Afrique-Asie, c’est fini !

Afrique-Asie
Majed Nehmé. D. R.

Par Richard Labévière – Le numéro de septembre 2017 d’Afrique-Asie est le dernier. Le mensuel vient de déposer le bilan et ne paraîtra plus. Quelle tristesse de voir ainsi ce titre historique disparaître ! Dans la presse française, Afrique-Asie était une institution. Lancé en 1969 par Simon Malley, Africasia est devenu Afrique-Asie en 1972. Suite à des difficultés financières, la diffusion s’interrompt de juillet 1987 à octobre 1989. A l’époque, Le Monde place Afrique-Asie «au premier rang de la presse tiers-mondiste de langue française». Effectivement, le titre s’inscrit dans la filiation de la conférence de Bandung (1955), à la convergence du non-alignement, de la Tricontinentale et des mouvements de décolonisation africains et asiatiques.

Militant à la plume acérée, Simon Malley n’a pas que des amis. Il est momentanément expulsé de France en 1980, accusé de nuire, par ses propos, «aux intérêts de la France dans des Etats ayant avec elle des relations diplomatiques normales», selon les propos du ministre de l’Intérieur de l’époque, Christian Bonnet, en réponse à une question à l’Assemblée nationale de Laurent Fabius. En 1981, avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en France, Simon Malley peut revenir et poursuivre l’aventure éditoriale d’Afrique-Asie.

En décembre 2005, le journal dépose le bilan, ciblé depuis des années par un contrôle fiscal politique. Simon Malley portera plainte contre l’administration fiscale, contestant auprès du tribunal administratif les conclusions de cette enquête à charge qui aboutira à la liquidation de la société Afriasial qui exploitait le titre. Le tribunal lui donnera raison, mais à titre posthume, puisque le fondateur historique du titre est décédé le 7 septembre 2006, un an après avoir été contraint de déposer le bilan.

Majed Nehmé – rédacteur en chef d’Afrique-Asie depuis dix-sept ans – prend, avec quelques anciens du journal, l’initiative de relancer le titre qui sera exploité par une nouvelle société, la Sarl Afriam. Progressiste franco-syrien, ce grand connaisseur du monde arabe – intellectuel tous terrains – améliore la qualité éditoriale, l’expertise, le réseau des correspondants et des collaborateurs. Afrique-Asie est régulièrement diffusé dans une cinquantaine de pays. Parallèlement à la version papier, il est possible de consulter le magazine en ligne, augmenté par des papiers et reportages qu’on ne lit nul par ailleurs.

En effet – sous la direction de Majed Nehmé – la qualité et la spécificité du titre ne cessent de s’améliorer, tranchant singulièrement avec la descente aux enfers de la presse parisienne mainstream. Pour les habituels «chiens de garde», une telle liberté est insupportable : Afrique-Asie, qui est régulièrement cité et repris par la presse internationale, mais systématiquement exclu et censuré par la plupart des revues de presse dans l’Hexagone, notamment par celle de Radio France Internationale (RFI), radio publique censée être spécialisée en affaires africaines… Sans parler de Mme Ockrent-Kouchner et de ses étranges Affaires étrangères sur France-Culture…

Dans tous les cas de figure, les rédactions parisiennes ont toujours préféré Jeune Afrique et ses publi-reportages politiquement corrects à la liberté de ton et la profondeur des informations et enquêtes d’Afrique-Asie. A cela s’ajoutent, bien sûr, les difficultés structurelles actuelles de la presse écrite – baisse des annonceurs, coût de la distribution et diffusion, etc. – et la multiplication de sous-produits numériques dédiés à l’Afrique, sans que l’on puisse voir toujours clairement les financements comme les intentions de ces «experts» du moment.

