Rendez-nous nos nobles crânes [1]

Par Khider Mesloub – L’Algérie, ce pays embryonnaire, tout juste enfantée dans la douleur par l’Histoire, arrachée du ventre dévorant du colonialisme au moyen d’une opération militaire qui n’eut rien de chirurgicale tant les dommages sanglants et collatéraux occasionnés par l’ennemi ont été particulièrement meurtriers, l’Algérie donc a entamé dès son indépendance son évolution, son accroissement. Certes, avec un retard manifeste sur de nombreux pays. Mais ce qui est tout à fait normal, ayant subi longtemps des occupations étrangères. Quoiqu’avec difficulté, lentement, mais sûrement, l’Algérie a su se dresser sur ses pieds pour marcher à pas forcés vers le progrès. Après une fulgurante enfance, menée dans la réjouissance de la liberté recouvrée, l’Algérie s’est retrouvée propulsée en quelques années en une nation prodige admirée par le monde entier. Elle est devenue La Mecque des révolutionnaires. La Sorbonne de l’Afrique. Elle faisait ainsi l’admiration de nombreux pays, particulièrement pour sa glorieuse victoire sur le colonialisme. En effet, animée par un esprit de sacrifice et armée d’un courage exemplaire, elle a su vaincre la plus grande puissance coloniale. Sortie victorieuse de cette guerre pourtant militairement inégale, elle a aussitôt entrepris de construire le pays avec le même état d’esprit révolutionnaire. Et dans un esprit démocratique et égalitaire, du moins pour une grande partie de la population.

A peine dressée sur ses pieds, l’Algérie a chaussé les souliers des connaissances pour courir ardemment vers le progrès. La tête résolument tournée vers l’avenir, elle a pris d’assaut les savoirs dans un élan brûlant d’énergie pour effacer l’ignorance orchestrée et laissée par la France coloniale. Détentrice de ce butin de guerre symbole révolu de l’occupation séculaire, l’Algérie s’est attelée à fructifier ce trésor linguistique français pour bâtir des têtes pensantes pour les propulser, telles des fusées, vers le firmament du savoir. Le résultat ne s’est pas fait attendre. En quelques années, une prestigieuse génération est apparue sur la scène publique dotée d’une prodigieuse instruction à faire pâlir de jalousie l’ancienne puissance coloniale. Ses nouveaux bagages intellectuels en tête, cette florissante génération, toute ragaillardie par ses connaissances, a entrepris de grimper dans le wagon de l’Histoire du progrès pour rattraper le train de la civilisation moderne. Mais, à peine les fruits du développement économique surgis sur l’arbre de l’Algérie en phase de croissance récoltés, obtenus grâce à l’ensemencement des graines du savoir déversées par cette brillante et entreprenante génération animée d’une volonté de réalisation extraordinaire, que les pouvoirs politiques et surtout militaires ont contrarié la pérennisation de cette germination prometteuse. Obnubilée par le pouvoir et résolue à s’y accrocher, une oligarchie des frontières, jamais départie de ses habitudes rustres et guerrières, s’est lancée, en effet, dans une politique policière répressive fondée sur une économie rentière d’où elle puisait sa richesse et sa domination.

Cette économie, basée sur le sable du Sahara, a transformé rapidement l’Algérie en désert industriel. Les puits de pétrole ont vidé toute l’énergie intellectuelle et manuelle du pays. La jeunesse a été réduite à une existence végétative. Plus l’extraction de l’or noir augmentait, plus l’activité productive du pays reculait. Plus l’étendue des champs pétrolifères s’élargissait, plus la surface allouée à l’agriculture s’amenuisait. Plus la population se multipliait, plus l’activité professionnelle se raréfiait. Plus la richesse obtenue grâce au pétrole grandissait, plus la pauvreté s’accentuait. Plus la culture des raffineries s’érigeait dans le désert algérien, plus le raffinement culturel urbain des Algériens se désagrégeait pour finir par les déserter. Plus l’éducation arabisée à outrance se massifiait, plus la masse d’ignorances outrageait l’Algérie d’antan. Plus les lieux de culture se tarissaient, plus les lieux de culte croissaient. Au même moment où les minarets sur l’ensemble du pays pullulaient, dans le même temps les écoles algériennes polluaient. Au point où le délabrement du système éducatif algérien a fini par favoriser l’emballement et l’embrasement de l’islamisme. Pour aboutir à ce saccage et carnage des années noires, où la mort rôdait à chaque coin de rue. Au final, acculés par la dégradation des conditions économiques et le climat du terrorisme sanguinaire de la décennie noire, des millions d’Algériens, parmi lesquels une majorité d’intellectuels, ont plié au cours de ces dernières années bagage pour s’exiler à l’étranger. Laissant un pays en friche culturelle, intellectuelle, industrielle et même spirituelle (car, contrairement à l’opinion répandue, la religion, et surtout la religion musulmane actuelle, ne recèle aucune spiritualité). Et le reste de la population, demeurée malgré elle au pays, n’a eu d’autre choix que de continuer à vivre dans une Algérie kaboulisée, dévorée par une économie parasitaire.

