Exclusif – L’expert en TIC Ali Kahlane explique comment contrer le jeu suicidaire Blue Whale

Selon l’OMS, un individu doit montrer une addiction anormale au jeu pendant au moins un an. D. R.
Selon l’OMS, un individu doit montrer une addiction anormale au jeu pendant au moins un an. D. R.

Algeriepatriotique : Pourquoi le jeu Blue Whale est-il à ce point inquiétant ?

Ali Kahlane : Depuis que les jeux sur ordinateur existent, nous en avons vu de toutes les natures. Les plus populaires sont les défis, surtout lorsqu’ils sont viraux. Certains sont inoffensifs, quelques-uns ridicules, d’autres sont simplets, mais rares sont ceux qui ont été aussi préoccupants et inquiétants, comme ce «jeu» qui encourage son joueur à l’automutilation et ultimement au suicide.

Le «Blue Whale Challenge» ou encore «Le défi de la baleine bleue», un nom poétique pour un jeu dangereux aux conséquences tragiques. Il a vu le jour il y a deux ans. Il nous vient de l’équivalent russe de Facebook, Vkontakte ou VK. Son nom s’inspirait d’une légende populaire selon laquelle la baleine serait capable de se suicider volontairement en s’échouant sur une plage. Alors que Bloomberg, lui, a suggéré que le nom est une allusion aux paroles d’une chanson d’un groupe hard rock russe.

Les événements récents qui se sont passés chez nous, notamment les enfants qui se sont suicidés à Béjaïa et à Sétif, et, qui semblent, d’après les premiers indices, dus à la pratique de ce challenge rendent urgent la prise en charge de ce qui prend l’allure d’une menace sérieuse envers notre jeunesse.

En quoi ce jeu consiste-t-il au juste ?

Ce jeu a été conçu pour les adolescents de 10 à 14 ans au plus. Il fonctionne selon le principe du parrainage. La personne souhaitant participer doit se trouver un tuteur qui lui lancera alors une série de défis. Ceux-ci sont au nombre de 50, à raison de un par jour.

Les actions sont alors données et décrites, au fur et à mesure, par le tuteur. Les défis à relever sont de plus en plus dangereux, jusqu’à mener au cinquantième et ultime challenge. Les activités demandées vont de la vision d’un simple film d’horreur à l’automutilation en passant par l’écoute active de musique triste et choisie pour la mise en condition. La dernière tâche requise pour «gagner» le jeu est le suicide.

Dans la pratique, dans un échange type de «recrutement», un dialogue type (en fait, un vrai dialogue que j’ai récupéré sur les réseaux sociaux), le tuteur explique au jeune participant le principe du jeu : «Le dernier jour est la fin du match. Si tu meurs, tu gagnes. Si tu ne le fais pas, je t’aiderai. Es-tu prêt ? Tu ne dois pas hésiter, tu ne peux pas quitter.Tu dois continuer. Je sais tout sur toi !»

En effet, dans le cours des défis, l’enfant aura à prendre des photos intimes de lui et, incognito, de sa famille. Ces photos serviraient d’objets de chantage au tuteur, que le tuteur menacerait de publier dans le cas d’un retour en arrière.

Un exemple de post sous VKontakte d’un tuteur «pêchant» une victime qui peut arriver grâce à un des hashtags mentionnés : «Si quelqu’un a besoin d’un tuteur, je peux l’être. T’as qu’à m’envoyer un message et je te donnerai ta première tâche // If someone needs a tutor I can be it. You only have to send me a message and I’ll send you your first task. #Bluewhalechallenge #baleinebleue #Tuteur #Francais #English».

D’où ce jeu dangereux nous vient-il ?

Tout remonterait à novembre 2015, lorsqu’un journal russe, suite à une enquête qu’il a menée, découvre une communauté sur le réseau social Vkontakte nommée «f57» et qui partageait des images de mutilation. La photo d’une jeune fille est publiée dans cette communauté juste quelques heures avant qu’elle ne se suicide en se jetant sous un train. Bien qu’on lui connaissait des problèmes familiaux, la rumeur court très vite qu’elle aurait été la première victime du challenge en question. Des communautés sont alors créées pour entretenir ce mythe autour du suicide de la jeune fille. Le même journal arrive au décompte macabre d’au moins 80 suicides qui seraient potentiellement liés au challenge.

