Dieu vous aveuglera et vous vous en irez (II)

Par Ali Farid Belkadi – Le gouvernement français, qui veut conserver ses nouvelles possessions d’Alger, réfléchit sérieusement à la fondation d’une colonie de peuplement en Algérie.

Rivalités européennes

Le gouvernement français, qui veut conserver ses nouvelles possessions d’Alger, réfléchit sérieusement à la fondation d’une colonie de peuplement en Algérie.

C’est le début de la colonisation.

La France, amoindrie par les défaites de 1815, est jugée incapable de posséder un empire par ses voisins européens. Elle n’a pas su s’imposer aux Indes et en Amérique. Les guerres françaises, soutenues en Europe, l’ont affaiblie et empêchée de rivaliser avec l’Angleterre, qui grâce à la maîtrise des mers – sa marine équivaut à celle de toutes les autres forces navales européennes réunies –, règne sur quelque 250 millions de sujets. Le commerce anglais est estimé à l’époque à plusieurs milliards. De quoi tenir pendant quelques siècles et se développer démesurément.

L’Espagne s’enracine sur la côte du Sahara et tente de s’agrandir au Maroc. Cette ancienne puissance médiévale, qui n’est plus que l’ombre d’elle-même, tente de protéger ses îles Carolines contre les convoitises territoriales allemandes.

Le Portugal, qui fut au cours du XVe siècle la plus grande puissance économique, sociale et culturelle à l’échelon mondial, accroît ses possessions au Congo en s’attribuant le Dahomey.

La Hollande s’empare de l’île de Sumatra.

La Russie s’installe durablement au cœur de l’Asie.

Le roi des Belges, Léopold II, grâce à une astuce pseudo-philanthropique, est parvenu à créer de toutes pièces l’immense Etat indépendant du Congo, avec l’aide de la Conférence de Berlin, en 1885. Celle-ci, qui réunit quatorze puissances du monde, place ce pays sous la souveraineté du roi Léopold.

L’empire allemand, qui veut sa part des terres mondiales, part s’établir en Nouvelle-Guinée, au Cameroun et au Congo.

L’Angleterre, surprise par d’autres pays européens dans l’Afrique centrale, s’arroge le delta du Niger. Elle occupe l’Egypte pour protéger son empire des Indes, se rapprochant ainsi de la Chine en conquérant la Birmanie.

L’Italie convoite la Libye et tente de s’établir en mer Rouge.

C’est l’escalade des dominations et des emprises européennes sur le monde, La France, qui est préoccupée du trop-plein de sa population, veut sa part des richesses africaines.

Après l’Algérie, elle établira en 1881 un protectorat en Tunisie ; puis elle s’appropriera le Haut-Sénégal, le Haut-Niger ainsi que le Congo occidental en lorgnant d’autres terres, dont Madagascar. Cette boulimie de possessions emmènera les politiques et les généraux français jusqu’en Asie, où s’opère la conquête du Tonkin et de l’Annam, après la Cochinchine et le Cambodge.

L’armée et l’armement sont des métiers qui rapportent.

C’est ainsi que de 1830 à 1882, en 52 ans, on a compté pas moins de 51 généraux ou hauts fonctionnaires civils, qui se sont succédé pour gouverner l’Algérie, à laquelle fut imposée une guerre larvée. Des insurrections récurrentes sont régulièrement étalées dans les manchettes des journaux de l’époque, elles sont minimisées et traitées de simples révoltes ou de tumultes passagers. Les nouveaux beys français remplacent les despotes turcs. Les Français emploient des moyens militaires excessifs pour soumettre les populations civiles. Des méthodes de répression à grande échelle sont expérimentées par l’armée française pour assujettir les populations autochtones, contrairement aux Turcs qui procédaient au paiement de l’impôt, sans chercher à prendre possession des territoires indigènes.

Dans son Histoire de l’Algérie contemporaine, l’historien Ch. A. Julien écrit à propos de l’intendant en chef de l’armée d’Afrique, le baron Pierre-Paul Denniée :

«A Denniée, qui expliquait sa fortune par l’héritage de cinq à six millions reçus opportunément d’un oncle de sa femme, le compositeur Rossini, à qui l’on devait L’Italienne à Alger, répliquait : ‘‘Je ne savais pas que le dey d’Alger fût l’oncle de votre femme.’’ Celui-ci détourna à son profit une partie du trésor de la Régence d’Alger.»

Clauzel

Le 7 août 1830, Clauzel est nommé commandant en chef de l’armée d’Afrique. A son tour, il désignera le mamelouk Yusuf capitaine d’une compagnie de cavaliers turcs, dès le 2 décembre 1830.

Le 12 janvier 1831, l’attaque de Médéa a coûté la vie à 162 soldats français, 301 ont été blessés.

