat en dehors des dépenses de fonctionnement.
Pour la Banque mondiale, 277 milliards de dinars (pour les autorités algériennes, le montant est de 300) ont été réservés aux produits de large consommation (blé, lait en poudre, etc.), soit l’équivalent du quart des subventions accordées au budget d’équipement. A cela s’ajoutent les assainissements répétés aux entreprises publiques qui ont coûté au Trésor public plus de 60 milliards de dollars entre 1971 et 2015, les exonérations fiscales et de TVA accordées par les différents organismes d’investissement (Andi, Ansej) y compris pour les entreprises étrangères, dont il conviendrait de quantifier les résultats par rapport à ces avantages à coup de dizaines de milliards de dinars.
Le pouvoir algérien ne voulant pas de remous sociaux, les subventions jouent comme tampon social avec ce retour à l’inflation. Ainsi, les différentes lois de finances 2008-2016 ont proposé des mesures qui ont pour finalité de pérenniser la politique de l’Etat en matière de subvention des prix des produits de large consommation, encore que, selon bon nombre d’experts, l’impact est peu perceptible au niveau de la population et il n’est pas juste que tout le monde puisse bénéficier de certaines subventions, quelle que soit leur situation financière. Outre cette disparité dans l’octroi du soutien de l’Etat, il est signalé l’opacité dans la gestion de ces programmes. Ainsi se pose le problème de l’efficacité de toutes ces subventions sur le producteur local et sur le consommateur final, avec le processus inflationniste bien que compressé artificiellement par les subventions, du programme de relance économique basé sur la dépense publique donnant des taux artificiels de croissance et de chômage.
Les surcoûts avec parfois des abandons de projets, sont exorbitants, estimés entre 20 à 30% pour certains projets, étant des subventions indirectes supportées par le Trésor. Comme est posé l’efficacité du programme national du développement agricole (PNDA) qui a nécessité des dizaines de milliards de dollars (aucun bilan à ce jour) et de l’effacement de la dette des agriculteurs sur la production et la productivité agricole de l’Algérie.
Pour des subventions ciblées
Les subventions généralisées faussent l’allocation rationnelle des ressources rares et ne permettent pas d’avoir une transparence des comptes, fausse les normes de gestion élémentaires et les prévisions, tant au niveau micro que macroéconomique, aboutissant au niveau des agrégats globaux (PIB, revenu national) à une cacophonie additionnant des prix du marché et des prix administrés. Ils découragent, non ciblées, la production locale avec un gaspillage croissant des ressources financières du pays.
Comme se pose cette question stratégique : qu’en sera-t-il avec le dégrèvement tarifaire avec l’Europe horizon 2020 et son éventuelle adhésion à l’OMC où les produits énergétiques sont également concernés, notamment par la suppression de la dualité du prix du gaz ? Se pose cette question stratégique pour l’Algérie : peut-elle continuer à fonctionner sur la base de 70 dollars pour le budget de fonctionnement et 40-45 dollars pour le budget d’équipement en misant sur les infrastructures et une vision dépassée de l’ère matérielle des années 1970 alors que nous sommes à l’aube d’une nouvelle révolution économique tenant compte de la protection de l’environnement ? L’Etat pourrait ne pas avoir les moyens de continuer à subventionner certains produits alimentaires au cas où le baril descendrait sous 70 dollars.
L’instauration d’une chambre nationale de compensation indépendante, permettant des subventions ciblées, par un système de péréquation, suppose un Etat régulateur fort, mais fort par sa moralité, des compétences, la ressource humaine richesse pérenne, et la démocratisation des décisions. Cela implique forcément un réaménagement profond de la logique du pouvoir algérien reposant sur les forces sociales réformistes et non sur les rentiers qui tissent des relations dialectiques avec la sphère informelle spéculative, ne pouvant plus dépenser sans compter pour une paix sociale fictive grâce aux hydrocarbures qui s’épuiseront dans 15 à 20 ans, au moment où la population algérienne sera d’environ 50 millions d’habitants. Il s’agit impérativement de dépasser le statu quo actuel suicidaire et réorienter toute la politique économique pour l’émergence d’une économie hors hydrocarbures, et ce, pour le bien être de l’Algérie et des générations futures, mettant fin au cancer de l’économie de la rente qui se diffuse dans la société par des subventions généralisées et des versements de traitements sans contreparties productives ?
Face à la concentration excessive du revenu national au profit d’une minorité rentière, renforçant le sentiment d’une profonde injustice sociale, l’austérité n’étant pas partagée, la majorité des Algériens veulent tous et immédiatement leur part de rente, reflet du divorce entre l’Etat et le citoyen, quitte à conduire l’Algérie au suicide collectif.
A. B.
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