Bizarrement, la police n’a relié aucun de ces suicides au challenge. En effet, on est en droit de se demander comment cela se fait-il que les autorités russes n’aient débusqué et/ou arrêté aucun des tuteurs et/ou parrains qui guideraient les jeunes jusqu’à la 50e et tragique étape de ce challenge ?

Par ailleurs, le concepteur de ce jeu, un certain Philip Budeikin âgé de 21 ans, a été arrêté, jugé et condamné à 3 ans de prison pour avoir causé le suicide de 16 jeunes adolescentes qui ont pourtant toutes joués au challenge.

Dans une interview qu’il a donnée à un média de Saint-Pétersbourg, en Russie, qui lui a demandé s’il avait été réellement à l’origine de la mort de ces adolescentes, il déclara que ses victimes n’étaient que des «déchets biologiques» et qu’il était persuadé de «nettoyer la société». Il ajouta : «Oui, je sais ce que je fais. Ne vous inquiétez pas, elles étaient heureuses de mourir. Je leur avais donné quelque chose qu’elles n’avaient pas dans la vie réelle : la chaleur, la compréhension et surtout appartenir à une communauté.» Et de surenchérir : «Ces personnes ne représentent aucune valeur pour la société, elles faisaient et elles auraient fait plus de mal à la société.»

Il faut noter que malgré que ce monsieur soit toujours en prison, les suicides ont continué. Sur les 130 suicides d’adolescents répertoriés en Russie, plus de 60% étaient motivés par le Blue Whale Challenge.

D’autres pays sont-ils touchés par ce phénomène inquiétant ?

De nombreux pays dans le monde considèrent ce jeu comme une menace sérieuse et des mesures énergiques ont été prises pour la pallier. Les autorités de l’éducation des pays européens, de Russie, du Royaume-Uni mais aussi des Etats-Unis, de la Chine et de l’Inde, pour ne citer que celles-là, ont lancé des avertissements, des explications et des exercices de sensibilisation à tous les niveaux, aussi bien envers les parents que le personnel enseignant, les élèves et le personnel médical, notamment dans le métier de la psychologie, et les services sociaux.

Les réseaux sociaux sont copieusement mis à contribution pour atteindre ceux-là qui sont ciblés sur les mêmes plateformes pour les atteindre plus facilement. Les adolescents qui se sentent perdus, seuls, déprimés et sans espoir de voir leur vie s’améliorer seraient les plus susceptibles de participer à ce funeste jeu.

C’est ainsi que le compte tweeter de l’équivalent de notre Gendarmerie nationale de la République d’Irlande, avec humour, conseille aux parents de surveiller de près tout ce que fait leur progéniture sur internet, en particulier sur les réseaux sociaux. Il leur annonce qu’ils seraient alors capables de non seulement attraper la baleine bleue, mais aussi d’attraper des choses encore tout autant nuisibles qui peuvent mener aux cyber-détournements, aux cyber-menaces, etc.

Est-ce un canular ?

Effectivement, certains sites déclarent que le Blue Whale Challenge serait un canular. Même si personnellement je suis peu enclin à l’admettre vu la réalité des choses. Mais en fait, peu importe… Même si c’est le cas, il peut toujours représenter un danger pour tous les adolescents qui sont potentiellement vulnérables. En effet, il se trouverait toujours des personnes malintentionnées qui les détourneraient pour leur propre besoin tout aussi maléfique. La viralité du jeu fera le reste pour le dévoyer encore plus et à souhait. Le danger est le même, et la prévention et la cure aussi.

Y a-t-il un moyen de contrer cette menace qui met la vie de nos enfants en péril ?

D’abord, les pouvoirs publics se doivent de prendre cela en charge tant du point de vue d’une véritable gestion de crise de société que du côté de la prévention pour laquelle les services de sécurité sont bien outillés et les premiers concernés. La prévention doit passer par la communication, la sensibilisation du public, des parents et des enfants dans les écoles et collèges. Il faut que les pouvoirs publics utilisent les mêmes canaux de communication que ces jeunes. Il ne s’agit pas d’être uniquement tapi dans l’ombre, attendre que les cybercriminels se manifestent pour les prendre la main dans le sac. Il faut de la proactivité et de la proaction à tous les niveaux.