Un rapport indique que Mustapha Pacha se plaint de l’occupation des mosquées. Dans une lettre datée du 2 février, il réclame des dédommagements pour l’appropriation par de hauts responsables français de ses possessions algéroises. Pendant ce temps, les soldats français n’ont aucune révérence pour les lieux de culte musulmans, qu’ils occupent à défaut de casernes suffisantes, ils dorment sur la brique. Contrairement aux lieux de culte juifs, des mosquées sont occupées par les soldats français ou transformées en écuries, des fourrages sont entassés dans les salles de prière ou transformées en églises. Certaines démolies. Des vols sont commis à l’intérieur des cultes musulmans. Les Français méprisent les Algériens et leur religion.

Des acquisitions immobilières jugées malhonnêtes

A titre personnel, le maréchal Clauzel, abusant de sa situation, détenait dans la Régence d’Alger un grand nombre de biens spoliés à des Algériens. Il possède une ferme sise à Maison-Carrée (Ouali Dadda), auparavant réquisitionnée par l’armée, que Clauzel s’était procurée le 3 décembre 1830 au prix de 360 francs de rente. Le terme rente est un bien grand mot, sachant le nombre incalculable de razzias opérées par Clauzel.

Vient ensuite une ferme à Baba-Ali, près de la Ferme-Modèle, achetée le 10 février 1831 au prix de 1 080 francs de rente.

La propriété de l’Agha, sise à la campagne, achetée le 20 février 1831, au prix de 900 francs de rente. Le Fondouk de l’Agha, acheté le 22 février 1831, au prix de 360 francs de rente. Le jardin Chebbach à Blida qu’il s’était procuré avec une insistance de vainqueur le 10 novembre 1833, auprès de Tizi El Ben Ali Ben Ismaël, bey de Tittery qui n’avait pas d’autre choix, au prix de 558 francs de rente. Une maison sise rue des Lotophages, à Alger, achetée le 11 janvier 1834 au prix de 2 160 francs. (extrait d’un état fourni par le directeur de l’enregistrement d’Alger le 23 décembre 1836).

A la suite de ces acquisitions immobilières jugées malhonnêtes par ses pairs, le maréchal Clauzel émit quelques protestations dans lesquelles il affirmait qu’il avait par ses acquisitions dans la Régence contribué à l’essor de la colonie.

Il écrivait, le 25 décembre 1830 : «Je vais donner un grand exemple en achetant un des premiers des propriétés dans un pays où nous avons tant de raisons d’attirer les Européens.»

Dans une autre lettre, il écrit : «En l’an X, j’avais donné le même exemple. Pour encourager les habitants de Saint-Domingue et les engager à la reconstruction de la ville, j’achetai aux enchères publiques, et avec la permission du général en chef, la maison de Toussaint Louverture. Dès lors, la confiance revint et la ville fut rebâtie. Avant cela, on n’avait pas relevé une seule maison. (…) Les habitants m’offrirent alors le remboursement du prix de l’acquisition que j’avais faite. Je refusai cette offre. Ils voulurent alors me donner 4 000 francs par mois pour frais de table et de représentation. Je refusai encore cette proposition, mais je les engageai à consacrer les sommes qu’ils voulaient me donner à la construction des défenses de la ville et, sur cette invitation, 500 000 francs furent dépensés pour les fortifications. Les habitants de Cayes, touchés de cette conduite, m’envoyèrent une députation pour me prier d’accepter le commandement de la province du Sud. Ils m’offrirent en même temps, en don, une des belles habitations de M. Delaborde. Cette magnifique propriété avait 400 nègres et portait plus de 300 000 francs de revenus. Je refusai encore ces nouvelles offres ; je poursuivis le cours des succès que j’avais obtenus dans la province du Nord. J’achevai l’entière soumission des noirs et les ramenai au travail. Un mois après mon départ de Saint-Domingue, les travaux furent abandonnés ; et les noirs reprirent les armes.»

«J’ai fait en Afrique, poursuit-il, ce que j’ai fait à Saint-Domingue. Y ai-je trouvé la même reconnaissance ?»

Le général Clauzel, qui sera fait Maréchal quelque temps plus tard, rajoute : «J’ai commandé à Saint-Domingue une portion de l’île et j’ai eu dans mes mains la fortune de beaucoup de ses habitants. J’ai commandé l’Illyrie, j’ai gouverné Raguse, j’ai été général en chef en Espagne et au Portugal, ces deux pays où se cache la source de tant de fortunes. En 1831, j’ai eu un million de fonds secrets à ma disposition et j’ai rendu 900 000 francs au Trésor. Dans cette même expédition de Constantine, sur laquelle vous savez tant de choses, j’avais 50 000 francs de fonds secrets, j’en ai rendu encore près de la moitié au Trésor. J’ai dit, et je l’explique ici complètement : il m’a été offert de négocier l’abandon d’Alger moyennant la somme de 100 millions pour la France et 5 millions pour moi. Et après 44 ans de service, je suis resté avec un patrimoine pauvre qui ne suffirait pas à l’ambition de la carrière la plus vulgaire, un patrimoine dont la plus grande part me vient de mon père, dont l’autre ne vient que de mes économies. Voilà ce que j’aurais à dire, si une parole pouvait terminer une pareille discussion !»