Alors, monsieur le président de la République, si je vous sollicite aujourd’hui, c’est pour porter à votre connaissance la dramatique situation de l’Algérie. Je compte sur votre bienfaisance pour remédier à ce grave problème de la fuite des cerveaux et des forces vives de la nation. On ne peut continuer de laisser les grands crânes algériens accaparés par les pays étrangers. Il est de l’honneur de notre pays de rapatrier ces prestigieux crânes exploités par d’autres pays. Il est de notre devoir de récupérer ces cerveaux algériens qui seront plus utiles à notre économie.

Autre requête primordiale. Déployez tous les moyens en votre pouvoir pour nous restituer (ressusciter) les nobles têtes couronnant les fiers corps des Algériens (iennes) de jadis. Aujourd’hui, en effet, même leur corps s’est rabougri, leur allure gauchie, leur tête vidée, leur âme anémiée, leur fierté ravalée, leur échine baissée, leur croyance religieuse pervertie, leur conscience politique atrophiée, leur humeur aigrie, leur humour évanoui, leurs sentiments desséchés, leurs émotions gelées, leurs larmes taries, leurs amours avilies, leur honneur déshonoré, leur morale marchandisée, leurs valeurs mercantilisées, leur dignité monnayée, leurs espérances désespérées, leur éducation assassinée, leur civisme massacré, leur politesse étranglée, leur élocution appauvrie, leur regard éteint, leur sourire crispé, leur rire noirci, leur intelligence viciée, leur culture islamisée, leur islam déculturé, leur algérianité orientalisée, leur amazighité politisée, leur combativité volatilisée, leur personnalité infantilisée.

Monsieur le Président, si vous deviez accomplir quelque geste salutaire pour le bien de l’Algérie avant votre définitif départ, accéder à ma requête : exaucer mes vœux, rendez-nous l’Algérie de naguère, récupérez tous les nobles crânes entreposés (exilés) à l’étranger et à l’intérieur du pays pour leur permettre de relever dans la dignité le pays.

Enfin, laissons les crânes de nos martyrs reposer en paix.

Occupons-nous plutôt des crânes des vivants, tués à petit feu par un système ennemi des Lumières, de la Vie.

Mesloub Khider
Educateur spécialisé

[1] Clin d’œil à la controverse actuelle sur le rapatriement des crânes des résistants algériens entreposés au Musée de l’Homme en France

 

Comment (5)

    Vision
    18 avril 2017 - 17 h 34 min

    Tant que ses traitres
    Tant que ses traitres gouverneront, y auras rien du tout , ils sont pas ALGERIENS, ET CA LES TOUCHES PAS , QUE LEURS COMPTE BANCAIRE ET LEUR BIEN IMMOBILIER EN FRANCE LEUR MAITRE ,LA VIE D’UN ALGERIEN NA PAS DE VALEUR POUR EUX

    Bekaddour Mohammed
    18 avril 2017 - 17 h 01 min

    @lehbilla… Je dois d’abord
    @lehbilla… Je dois d’abord exprimer ma sincère reconnaissance à A.P, tu sais Le Temps finit par tout dévoiler, il dévoile ce qui CHEZ NOUS ET CHEZ EUX empêche que le débat civilisationnel soit limpide, tant que les mauvaises graines de CHEZ NOUS ET DE CHEZ EUX maintiennent les choses dans un ordre inférieur, la graine émir Abdelkader est si rare, de même que chez eux il n’y a plus qu’Israël qui veut La Barbarie, Le Bas etc

    Thidhet
    18 avril 2017 - 15 h 38 min

    Ils nous rendront sûrement
    Ils nous rendront sûrement nos « nobles crânes », comme vous dites. Mais nous rendront-ils nos cerveaux?

    Bekaddour Mohammed
    18 avril 2017 - 7 h 15 min

    Cet écrit est comme une
    Cet écrit est comme une harangue d’un chef militaire, et la France n’a pas que des crânes à rendre, mais Un Compte : Ya Firensa ya’ti yaoum el hisab… Où sont les Algériennes et Algériens pour ce Compte ? A suivre

      lehbilla
      18 avril 2017 - 8 h 23 min

      bonjour bekaddour,

      bonjour bekaddour,

      Pour l’instant il n y a que des algériennes et des algériens qui ont des comptes en banque en France…et des suites logiques au panama et autres paradis.

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