L’affaire Leïla Sidhoum ou les dégâts d’une police de la pensée

Université, Sidhoum
Le ministre Hadjar est-il au courant qu’il existe une «police de la pensée» au sein des universités ? New Press

Par Bachir Dahak – La triste mésaventure vécue par Leïla Sidhoum suite à la soutenance de sa thèse intitulée «Rôle de l’élite au pouvoir dans le processus de transition démocratique en Algérie 1989-2016» est bien la preuve, ou du moins une preuve supplémentaire, que l’Université algérienne n’est pas encore sortie de son habillage policé et scrutateur qui cumule indistinctement la méfiance structurelle de tout le système vis-à-vis des pensées libres et l’autocensure des sous-chefs et des seconds couteaux dont le zèle imbécile renvoie à la responsabilité de ceux qui ont assuré leur promotion, loin, évidemment, de tout critère universitaire ou pédagogique.

Dès lors qu’on confie un secteur aussi stratégique que l’enseignement supérieur à des personnages sulfureux dont la seule ambition est de participer aux agapes de ce qui nous tient lieu de République, comment dès lors s’étonner d’assister au spectacle affligeant de ces cabales d’un autre âge que l’on fait subir à des universitaires téméraires qui, dans l’adversité et l’indifférence, veulent encore accomplir leur noble mission d’enseignants ou de chercheurs ? Peut-on oublier que le Pr Ahmed Rouadjia a été condamné à six mois de prison ferme suite à une plainte pour diffamation du… recteur de l’Université de M’sila, que Farid Cherbal, professeur à l’université des sciences et de la technologie d’Alger, a été interpellé un jour à la sortie d’un cours par des policiers et présenté directement devant les juges, que les agresseurs des enseignants de l’Université d’Alger III, en février 2017, étaient des amis du recteur Rabah Cheriat ?

Voilà résumé le contexte ahurissant dans lequel se déroule le psychodrame d’une thèse de doctorat approuvée par un jury universitaire et recalée par un doyen intérimaire qui n’a pas hésité à exiger une relecture de l’ouvrage, en l’expurgeant de ses aspects subversifs. Il suffit donc au système de placer dans les différents rouages de l’administration universitaire des fonctionnaires serviles et médiocres pour garantir l’impunité de ses différents parrains, eux-mêmes rattachés politiquement ou idéologiquement à l’une des chapelles de la «gouvernance», tout cet attelage morbide ayant pour seul objectif d’empêcher l’université de troubler ou faire douter, de dénoncer ou d’analyser le mode d’emploi d’un libéralisme sans foi, ni loi.

Ce «doyen intérimaire» qui a jugé opportun d’avertir «les services de sécurité», de retirer cette thèse subversive de la bibliothèque et de harceler Leïla Sidhoum, qu’il ait été instruit dans ce sens ou non, a tout simplement mis en branle l’outil de l’autocensure, sachant pertinemment que ce genre d’incursion dans l’immoralité a assuré la carrière de beaucoup de nos dignitaires et qu’il ne viendra pas à l’esprit de Hadjar, son ministre, de le lui reprocher puisqu’ils partagent la même obsession : empêcher l’université d’être elle-même.

Ce mal de l’autocensure est ancien et j’en veux pour preuve qu’en 1983 j’ai présenté à l’OPU (Office des publications universitaires) la thèse de droit public soutenue en 1982 et intitulée «Les associations en Algérie. Réflexions sur les stratégies étatiques vis-à-vis du phénomène associatif».

Les deux responsables d’alors, Necib et Oussedik, m’annoncent qu’ils doivent confier le travail de lecture au Pr Ahmed Mahiou, réputé exigeant et sévère. Deux mois après, le compte-rendu du Pr Ahmed Mahiou tombe et il est on ne peut plus encourageant puisqu’il est rédigé ainsi : «Ce travail révèle une incontestable maîtrise de la synthèse et du raisonnement. A éditer et coéditer.»

J’avais pensé que c’était gagné mais je ne savais pas que nos deux responsables allaient dégainer l’arme de l’autocensure puisqu’ils me proposent très rapidement de supprimer les passages où j’ai été très critique vis-à-vis du FLN que j’avais qualifié d’«institution douairière», incapable d’accompagner les soubresauts d’une société en totale recomposition et porteuse de questions inédites.

Ils me demandaient également de supprimer tous les passages où j’expliquais que l’Etat algérien, malgré toutes ses prétentions, ne pourra jamais accoucher d’une société à son image, que les organisations de masse (UGTA, UNJA, UNPA ou UNFA) n’étaient que la continuation de l’administration sous des formes différentes. J’expliquais que les associations de droit commun étaient l’embryon de l’Algérie de demain parce que porteuses des aspirations démocratiques (l’association étant elle-même un mini-schéma de la démocratie) et des enjeux du futur (environnement, consommation, culture, statut des femmes, urbanisme, etc.).

Je m’étonnais en conclusion qu’une thèse consacrée aux associations et à la liberté d’association soit à ce point dominée par un acteur omniprésent, c’est-à-dire l’Etat, d’abord par le biais d’une législation extrêmement répressive mais également par des stratégies sournoises visant à caporaliser des pans entiers de la société.

J’ai évidemment refusé catégoriquement de supprimer la moindre virgule de mon travail car, comme pour la thèse de Leïla Sidhoum, il y avait déjà un avis scientifique d’un universitaire. Toute autre intrusion administrative n’est qu’une forme avérée d’une police de la pensée, la même qui prétend interdire aux Algériens de rencontrer des écrivains en Kabylie ou ailleurs, la même qui organise un open-bar audiovisuel permanent au profit des barons de la corruption, la même, enfin, qui s’offusque d’un simple commentaire sur la Toile mais qui tolère l’humiliation d’un de nos plus grands écrivains vivants.