Mais le coup de grâce est venu de celui-là même qui interpellait Christian Bonnet sur la liberté de la presse française dans les années 1980 ! De bonne source, on sait que la lecture d’Afrique-Asie donnait des boutons au distingué normalien qui fut le chef de notre diplomatie de 2012 à 2016, avant d’aller pantoufler à la présidence du Conseil constitutionnel. Depuis le début de la crise syrienne (mars 2011), les papiers d’Afrique-Asie ont eu le don de faire grimper Laurent Fabius aux rideaux du Quai d’Orsay. En 2014, un contrôle fiscal zélé (on n’ose dire politique !) s’abat à bras raccourcis sur Afrique-Asie. Voilà donc un titre résolument internationaliste, déconstruisant avec intelligence les crises internationales, prônant les valeurs de laïcité, de lutte contre le communautarisme et les confessionnalismes religieux, déchiqueté par les petites mains de Bercy.

L’auteur de ces lignes croise un jour Pierre Moscovici, qui venait de quitter Bercy pour rejoindre la Commission européenne, et l’alerte sur ce contrôle fiscal. Le baron socialiste prend son air le plus concerné, avant de demander la communication du dossier sur son email personnel. Trois mois plus tard, la réponse mérite citation : «Bercy est souverain de ces choix en matière de contrôle fiscal.» Rien de plus normal, mais on peut toujours se demander pourquoi Médiapart, Libération ou L’Express n’ont pas goûté les délices d’une telle souveraineté.

Voilà donc une douzaine de chômeurs de plus dans le secteur déjà sinistré de la presse et un titre prestigieux qui va – probablement – renaître dans un pays voisin… C’est d’une grande tristesse, surtout lorsque l’on connaît Majed Nehmé, l’un des hommes les plus délicieux, courtois et profonds de la corporation journalistique française, laquelle, pendant ce temps, continue dans sa majorité de s’abîmer dans l’opportunisme, l’ignorance et le carriérisme.

Et à la tristesse s’ajoute la colère, parce que la disparition d’Afrique-Asie pourrait bien être le symptôme du retour de la censure au soi-disant pays des droits de l’Homme et de la liberté d’expression. Evidemment, lorsqu’on explique ça dans les dîners en ville, on vous regarde avec des yeux ronds d’incrédulité, sinon d’indignation, parce que les «chiens de garde» de la grande presse veillent au grain tous les jours que Dieu fait et que les Français sont très mal informés de l’évolution de leurs médias.

Donc, Afrique-Asie n’est plus ! Vive Afrique-Asie, qui renaîtra un jour, d’une manière ou d’une autre, parce qu’on ne peut décidément pas laisser le champ libre aux désinformateurs. Bonne lecture, donc ! Et à la semaine prochaine, parce que nous écrivons et publions depuis la ville de Jean-Jacques Rousseau.

R. L.

Comment (7)

    Mello
    25 octobre 2017 - 18 h 16 min

    Afrique -Asie , voila une revue qui s’etallait chez nos buralistes des annees d’or. C’etait lorsqu’on prenait notre cafe a la brasserie en face la faculte centrale , on faisait un pas a cote , c’est le buraliste chez qui on le prenait pour 3,60 DA. A sa lecture , notament l’editorial de Simon Malley, vous vous laissez envahir par un tourbillon de fierte , la fierte d’appartenir a ce continent Africain qui se reveillait et lAlgerie en faisait partie. Le monde occidental etait mine par des mouvements revendiquant la liberte et l’appartenance nationale , sans savoir que le cours du temps allait les diluer dans un regrouppement heteroclite de pays , economie liberale oblige. Des annees apres, Afrique -Asie ne traverse plus la mer Mediterrannee, nos buralistes se retrecissent par manque de lecteurs, l’ecole Algerienne est passee par la, non seulement mais aussi par la faute de nos gouvernants qui limiterent les journaux etrangers, pour nous obliger a lire El Moudjahid, Echaab, revolution Africaine -organe centrale du FLN. ON AURAIT PU ETRE LES SAUVEURS DE AFRIQUE -ASIE SI NOTRE POLITIQUE ,MINEE PAR LA FRANCE , NE S’EST PAS MELEE. Vivement son retour et son retour en Algerie.