Une note du roi de France, en date du 14 juillet 1830, indiquait qu’il «serait convenable et politique de donner des titres dans les ordres royaux de France à tous les officiers étrangers qui ont participé à la prise d’Alger».

De même, il fallait affecter aux colons les propriétés abandonnées par les Turcs. Le séquestre des biens turcs, ordonné par le maréchal Soult, avait pour but inavoué «d’empêcher les compagnies anglaises de les acheter à vil prix».

Ali Farid Belkadi

Historien, anthropologue

(Suivra)

Comment (9)

    Mazouzi Ali
    28 février 2017 - 14 h 41 min

    Merci pour cet éclairage
    Merci pour cet éclairage supplémentaire que beaucoup de nos compatriotes ignorent, il faudra lire aussi un joli ouvrage de Pierre Péant – MAIN BASSE SUR ALGER – et là aussi, connaître les vrais raisons de CHARLES X
    sur l’aventure algérienne avec ces bourreaux ( général Bourmont et consort) et les escrocs en cols blancs tel
    que les Seillère et Schneïder qui ont transporté l’or de du Dey d’Alger à Palma et Toulon…
    Il ne faut pas oublier la dette d’avant la colonisation que la « Belle France » des droits de l’homme et du citoyen a contracté auprès de l’Algérie et…jamais rendue à ce jour.

    ALGERIEN Libre
    1 janvier 2017 - 21 h 00 min

    Ce n’est pas le cas en tout
    Ce n’est pas le cas en tout cas à Oran le nom de la rue CLAUZEL était donner à une rue oò il y avait des BORDELS un à coté de l’autre au village NÈGRES actuellement MÉDINA JEDIDA !!!

    Anonymous
    1 janvier 2017 - 11 h 03 min

    Je rends hommage à l’auteur
    Je rends hommage à l’auteur qui n’a pas attraper la grosse tête, il met à la portée de tous des écrits qui méritent du respect, d’autres se cachent dans leur tour d’ivoire.

    Ait walou
    1 janvier 2017 - 9 h 03 min

    Clauzel, était patriote, il
    Clauzel, était patriote, il pouvait finir homme riche, mais sa droiture envers son pays l’en empêchait, il n’omettait pas de rendre l’argent au trésor.

    moumouh
    31 décembre 2016 - 22 h 37 min

    Dans le temps j’ai été
    Dans le temps j’ai été modérateur d’un fournisseur d’accès, et j’avais accès à l’adresse TCP-IP des participants d’un Forum que j’avais lancé. Cela se passait en France. Le forum était consacré à l’Algérie. Je devais avoir une quarantaine de message « destructeurs » par jour. Il existait alors une application sur le www qui permettait de savoir d’où partaient les messages, ceux-ci s’affichaient sur une mappemonde, il suffisait de relever l’adresse TCP-IP. La virulence de certains posts laisse penser que ce sont des attaques calculées, émanant de pauvres types revanchards pour fausser le débat. Tirer vers le bas c’est leur but à ces gens-là, qui n’ont rien d’autre à faire que semer la zizanie.

      Anonymous
      1 janvier 2017 - 10 h 59 min

      Il m’est arrivé
      Il m’est arrivé personnellement d’utiliser l’application dont vous parlez, elle indiquait effectivement le lieu d’origine des messages, d’après la TCP-IP. Un sioniste de tel-aviv qui se faisait passer pour un algérien était vite démasqué. Je crois qu’il doit y avoir de çà sur AP, pour envenimer les discussions. A réflechir.

    Anonymous
    31 décembre 2016 - 14 h 17 min

    Malgré le mal qui a été fait
    Malgré le mal qui a été fait aux algériens, les vieux algérois disent toujours « marché clauzel » et « rue clauzel », les vieilles habitudes prennent toujours le dessus.

      anonyme
      31 décembre 2016 - 17 h 50 min

      oui malgré tout ça les
      oui malgré tout ça les algériens sont comme ça , ils ignorent la haine contrairement à votre génération de kharabisants incultes et haineux. Rebbi yehfadh dzair de la haine et des haineux!

    Jeux d'échecs
    31 décembre 2016 - 12 h 51 min

    Aujourd’hui comme hier rien n
    Aujourd’hui comme hier rien n’a changé en Algérie: toujours les mêmes escroqueries immobilières et foncieres. Donc ça ne changera jamais. Déterminisme historique.

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