En Algérie aussi on a nos racistes envers les «Blacks»
Par Youcef Benzatat – Les «kahlouchs», cette blessure de l’orgueil national de la race blanche à l’origine du lynchage de Miss Algérie ? pour une première fois de couleur noire, qui fut lynchée sur les réseaux sociaux par des propos très racistes envers les Noirs
Le mot «kahlouch» désigne dans la langue maternelle dominante des Algériens, la derdja, les hommes à la peau noire et aux traits négroïdes. En Algérie, ils sont des millions, généralement d’origine subsaharienne, qui se sont établis sur le territoire national depuis des siècles, voire des millénaires. Ils viennent du Mali, du Niger, du Soudan et même de toute l’Afrique de l’Ouest. Si certains parmi eux ont osé s’aventurer jusqu’aux côtes méditerranéennes, la majorité d’entre eux se sont contentés de peupler le grand Sud et les villes qui matérialisent les portes du désert, telles que Touggourt, Ouargla, El-Oued, Aïn Salah, Béchar, ainsi que beaucoup d’autres villes, d’est en ouest, jusqu’aux confins du désert.
Au nord du pays, ils sont surnommés péjorativement «babasalem» dans l’Algérois, «bousaadia», «babaye» dans le Constantinois, «boujmila» en Kabylie, voire «nigrou» partout ailleurs en Algérie.
Qu’ils résident au nord ou au sud de l’Algérie, sur le continent africain, ou qu’ils soient établis dans n’importe quel autre pays du monde, leur désignation par le terme «kahlouch» dénote fortement une connotation péjorative et raciste.
Les «kahlouchs» algériens sont perçus généralement par l’inconscient collectif comme des citoyens de seconde zone. Leur présence sur le territoire national n’est jamais signalée comme un groupe ethnique au même titre que les Chaouis, les Kabyles, les Arabes, les Mozabites, les Touaregs ou comme tous les autres groupes qui s’agitent sur la scène publique à vouloir se rendre visibles par leur différence ethnique, culturelle, raciale et même linguistique. Parmi les Kabyles, il y en a qui vont jusqu’à contester leur différence par la spécificité de leur ADN. Pire, leur présence n’est même pas signalée du tout et en toute circonstance. Ils représentent le refoulé de la blessure de l’orgueil national de la race blanche méditerranéenne.
Pourtant, ils sont Algériens à part entière et participent avec leurs moyens au bien-être national, aussi bien par le passé dans les luttes contre les invasions étrangères, que dans leur résistance aux dérives du pouvoir, qui a confisqué les libertés publiques et individuelles du peuple algérien depuis l’indépendance nationale.
Pragmatiques, ils n’ont jamais manifesté un quelconque repli identitaire. Ils se sont algérianisés dans le temps et se réclament algériens à part entière. La langue avec laquelle ils s’expriment, c’est la derdja que parlent la majorité des Algériens sur tout le territoire national, en ayant participé à son enrichissement au fur et à mesure de leur établissement sur les terres algériennes depuis la nuit des temps. Leur apport à l’enrichissement de l’identité nationale n’a rien à envier à celui des Arabes, des Turcs, des Juifs, des Français et de toutes les populations méditerranéennes que les Romains n’avaient cessé de déverser sur le territoire national des siècles durant, comme mercenaires, esclaves ou simples soldats romains.
Leur discrétion au milieu du brouhaha qui agite les acteurs du conflit identitaire – calculs politiciens du pouvoir et revendications extrémistes et radicales des différents groupes ethniques partie prenante du conflit – en dit long sur le sentiment de persécution raciale et identitaire qu’ils ressentent et l’indifférence générale de la société à leur égard.
Mais au-delà de ce fâcheux sentiment de reniement et de marginalisation transparaît chez eux cette sérénité profonde qu’on leur connaît, qui fait d’eux les plus heureux parmi nous et les plus confiants en l’avenir, car ils ne se sentent ni amazighs ni arabes, tout en se considérant des Algériens à part entière.
Y. B.
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