Deux ans de silence face au génocide du peuple yéménite (I)
Par Houria Aït Kaci – Les crimes de guerre commis depuis deux ans contre le Yémen par la coalition arabo-occidentale menée par l’Arabie Saoudite sous couvert de l’islam passent mal auprès de l’opinion publique de cette région du monde transformée en un brasier par les planificateurs du chaos du Grand Moyen-Orient. Ils passent d’autant plus mal qu’ils sont le fait de riches monarchies appuyées par les USA, la Grande-Bretagne et la France, contre le pays le plus pauvre et la seule République dans la région qui veut garder son indépendance. Depuis le 26 mars 2015, des bombardements incessants ciblent les civils yéménites soumis à un blocus total et à la famine entraînant des milliers de victimes. Des bombes interdites sont larguées sur les enfants yéménites. La quasi-totalité des capitales arabes et leurs médias dominants observent un silence complice sur ce génocide.
Cette guerre injuste passe d’autant plus mal que les peuples, eux-mêmes opprimés, se sentent trahis par leurs gouvernants, ceux qui prônent «l’unité arabe», «l’unité de la nation islamique» et qui sont les premiers à agresser un peuple arabe et musulman. Quelle hypocrisie ! Durant toutes ces années, les peuples ont été abreuvés de tels slogans creux servis par leurs dirigeants, contredisant leurs actions. Cette guerre a été déclenchée par le roi d’Arabie Saoudite, «gardien des Lieux-Saints», qui prétend au leadership du monde musulman !
Les peuples trahis
Contrairement à leur opinion hostile à cette guerre injuste, les médias dominants arabes et occidentaux font un traitement biaisé de ce conflit, auquel ils accordent, d’une part, peu de place, et d’autre part, ils le réduisent à un conflit confessionnel sunnites-chiites, en présentant l’agresseur (Arabie Saoudite) comme étant la victime d’un complot chiite.
On peut expliquer que ce plan médiatique soit relayé par les médias dominants des pays membres et alliés de cette coalition par soutien à la politique extérieure de leur pays et de leurs intérêts économiques et géopolitiques. Mais cela n’explique pas le suivi de cette ligne éditoriale par la presse des pays non membres ou même opposés à cette coalition anti-yéménite, comme l’Algérie. Cela relève t-il de la domination informationnelle par la presse mainstream (dominante) ? Pourtant, diverses sources d’information et d’analystes existent sur le net pour échapper un tant soit peu à cette emprise, à commencer par la presse et les sites d’information yéménites qui, malgré la guerre, continuent à faire courageusement leur travail.
Aujourd’hui, les conséquences de cette guerre qui entame sa troisième année au Yémen, avec des bombardements sans répit, l’usage d’armes prohibées, des raids contre les civils et les infrastructures civiles du pays, un blocus total (terrestre, maritime et aérien), se traduisent non seulement par un grand nombre de victimes, avec plus de 11 000 morts (dont plus de 1 546 enfants, selon l’Unicef), 42 500 blessés, mais aussi 7 millions de personnes déplacées.
17 millions de Yéménites risquent de mourir de faim
Mais la famine tue encore plus que les bombes. Elle menace 17 millions de personnes, selon la FAO, soit près de 70% de la population. Les deux gouvernorats de Taez et d’Al-Hodeïda sont les plus touchés et risquent de «sombrer dans la famine» si aucune aide humanitaire n’est apportée dans ces régions où se déroulent d’intenses combats, précise la FAO. «Nous faisons face aux taux les plus élevés de malnutrition aigüe jamais enregistrés dans l’histoire du Yémen. Parmi les 2,2 millions d’enfants souffrant de malnutrition aigüe, 462 000 souffrent de malnutrition grave et aigüe. Concrètement, cela signifie qu’un enfant souffrant de malnutrition grave et aigüe a dix fois plus de chances de mourir si non traité à temps, qu’un enfant en bonne santé du même âge», a déclaré le docteur Meritxell Relaño, représentante de l’Unicef au Yémen, qui a lancé une alerte face à la catastrophe humanitaire au Yémen.