Tous les services de sécurité et surtout la Sûreté et la Gendarmerie nationales doivent avoir au moins une page Facebook, Instagram et un compte Tweeter destinés à la prévention, la sensibilisation, la communication et au maintien d’une présence opérationnelle sur les réseaux sociaux. Il est vrai que ces services existent et font un travail admirable dans le monde réel, mais ils sont lamentablement absents dans le monde virtuel. Or, le monde virtuel déborde depuis déjà quelques années sur le réel et risque même de le surpasser dans un proche avenir ne serait-ce que par sa complexité non assumée par les pouvoirs publics. Le challenge est d’être et de prendre pied pour ne pas être dépassé.

Les pouvoirs publics et les services de sécurité pourraient, à travers leurs comptes dans les réseaux sociaux, créer des groupes «AntiBlueWhaleChallenge», «AntiBaleineBleue», etc., pour rediriger les jeunes captés par de funestes hashtags et les amener vers des jeux de même type que la baleine bleue, mais dont toutes les étapes seraient positives et optimistes, menant au bonheur, à l’amour de la vie et de son prochain.

Exemple de contre-attaque réelle lancée par une communauté anti-Blue Whale.

Comment peut-on détecter qu’un enfant est un féru de ce jeu ?

Il existe au moins dix signaux qui indiquent que votre enfant s’est pris à ce jeu morbide :

1- Votre enfant se réveille-t-il à des heures indues de la nuit et regarde-t-il un film sur la TV ou l’ordinateur ? Les victimes sont souvent invitées à se lever tard dans la nuit, à 3h ou 4h20 du matin, et à regarder des films d’horreur et des vidéos psychédéliques.

2- Méfiez-vous des coupures ou des taillades sur leur corps. Les victimes sont généralement encouragées ou contraintes à se couper et/ou se scarifier «f57» ou une baleine bleue sur leurs bras ou leurs jambes. La position des coupures et des scarifications peut varier.

3- Vérifier si votre enfant est bien au lit. S’assurer qu’il ne se faufile pas à l’extérieur en pleine nuit. Les victimes sont connues pour aller sur les ponts, les toits – le plus haut possible – habituellement avant l’aube, où on leur demande de s’y installer avec leurs jambes pendantes. En fait, pour les préparer au saut mortel.

4- La victime pourrait également commencer à écouter de la musique que le tuteur lui envoie. Cela peut être difficile à saisir, car les goûts musicaux de votre enfant peuvent simplement avoir changé. Mais vous pouvez toujours surveiller leur expression et leur humeur quand ils écoutent ce type de musique. Surtout si l’enfant n’a pas l’habitude d’écouter de la musique.

5- Méfiez-vous des changements soudains de comportement… Si votre enfant devient tout d’un coup reclus ou de mauvaise humeur, vous devez vous inquiéter.

6- Méfiez-vous aussi d’une longue présence sur internet, à des moments indus de la journée ou de la nuit.

7- Soyez aussi proche que possible de votre enfant, sinon il vous sera difficile de détecter un comportement anormal, si vous n’avez aucune idée de ce que peut être son comportement «normal».

8- Tout en laissant un espace de liberté, et si vous pensez que l’enfant est victime du jeu, il faut alors le surveiller d’une manière intensive, en particulier dans l’utilisation des médias sociaux, cela pourrait sauver sa vie.

9- Faire attention à l’utilisation à certains hashtags : #f57, #f58, #420, #baleinebleue ou encore #baleinedemer, dans ses communications.

10- Enfin, surveiller la publication de dessins ou de photos représentant le cétacé ou tout ce qui peut ressembler à un poisson, peu importe sa couleur.

Comment prévenir qu’un enfant soit piégé ?

Avant de donner quelques signes avant-coureurs de l’emprise de ce jeu sur l’adolescent, il est important de faire le point sur l’outil qui lui permet d’être aussi exposé et vulnérable.