B. D.

Comment (8)

    MERCI INTERNET 2.0
    30 juillet 2017 - 23 h 28 min

    apparemment y’a encore des gens qui n’ont pas entendu parler de la toile , le web …
    des bestsellers sont édités et gratuitement sur le net …donc pour des théses ….excusez moi mais…
    maintenant allez , au travail , car la technologie n’attend pas …

    MERCI INTERNET
    30 juillet 2017 - 23 h 24 min

    pfffff…à l’ére du TOUT DIGTAL & TOUT NUMERIQUE , nul besoin de passer par le recteur et Cie . pour éditer sa thése et ses recherches ….y’a qu’à bien chercher et en plus 99% de internet c’est du gratuit ….

    MELLO
    28 juillet 2017 - 19 h 39 min

    La plaie s’est vraiment infectée, Mr Bachir Dahak, vous avez remis le couteau dans cette plaie , plutôt béante. Symbole par excellence de la lutte pour la libération du pays, l’université Algérienne est devenue un ennemi juré de ce pouvoir. Cette plaie mal refermée fut cette date du 19 mai 1956, lorsque le FLN libérateur invita les Etudiants Algériens à rejoindre le maquis. Dix mois après la création de l’UGEMA, les dirigeants
    du FLN historique, vont inviter leurs camarades, inscrits à l’université d’Alger et ailleurs, à boycotter les cours et les examens. Ainsi, les universitaires algériens, mais aussi les lycéens, rejoignent sans réticence les maquis pour lutter contre le joug colonial, imposé injustement au peuple algérien. Des décennies après, nous avons comme l’impression que cette université paie son engagement contre le colonialisme Français. Peut-on construire une nation, un Etat de droit et la démocratie sans la science et le savoir ?. Les aptitudes des étudiants ont dramatiquement baissé. Nombreux sont ceux qui ont le diplôme à la main mais qui ne sont pas capables de rédiger une dissertation, de traduire dans les faits un décret ou de répondre à un courrier administratif : «C’est une catastrophe». Il faut se souvenir que certaines grandes puissances n’ont ni pétrole ni gaz, elles ont juste des écoles ou elles enseignent à leurs enfant la science et le savoir. Il faut avouer que l’école est l’otage d’une caste hautement spécialisée dans le mercantilisme idéologique et les faux semblants. L’Algérie qui était classée durant les années 50 et 60 comme le phare culturel de la méditerranée, l’Algérie qui a produit Fanon, Camus, Mammeri, Dib, Djebbar, Feraoun, Haddad, Sahli, Benabi…est classée aujourd’hui derrière les pays du Sahel. Mais peut-il en être autrement lorsque dans un parti politique, neuf cadres supérieurs sur dix ignorent tout de la stratégie et de la doctrine de la formation à laquelle ils appartiennent ?

    VIVE L'ALGERIE!
    26 juillet 2017 - 21 h 05 min

    cette réaction du responsable « par intérim » porte un nom , c’est la tristement célèbre assabiya arabe , intolérance extrême; tous les algériens instruits et conscients de la gravité de la situation dans la quelle nous sommes la connaissent puisqu’ils en font les frais régulièrement et à des degrés divers

    Abou Stroff
    25 juillet 2017 - 14 h 24 min

    l’université algérienne, en tant qu’appareil idéologique (voir Althusser) au service de la marabunta qui nous gouverne se doit de veiller à la pérennisation du pouvoir de cette dernière. par conséquent, toute pensée qui sort des chemins balisés doit être combattue et annihilée. pour cela, la marabunta qui nous gouverne nomme ses serviteurs aux postes de commande (du ministre à l’agent de sécurité, en passant par le recteur, le doyen et le chef de département), lesquels serviteurs font souvent de l’excès de zèle pour être promus. moralité de l’histoire: l’université algérienne a été nivelée par le bas, avec l’appui indéfectible de la majorité des universitaires, ces derniers ayant adopté depuis des lustres le slogan « ragda ou t’mangi » comme mots d’ordre principal. par conséquent, le réveil de l’université algérienne n’est guère pour demain

    Anonyme
    25 juillet 2017 - 14 h 08 min

    tout le monde sait que t. hadjar n’est ministre de l’enseignement supérieur que parce qu’il est le frère du spécialiste des « coups d’état » scientifique du parti du fln. jusqu’à preuve du contraire, le ministre en question n’a fait qu’occuper des postes administratifs (comme tout bon serviteur de la marabunta qui nous gouverne) et n’a jamais brillé en tant qu’universitaire. moralité de l’histoire: ce n’est pas demain que l’université algérienne sortira de la m…. dans laquelle « on » l’a enfounée.
    PS: il suffit d’observer comment sont nommés les divers responsables (du ministre au gardien de parking, en passant par le recteur, le doyne, le chef de département) ) de l’université pour comprendre que l’université est dans un état de déliquescence avancée du même niveau que la société algérienne dans sa golbalité.

      Abou Stroff
      25 juillet 2017 - 14 h 47 min

      le lecteur aura, au regard du style d’écriture, compris que l’anonyme est votre serviteur Abou Stroff

    Akli Boughzer
    24 juillet 2017 - 21 h 44 min

    Je dis bravo à cette Universitaire d’avoir mis sur la place publique des pratiques d’un autre âge dignes du régime de Pol Pot n’est-ce pas M.Hadjar?

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