Quelles perspectives pour le Hirak ?

Par Youcef Benzatat – Après la démission des élites intellectuelles, la levée du voile sur les leaders autoproclamés par Ahmed Bensaada, l’anachronisme des partis politiques d’opposition, la division du peuple entre constitutionnalistes et adeptes d’une transition par l’élection d’une assemblée constituante, que reste-t-il au Mouvement populaire comme perspectives pour venir à bout de la dictature ?
La violence de la répression du pouvoir par le biais de l’instrumentalisation de la justice, en réaction au soulèvement populaire, qui s’est avérée puissamment dissuasive envers les élites intellectuelles, a acculé ces derniers dans l’inaction et le silence. Privant le Mouvement populaire de leurs compétences et de leurs capacités de production d’idées, nécessaires pour sa fécondation, son orientation et son organisation.
La levée du voile sur des compromissions suspectes avec des forces étrangères intéressées des leaders autoproclamés du Mouvement populaire par Ahmed Bensaada et, par conséquence, la dangerosité qu’ils font peser sur l’unité nationale, l’intégrité territoriale et la paix civile, ont poussé une majorité des Algériens à se désolidariser de leur action et ont cessé de les soutenir. D’autant que ces mêmes leaders se sont compromis en parallèle avec des islamistes radicaux responsables de la tragédie des années 1990, eux-mêmes rejetés par la majorité de la population. Privant là aussi le Mouvement populaire de leur potentialité d’encadrement, d’unification et de représentation nationale.
L’opposition politique n’ayant ni base populaire ni projet national fondé sur des valeurs républicaines oscille entre la volonté d’aliéner l’Etat dans le religieux, d’un côté, et de l’identitaire de l’autre, ou la combinaison des deux idéologies à la fois. De ce fait, elle exclut une partie importante de la population du contenu du Mouvement populaire. Car l’Algérie n’est pas une société religieuse ou ethnique ou ethnico-religieuse, une partie importante de sa population ne se reconnaît pas en tant qu’amazigh ou arabe et ou musulmane, même si elle n’est pas majoritaire, elle demeure une composante inaliénable de la société. Un Etat fondé sur la religion ou théocratie ou sur l’identité et donc sur un nationalisme ethnique ne peut s’accommoder avec la modernité, ni avec la démocratie en tant que régime politique.
L’Etat républicain doit garantir la liberté religieuse et reconnaître le métissage comme source à part entière de citoyenneté. De même pour l’identité culturelle. L’Etat républicain doit se fonder sur la transculturalité comme identité ouverte sur l’universel en transcendant la sphère culturelle arabo-musulmane et amazighe, héritées du Moyen Age et de l’antiquité. Seule condition pour la refondation de l’Etat sur la base des valeurs de modernité et de contemporanéité du monde. Ainsi, l’opposition politique ne peut fédérer dans ces conditions la population autour d’elle pour constituer un véritable contrepouvoir pouvant amener le régime en vigueur à la négociation, à sa collaboration et à sa complicité patriotique pour une transition démocratique.
Le Mouvement populaire, de son côté, qui est divisé entre les constitutionnalistes, favorables au changement par des élections régulières, et les adeptes d’une transition par l’élection d’une assemblée constituante, ne permet pas non plus une unité d’action pour peser contre la volonté du pouvoir de maintenir le système de pouvoir en vigueur, antidémocratique, qui est dominé par l’hégémonie de l’armée nationale.
Les constitutionalistes qui sont dans le camp du pouvoir ont soit des intérêts à préserver, soit ils sont profondément aliénés dans sa propagande populiste et animés d’un nationalisme primaire. Les premiers jouent la carte de la légalité constitutionnelle pour que rien ne change et les autres sont généralement des sujets qui se situent au stade d’une conscience pré-politique et néo-patriarcale. Dans les deux cas, ils s’opposent à la reconduction du Mouvement populaire.
