Pourquoi il faut transcender les divisions et sauver le pacte social
Tout a commencé par une bouderie. Le Premier ministre, fraîchement désigné en remplacement d’Abdelmalek Sellal, refuse de se trouver dans un même lieu que le président du FCE lors d’une cérémonie officielle. L’incident est relayé par les médias, qui y voient un divorce entre le pouvoir et l’homme d’affaires Ali Haddad et sa puissante organisation patronale, jusque-là réputé pour sa grande proximité avec les centres de décision. Ce qui ne devait être qu’une «brouille» entre le chef de l’Exécutif et le patron des patrons a donné du grain à moudre à une certaine presse étrangère traditionnellement hostile à l’Algérie.
Les questionnements fusent de toute part. Les observateurs de la scène politique nationale sont dubitatifs. Les officines étrangères sont dans le brouillard. S’agit-il d’un lâchage du magnat des travaux publics ? Y a-t-il une volonté de s’attaquer aux acteurs de l’économie formelle ? Une telle probabilité signifierait que l’économie algérienne est bâtie sur des bases fragiles et que son devenir est suspendu au fait du prince et tributaire de décisions arbitraires. Cela voudrait dire aussi que les capitaines d’industrie seraient instrumentalisés et créés de toutes pièces par un cercle restreint au sommet de l’Etat.
D’aucuns s’interrogent, par ailleurs, si la sortie du Premier ministre ne relèverait pas d’une «erreur de communication», voire d’une «mauvaise interprétation» d’une orientation politique visant à séparer la sphère politique du secteur économique, quand bien même le lien entre ces deux éléments est nécessaire et même vital pour hisser l’économie du pays et assurer une croissance économique telle qu’elle garantisse l’avenir des générations futures. Les quiproquos et les incompréhensions seraient propices à des dérapages, dont une des conséquences pourrait être la déstabilisation sociale.
Où est l’esprit du pacte économique et social ?
Parce que c’est bien du pacte économique et social dont il s’agit. Dans une Algérie où les richesses sont créées à partir de la dépense publique – source d’économie pour l’essentiel des entreprises publiques et privées – et où les aides sociales agissent comme un ciment social, il est apparu nécessaire de créer un cadre réunissant les actions politique et économique.
Or, ce cadre «politique» – doté de moyens, d’acteurs et d’objectifs nobles, voulu par les plus hautes instances du pays comme une plateforme de concertation où tous les scénarios fondateurs d’une Algérie nouvelle et prospère sont discutés – a failli voler en éclats. Et c’est surtout l’esprit du pacte économique et social qui a failli disparaître à jamais.
Personne – et encore moins les responsables politiques ou économiques – ne doit mettre en péril une politique de développement qui touche un tiers de la population, soit 14 millions de jeunes, et qui a été mise en œuvre depuis près de deux décennies. On peut corriger la trajectoire d’un processus en marche par un réajustement de ses objectifs au gré des évolutions du monde qui nous entoure, de certaines mesures non productives et de procédures, par une amélioration du processus du dialogue en élargissant le cercle de concertation, et par une accélération des réformes par plus de délégation à l’échelon politico-administratif local, afin de prendre en compte les besoins des entreprises et des citoyens.
Il faut instaurer un climat de confiance entre l’administration et l’administré, entre le politique et l’économique, entre le législatif et l’exécutif. Il faut, dans le même temps, aller vite et sans état d’âme pour aspirer à jouer dans la cour des grands. Il y a lieu également d’autoriser le plus de liberté dans l’action en mettant chaque acteur face à ses responsabilités et d’instaurer un contrôle a posteriori pour atteindre le but recherché. Cette vision est en parfaite adéquation avec l’esprit du pacte économique et social voulu par le Président, défendu par les gouvernements successifs et soutenu par toutes les entreprises publiques et privées de l’économie formelle sans exception aucune.
Où est l’erreur ?
Mais qu’est-ce qui a fait que tout un pays ait été secoué par une banale question d’interprétation ? Malgré toutes les critiques qui tendent à assombrir le tableau, la gouvernance en Algérie respecte toutefois des règles et un code qui font sa politique nationale et internationale. Le Premier ministre est le chef d’orchestre ; il obéit à une feuille de route, assume une direction et gère dans la collégialité les affaires les plus sensibles du moment. En négligeant les formes qui mènent à la décision, dans l’analyse d’un fait, c’est l’Etat tout entier qui est marqué du sceau de la non-fiabilité, de l’amateurisme, voire de «pratiques mafieuses».
Dès lors, l’erreur se situe-t-elle dans le manque de communication ? Certainement. Aussi, l’Algérie a-t-elle besoin d’une communication plus fréquente, sans fanfare, sectorisée et menée par des spécialistes appliquant une feuille de route qui assure la transparence, la confiance et la normalité du contrôle de résultats.
Mais la communication n’est pas le seul point faible. L’erreur se situe également dans le manque d’acteurs économiques et politiques. Il faut des dizaines d’Ali Haddad, Amor Benamor, Mahieddine Tahkout, Mourad Oulmi, Issad Rebrab, etc., plusieurs firmes de l’envergue de Sonatrach, Algérie Télécom, etc., mais tous contribuant à l’élargissement de l’assiette fiscale nécessaire au soutien de la politique sociale fondatrice, à tort, de l’unité nationale.
Le mauvais timing a, lui aussi, eu un impact négatif. Est-ce un hasard ? En tout cas, cette question ne se serait pas posée si les rendez-vous de concertation – tripartite, communication gouvernementale, etc. – étaient réguliers. L’ensemble n’aurait pas été affecté par un événement aussi anodin qu’une mésentente entre un représentant de l’Etat et un acteur économique.
L’Etat étant garant de la stabilité, comment satisfaire cette condition si les marchés d’Etat, les textes de loi et les cahiers des charges, aujourd’hui encore fondateurs de la stabilité économique et sociale, sont sans cesse remis en cause ? Le progrès social passe par le développement de l’administration, de l’entreprise et de leurs services aux citoyens.
Alors, à qui profite la déstabilisation ? Est-il judicieux de privilégier les sujets qui divisent quand l’heure est à l’union ?
Karim B.
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