Qui a peur de la musique moderne raï ?
Par Mesloub Khider – «Celui qui aime la musique cadencée finira par aimer les dictateurs», a écrit Henri Salvador. Pour le paraphraser en le rectifiant, je dirai : celui qui aime uniquement la musique cadenassée finira par chanter seulement les louanges aux tyrans.
Récemment, l’annulation du spectacle de musique raï à Béjaïa, initiée par la mouvance islamiste, a suscité de nombreuses réactions.
Assisterons-nous à la résurgence de l’islamisme tentaculaire totalitaire en pleine santé pathologique politique ou simplement aux dernières salves de la bête immonde islamiste blessée, assénant ses derniers chétifs coups de griffes politiques salafistes avant son extinction, avant de rendre son âme méphistophélique ?
Quoi qu’il en soit, il y a lieu de demeurer vigilant devant les tentatives d’autodafés culturels initiées par l’incendiaire mouvance terrorisante religieuse islamiste.
Aujourd’hui, elle est parvenue à interdire les concerts de musique jugée immorale à ses yeux, aveuglés par l’obscurantisme salafiste. Demain, elle sera capable d’immoler tous les artistes et enflammer tous les lieux de culture pour matérialiser son programme mortifère politique islamiste.
En dépit de nos divergents goûts musicaux, on doit s’associer pour empêcher la mise sous tutelle salafiste de la musique algérienne. L’Algérie est réputée pour la variété et la richesse de sa musique. Il faut protéger ce patrimoine culturel.
En ce qui concerne le genre musical raï, depuis sa naissance, il a toujours eu ses admirateurs et surtout ses détracteurs.
Pour ma part, je dois avouer n’être pas un admirateur de la musique raï. Mais il ne s’agit que d’un point de vue personnel. Je respecte donc les amateurs de la chanson raï. Par conséquent, je m’interdis de porter tout jugement moral sur ce genre de musique. Mais seulement un point de vue personnel musical.
En effet, au plan strictement musical, je ne suis pas un amateur de la musique raï. A la fois pour la médiocrité de ses paroles itératives et pour la pauvreté de sa thématique. Effectivement, la chanson raï brille par l’absence d’un lexique riche et abondant. Souvent, la chanson raï est composée de quelques chétives phrases réitérées tout au long du morceau musical. Par ailleurs, sa thématique demeure très réduite et modeste. Contrairement au chaâbi et à la chanson kabyle, où toutes les thématiques de la vie sont abordées, la nostalgie, la politique, la souffrance, l’espoir, la musique raï s’endiable souvent sur la même thématique, à savoir l’amour.
Toutefois, pour nuancer mon propos, je dois reconnaître que le raï, eu égard au poids archaïque de la société algérienne, représente un genre de musique progressiste et subversif. Et je le défendrai toujours contre tous ses détracteurs, réactionnaires et islamistes.
Récemment, l’annulation du spectacle de musique raï à Béjaïa, initiée par la mouvance islamiste, a suscité de nombreuses réactions. Moi qui croyais que la musique adoucit les mœurs. Apparemment, en Algérie elle excite le tempérament agressif de certaines franges islamisées de la population.
La musique est universelle. Elle appartient à toute l’humanité. Fruit des sonorités et tonalités de l’arbre planétaire musical aux racines diverses et variées, la musique nourrit de sa sève harmonique et mélodique toutes les oreilles mélomanes. Pourquoi tant de hargne, tant de haine contre le raï.
Depuis les années 1970, date généralement retenue pour faire débuter la musique dite «moderne» en Algérie, le paysage sonore brasse bien des styles et des genres. Depuis la musique moderne kabyle jusqu’au raï, en passant par le chaâbi modernisé. Il semble qu’entre la chanson classique traditionnelle et la variété musicale moderne algériennes s’élève un mur infranchissable.