Alors que les constitutionalistes du Mouvement populaire, malgré qu’ils soient avertis que tout processus électoral est confisqué par la fraude systématique et que toute promesse de changement du régime politique en vigueur vers la démocratie émane du pouvoir n’est qu’un effet d’annonce, ils restent néanmoins optimistes pour s’inscrire volontairement dans la légalité constitutionnelle. Cet optimisme qui les caractérise n’est pas pour autant une confiance en la bonne foi du pouvoir, mais résulte d’une peur de l’inconnu. Celui qui peut pousser cette situation vers le chaos et la violence et leurs conséquences sur la souveraineté nationale et l’intégrité territoriale. C’est leur façon de trancher ce dilemme, qui consiste à choir la patrie au détriment de la démocratie et de la souveraineté législatrice du peuple. Ce patriotisme, pour être réellement et efficacement au service du peuple et de la pérennité de la nation, doit se prolonger par un investissement profond pour plus de conscientisation politique du peuple, de son encadrement et de son organisation, pour le doter de moyens empiriques de contrôle de la fraude électorale et la promotion d’authentiques démocrates jusqu’à la prise définitive du pouvoir.
Quant aux plus radicaux, ceux qui se proclamant s’inscrire dans un processus révolutionnaire, les adeptes d’une transition par l’élection d’une assemblée constituante, ils sont, eux aussi, subdivisés en légalistes et en adeptes de la rupture avec le pouvoir en place.
Les légalistes envisagent une pression continue sur le pouvoir par des manifestations de rue périodiques et pacifiques, indéfiniment, jusqu’à l’amener à la table des négociations pour une transition concertée. Cependant, les adeptes de la rupture avec le pouvoir en place refusent toute négociation et misent sur l’implosion du pouvoir pour voir émerger une élite militaire favorable à la restitution du pouvoir aux civils. Tout en sachant que cette option est dangereuse pour l’unité de l’institution militaire et la stabilité du pays, qui le rendrait vulnérable à l’intervention étrangère, ils restent cependant impassibles et persistent dans leur aveuglement. C’est parmi ces derniers que se trouvent les militants les plus subversifs et probablement ceux qui entretiennent des relations suspectes avec des puissances étrangères et des officines comploteuses !
Si pour les premiers, une transition à moindres frais nécessite une compromission avec des passifs supposés des cadres supérieurs de l’institution militaire, privilégiant l’intérêt supérieur de la nation, il n’en est pas de même pour les adeptes de la rupture brutale. Leur entêtement, par leur radicalité du jusqu’auboutisme, y compris le recours à la violence, laisse entrevoir un désir de vengeance contre ces cadres au détriment de l’aboutissement du processus révolutionnaire en cours et par la mise en danger de la souveraineté nationale, l’intégrité territoriale et la paix civile desquelles ils espèrent sortir vainqueurs.
Le Hirak étant un Mouvement populaire qui s’inscrit dans le processus historique de la formation de la nation algérienne, de son Etat et de ses institutions, est une opportunité pour cette génération, pour consolider l’indépendance chèrement acquise par la génération précédente, pour être détourné de ses objectifs, encore une fois, comme l’a été l’indépendance nationale et différer pour longtemps encore leurs concrétisations. Rater cette perspective aujourd’hui, c’est plonger plus profondément encore le peuple dans la servitude, la misère et le sous-développement. C’est pour toutes ces raisons que le peuple doit demeurer uni et déterminé à briser ses chaînes, en ayant à l’esprit de ne pas s’aventurer vers l’inconnu qui pourrait lui être fatal. Il ne doit compter que sur lui-même et se méfier des chants de sirènes et d’y croire jusqu’à la victoire. Les militants qui en sont les plus avertis et les plus actifs sur le terrain ont une responsabilité historique incommensurable dans cette perspective, en sensibilisant, en encadrant et en orientant sans cesse le peuple vers cet objectif.
Y. B.
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