    Contribution
    25 octobre 2017 - 4 h 19 min

    « Il est momentanément expulsé de France en 1980 [par le Président Giscard vers le Gabon], accusé de nuire, par ses propos, «aux intérêts de la France dans des Etats ayant avec elle des relations diplomatiques normales», selon les propos du ministre de l’Intérieur de l’époque, Christian Bonnet [ et actuellement contributeur sur ce site, chargé de rendre les agissements coloniaux de la France moins condamnables] ».
    Les raisons de l’expulsion méritent d’être rappelées et soulignées. Nous sommes en 1980, quelques mois aprèsla mort tragique (au polonium?) de Boumediene). Simon Malley publie un numéro de l’hebdomadaire où il révèle le premier voyage secret de Shimon Pérès à Rabat où Israël et le Maroc mettent en place le plan (ultra) secret de déstabilisation de l’Algérie. Tous les détails de ce plan sont révélés: annulation de l’autorisation de sortie des Algériens; normalisation des relations entre l’Algérie et le Maroc allant jusqu’à l’ouverture des frontières; montée de l’islamisme (Frères musulmans, appelés alors khawanjia); le programme anti pénurie pour vider les caisses; rachat par la France de la dette extérieure de l’Algérie, la France devenant le principal créancier de l’Algérie; arrêt des investissements productifs; crises dans les approvisionnements (tomate concentrée; jusqu’à la semoule d’octobre 1988) ; émeutes de la faim; pillage; répression. Malley (que Dieu ait son âme) en avait tellement mis que tout le monde le prit pour un fou avec ce scénario improbable relevant de la science-fiction. L’affolement des officines de renseignement fut à la mesure du danger danger (pour elles et de leurs noirs desseins): le jour-même Simon Malley fut mis manu militari dans un avion et expédié chez Omar Bongo, le Noriéga de la France. Le rappel de ce militant par Mitterrand en 1981 fut la plus grande mystification de l’Histoire récente qui a vu la gauche parachever ce que la droite française, timorée, n’arrivait pas à faire avec le dossier palestinien: voyage de Mittérrand à Jerusalem; bombardement et destruction par Israël du réacteur Osiris en Irak, pourtant construit par les Français; main-mise sur l’Algérie, etc….
    =============
    Nous souhaitons que AP demande à Monsieur Bonnet d’écrire SA contribution sur cet évènement, maintenant préscrit.

    mdamar
    24 octobre 2017 - 19 h 07 min

    c’est dommage que cette revue disparaisse. j’aurai préféré que s’enterre à jamais jeune afrique mais si par hasard ce journal continue de paraître ce titre lui irait si bien: harka d’afrique

    HANNIBAL
    24 octobre 2017 - 15 h 48 min

    Hé .bin plus de concurrent reste le torchon cheun afrique dont les manchettes pourront a loisir vanter le royaume de sodome VI a souhait étant financé par sa gracieuse majesté les prétextes fallacieux de démocratie ont eut raison
    d’Afrique Asie reste sa place dans mes favoris .

    LOL
    24 octobre 2017 - 14 h 05 min

    Liberté de la prese en France , démocratie ….hahahahahah lol , partout pareil : C’est le mensonge qui dirige ce Monde malheureusement !

    Kahina
    24 octobre 2017 - 13 h 13 min

    La France préfère les journaux manipulables qui vivent grâce aux articles sur-commande juste comme leur  » Jeune Afrique » disponible à tout moment pour nuire aux pays africains qui n’acceptent plus la présence française en Afrique.
    La France n’aiment pas les plumes qui ont de l’étique professionnelle.

      bougie
      24 octobre 2017 - 18 h 01 min

      Afrique- Asie est mort faute de lecteurs dégoutés par le manichéisme militant permanent .Ils croyaient détenir toujours et sur tout sujet l’absolue vérité ( Pravda en russe ) Jamais de remise en question ,ils n’ont jamais reconnu leurs énormes et terribles erreurs ,la libération encensée du Cambodge par les Khemrs rouges ,la ‘libération’ du Zimbabwe par Mugabé devenu dictateur à vie ,quand on se trompe de cette façon sans le reconnaître on désespère les lecteurs fatigués par un mensuel à l’esprit totalitaire .

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