La musique contemporaine doit être abordée dans toute sa diversité. Une musique trop «savante», supposément intellectuelle, aux thématiques musicales éthérées, restera à tout jamais «élitiste». Ce genre de musique cérébrale, savamment poétique, censé délivrer un message, largement répandu parmi les chanteurs kabyles et certains chanteurs de chaâbi, ne touchera jamais qu’un petit cercle d’initiés, des cercles restreints de mélomanes. La musique ne doit pas être réservée à un public restreint. Elle doit, par sa diversité, toucher tous les publics. A la morosité musicale traditionnelle élitiste, préférons les fulgurances de la musique vivante et vivace moderne.
En fait, dans le domaine artistique, les tentatives novatrices musicales pour dépasser la tradition ont toujours été mal acceptées.
En Occident, dans les années 1950 et 1960, quand la musique symphonique et populaire traditionnelle décline au profit des novations artistiques modernes portées notamment par le rock et d’autres formes musicales, ces nouveaux styles sont farouchement condamnés . Pour ne citer que le rock, attaqué de toute part, ce nouveau genre musical est qualifié de vulgaire. Ainsi, l’Algérie n’innove pas en matière (sans jeu de mots) de réaction contre la modernisation de la musique. Et l’histoire est riche de ce genre de réactions. De nombreux artistes chanteurs ont subi les foudres de la critique pour leurs coupables audaces. Jusqu’à ce que, le temps ayant fait son œuvre, ces mêmes audaces apparaissent somme toutes naturelles.
A toute époque, la musique contemporaine moderne a besoin d’un temps de maturation plus ou moins long pour être acceptée. Rappelons qu’il a fallu attendre le début des années 1980 pour que la musique raï soit diffusée sur les ondes officielles algériennes radiophoniques et sur les écrans de télévision. Longtemps, les pionniers du raï ont été enterrés dans les caves des cabarets, cantonnés à la clandestinité. Le raï était interdit de pénétrer dans les foyers. Car genre musical jugé comme immoral.
Mais, objectera-t-on, il faut tenir compte de la sensibilité «morale» du public. La pudeur doit inspirer le chanteur. Pour atteindre un large public, la chanson doit être portée par une composition décente et des paroles vertueuses. Mais, en matière artistique, notamment au niveau musical, la morale ne doit pas s’immiscer dans la création d’une œuvre. Le gage de la liberté de penser de l’artiste se mesure à l’aune de l’innovation permanente de son œuvre, illustrée par la modernisation incessante de sa création. L’indépendance de l’artiste ne s’obtient qu’au prix de sa libération des conventions établies. La vertu de l’art est de révolutionner constamment sa création. Et non pas de demeurer, pour se conformer à la morale dominante de la société, prisonnier d’une culture artistique statique fossilisée.
Il semble donc qu’il faille changer de perspective et s’interroger, non sur l’adaptation de la musique au public, mais sur le degré de réceptivité du public, selon la musique qu’on lui propose. Et on en vient au problème de l’éducation du futur «consommateur» de musique.
La musique : c’est une affaire de connaissance, de goût et, surtout, de curiosité. D’où la raison pour laquelle on ne doit pas laisser les islamistes façonner notre goût musical, au risque de nous dégoûter à jamais de la musique. On connaît la chanson islamiste. Elle s’est toujours jouée aux sons stridents de leurs couteaux égorgeurs de la vie, aux tonalités fracassantes de leurs bombes meurtrières. Il serait donc dommage d’avoir peur de la musique raï sous prétexte qu’elle contrevient aux mœurs de la société.
Restons au contraire en éveil pour explorer la musique dans toute sa diversité. Et surtout demeurons vigilants contre les tentatives islamistes de ligoter la musique en particulier, et l’art en général. Face aux islamistes, défendons, sans jeu de mots, notre opinion (raï) !
«Quand la musique pleure, c’est l’humanité, c’est la nature entière qui pleure avec elle.» (Henri Bergson)
M. K.
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