Il est anormal que les parents munissent leurs enfants mineurs d’une tablette, ou pire, d’un Smartphone sans savoir ce qu’ils en font. Il faut en urgence qu’ils s’impliquent davantage dans l’utilisation de cet outil, tout aussi bénéfique qu’il l’est, pour l’éducation de nos enfants et de leur communication en général, mais qui peut être tout aussi maléfique s’il est mal utilisé. Il ne faut pas se précipiter pour fermer les comptes des réseaux sociaux de ses enfants, ni de leur couper internet ou de leur enlever le moyen de s’y connecter. Non, cela ne marchera pas ! L’interdit est délicieux et donne des ailes à toute intelligence pour le contourner.

Oui, non seulement ils trouveront des moyens pour contourner les interdictions, pire, vous n’aurez alors plus aucun contrôle sur ce qu’ils vont faire sur «leur» internet. Deux choses, normales et naturelles, doivent être envisagées. La première serait d’exercer la parentalité numérique, entre autres, utiliser les outils de protection de logiciels et les dispositifs propres aux Smartphones pour les préserver des dangers qu’ils encourent sur le net.

La seconde est de tout simplement être présent dans tous les moments de leur vie, aussi bien en famille que suivre ce qu’ils font à l’extérieur de celle-ci, passer plus de temps avec eux, s’impliquer dans leur vie, même s’ils prétendent qu’ils ne veulent pas de vous. C’est la meilleure façon d’empêcher Blue Whale et d’autres tentations dangereuses de vous «voler» votre progéniture.

Plus vous passerez de temps avec eux, moins ils seront vulnérables à la baleine bleue, aux drogues, au sexe et à tous les autres dangers qui les guettent sur le net.

Par la même occasion, les psychologues expliquent que l’automutilation, qu’elle soit ou pas due au jeu dont il est question ici, est toujours un appel à l’aide, et si par malheur les parents ne le comprennent pas, l’impression qu’a le gamin est que ses parents n’en ont rien à «foutre de lui».

Un exemple réel, un jeune qui cherchait à se connecter au jeu a déclaré à un internaute qui essayait de l’en dissuader : «J’ai envie de tester, je veux voir jusqu’où je peux aller.» Quand l’autre lui évoque le dernier et ultime défi, où il peut mourir, le jeune reste stoïque : «A vrai dire, je m’en fiche, je ne me sens pas très bien dans ma vie.»

Devant cet état d’esprit, n’importe quelle baleine, quelle que soit sa couleur, ne ferait qu’une bouchée de l’adolescente ou de l’adolescent.

Le jeune, émotionnellement et psychologiquement fragile, en situation de détresse est généralement attiré par ce genre de défis. Comme il pourrait tout aussi bien être à la recherche de sensations fortes. Cela ressemble beaucoup à une aventure collective qui lui donne l’impression de participer à quelque chose de plus grand que lui et surtout de ne pas déprimer seul dans son coin.

Tous les jeux dangereux sont à la base un véritable poison pour l’école. Les pouvoirs publics, notamment ceux responsables de l’éducation, se doivent d’être vigilants sur ce sujet, tout comme les parents d’ailleurs. Ce qui est vrai en matière d’éducation classique l’est aussi pour ce genre de phénomène, la responsabilité doit être partagée.

Interview réalisée par Lina S.

Comment (2)

    Kahina
    10 décembre 2017 - 16 h 12 min

    C’est à la police du Net de régler ce problème. Le plus tôt possible.
    Les parents doivent éduquer et surveiller leurs enfants.

    Abou Stroff
    10 décembre 2017 - 13 h 48 min

    « Y a-t-il un moyen de contrer cette menace qui met la vie de nos enfants en péril ? » s’interroge L. S..
    moua, je pense qu’au regard de l’idéologie qui domine la société algérienne, il suffit (condition suffisante) que nous fassions appel à belahmar pour une rokia à la hauteur des enjeux du moment et à zaibet pour administrer sa « rahmet rabi » et le tour sera joué.
    moralité de l’histoire: au sein d’une société qui pense à la mort avant d’avoir vécu, rien ne vaut la mort ou la recherche de la mort pour être heureux.

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