L’insécurité créée par les attaques de la coalition arabe qui cible les moyens de subsistance des Yéménites (fermes, barques de pêche, barrages, bétail) et les combats le long de la côte ouest ont endommagé Al-Hodeida, le plus grand port yéménite. «Les violences ont notamment perturbé les importations, qui représentent 90% des principales denrées du pays. Les restrictions d’accès et les pertes de bateaux, filets et autres équipements ont mis un terme à la pêche, l’une des plus importantes sources de nourriture et de revenus», indique un rapport de l’ONU. Pas moins de 2 millions de ménages yéménites qui travaillent dans l’agriculture sont privés de semences, d’engrais et de carburant pour leurs systèmes d’irrigation.
Les enfants yéménites, qui seront affectés toute leur vie par les séquelles de la malnutrition, même s’ils arrivent à survivre à ce désastre, conserveront à jamais dans leur mémoire les images de ces bombardiers qui pilonnent sans cesse leurs maisons, leurs écoles, leurs stades, leurs marchés, leurs mosquées, hôpitaux, leurs salles de cérémonies, leurs usines, leurs fermes, leurs barques de pêche ! Tout ce qui vit et donne naissance à la vie est ciblé. Même les monuments historiques et archéologies ne sont pas épargnés, dans une tentative d’effacer l’histoire millénaire de l’une des plus anciennes civilisations.
Des armes prohibées utilisées par la coalition au mépris des conventions internationales ont entraîné des malformations chez des nouveau-nés, comme cela a été signalé à l’hôpital As-Sab’ine, dans la capitale Sanaa. Selon la chaîne Al-Massirah, qui rapporte cette information le 22 mars, «plus de 5 nouveau-nés atteints de malformations proviennent comme par hasard de la région côtière ouest, c’est-à-dire Harad et Al-Hodeïda, exposées aux raids de la coalition saoudo-américaine», qui a «utilisé des armes chimiques et testé d’autres armes prohibées contre les Yéménites».
La vie de millions de Yéménites ne mérite pas d’être sacrifiée pour remettre sur son trône le président démissionnaire contesté Abd Rabbo Mansour Hadi, qui a lancé un appel pour une intervention étrangère contre son pays, contre son peuple. Ce qui, partout dans le monde, relève d’un acte de trahison. Pourquoi «le commandement des forces de la coalition pour le soutien de la légitimité au Yémen» n’a-t-il pas laissé les Yéménites régler leurs différends entre eux par la voie du dialogue politique, au lieu de déclencher cette guerre sanglante ? La vie de millions de Yéménites méritait-elle d’être sacrifiée sous prétexte de «contrer la menace iranienne» à travers les Houthis (mouvement politico-religieux d’inspiration khomeyniste) ?
Faux prétexte
Si la révolution khomeyniste a inspiré par ses idées le mouvement des Houthis, qui s’est soulevé contre leur marginalisation par les différents gouvernements et l’injustice au Yémen, pourquoi l’Arabie Saoudite n’a-t-elle pas fait prévaloir d’autres idées, d’autres moyens pacifiques, pour contrer cette influence, au lieu de déclencher cette guerre d’extermination des Yéménites, qu’ils soient d’obédience chiite ou sunnite ? Riyad a pourtant usé de moyens importants pour financer le parti El-Islah (salafiste) et des tribus yéménites entières, notamment au sud du Yémen, qu’elle cherche à séparer du nord. Cette influence «sonnante et trébuchante» n’a-t-elle pas été payante ?
Avec l’argent dépensé dans cette guerre au Yémen, qui, selon le magazine américain Foreign Policy, s’élèverait à plus de 725 milliards dollars, l’Arabie Saoudite pouvait, pour «contrer l’influence iranienne», aider, par exemple, son voisin yéménite, le pays le plus pauvre de la région, à financer des investissements dans le développement de ses riches ressources pétrolières, au lieu de bloquer le développement de ce pays considéré comme son arrière-cour ?
Puissance et servitude du royaume Al-Saoud face à l’empire
La monarchie wahhabite a toujours tiré sa puissance et sa richesse de son pétrole et de son statut particulier auprès de l’empire anglo-saxon, qui a aidé à sa création par le roi Ibn Saoud en 1932 et qui a assuré sa protection et sa sécurité. C’est ce qui est du reste stipulé par le Pacte du Quincy, conclu le 14 février 1945, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, entre le roi Ibn Saoud et le président américain Franklin Roosevelt. Ce pacte, garantissant la fourniture de pétrole contre la protection du royaume, et valable pour une durée de 60 ans, a été renouvelé en 2005 par le président américain Georges Bush pour la même période.
Houria Aït Kaci
(Suivra)
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