D’Hiroshima et Nagasaki à Gaza : le même crime, la même morgue

Gaza
Quatre-vingts ans séparent Hiroshima de Gaza, mais c’est la même scène. D. R.

Une contribution de Khaled Boulaziz – Quatre-vingts ans après Hiroshima et Nagasaki, l’Occident commémore, la larme à l’œil, le martyre de deux villes japonaises pulvérisées par les bombes américaines. On parle de mémoire, de paix, de «plus jamais ça». On dépose des fleurs, on lit des poèmes, on jure que l’humanité a retenu la leçon. Et pourtant, aujourd’hui, Gaza gît sous les gravats, éventrée, effacée, exactement comme Hiroshima et Nagasaki – sauf qu’ici, il n’y a pas de radiation. Le feu est le même, la finalité identique : l’exemple par l’anéantissement.

En août 1945, Washington largue deux soleils artificiels sur le Japon, non pour «sauver des vies», mais pour avertir Staline. C’était une démonstration mafieuse : «Voilà ce que nous pouvons faire.» Le prix : deux villes rayées de la carte, des dizaines de milliers de morts en un souffle, et des générations condamnées par les radiations. Ce n’était pas une nécessité militaire, mais une offrande sacrificielle sur l’autel de la suprématie américaine.

Gaza, 2025. Pas de bombe atomique, pas de champignon dans le ciel. Mais la même mécanique. L’armée israélienne, gorgée d’armes occidentales, applique la doctrine du «zéro survivant stratégique». Les missiles tombent méthodiquement, effacent les quartiers comme on gomme une ligne sur un cahier. Les tanks écrasent, les drones traquent, l’aviation pulvérise. Pas de radiation, certes, mais un message clair : «Voilà ce qui attend quiconque refuse notre loi.»

Pour les sionistes, Gaza est une tache impure sur la carte de la Terre promise. La détruire n’est pas seulement une victoire militaire : c’est un acte de purification, un devoir théologique. Dans cette logique, chaque maison rasée, chaque enfant enseveli sous les gravats, est une offrande rituelle à l’idéologie.

Les stratèges américains de 1945 savaient qu’ils frappaient un ennemi déjà à genoux. Les stratèges israéliens savent que Gaza est un camp à ciel ouvert, sans armée de l’air, sans marine, sans missiles à longue portée. L’ennemi est enfermé, affamé, épuisé. Et pourtant, on continue de bombarder, non pour vaincre – la victoire est acquise depuis longtemps – mais pour anéantir. Le massacre devient un outil pédagogique destiné au monde arabe, un Hiroshima à diffusion lente.

Les images aériennes de Gaza sont insoutenables : un damier de ruines, un horizon de poussière, une ville fantôme. C’est Hiroshima après le 6 août 1945, sauf que cette fois, c’est filmé en direct, en haute définition, avec des commentateurs qui débattent doctement de la «proportionnalité» et de la «légitime défense». On dissèque le crime comme un cas d’école, pendant que les corps se refroidissent sous les décombres.

L’Occident, qui prétend avoir tiré la leçon d’Hiroshima, livre les bombes qui détruisent Gaza. Les mêmes capitales qui pleurent Nagasaki votent des crédits militaires pour Tel-Aviv. Washington, Londres, Paris : tous complices. Tous fournisseurs. Tous menteurs. Ils savent exactement ce qu’ils font. Ils se parent de mots comme «démocratie», «sécurité», «lutte contre le terrorisme» pour recouvrir de parfum la puanteur de leur complicité.

Hiroshima fut justifiée par la nécessité militaire – un mensonge historique. Gaza est justifiée par la sécurité – un mensonge contemporain. Dans les deux cas, on redéfinit toute une population comme cible légitime. Dans les deux cas, on décide que la vie de l’ennemi n’a aucune valeur. Dans les deux cas, l’arme – nucléaire ou conventionnelle – devient un instrument politique destiné à terroriser bien au-delà du champ de bataille.

Et qu’on ne vienne pas parler de «guerre». Ce n’est pas une guerre quand l’un possède une des aviations les plus avancées du monde et l’autre, quelques roquettes bricolées. Ce n’est pas une guerre quand l’un contrôle les frontières, l’eau, l’électricité, la nourriture, et que l’autre vit dans une cage. C’est une exécution publique, un massacre retransmis en mondovision, un Hiroshima étalé sur des mois.

La mémoire d’Hiroshima et de Nagasaki est devenue un décor commode pour les discours de paix. On y invoque l’humanité, on y célèbre la réconciliation. Mais cette mémoire est sélective. On commémore les morts japonais tout en enterrant vivants les Palestiniens. On répète «plus jamais ça» tout en finançant le «encore et encore» à Gaza.

Gaza est notre Hiroshima moral. En 1945, on pouvait dire : «Nous ne savions pas.» En 2025, nous savons. Nous voyons. Nous comptons les morts en direct, quartier par quartier. Et nous laissons faire. Pire : nous participons. Nous armons. Nous justifions. Nous invitons les bourreaux dans nos capitales et nous serons leurs mains tachées de sang.

Les sionistes pensent que le temps joue pour eux, que la mémoire palestinienne finira par se dissoudre dans la poussière des ruines. Ils se trompent. Hiroshima et Nagasaki sont encore, quatre-vingts ans plus tard, des plaies ouvertes dans la conscience universelle. Gaza le sera aussi. Et ce jour viendra où les noms de ses quartiers détruits – Shuja’iyya, Beit Hanoun, Rafah – résonneront comme des symboles d’infamie au même titre qu’Hiroshima et Nagasaki.

La vérité est brutale : Gaza est détruite pour servir d’exemple. Comme Hiroshima servit d’avertissement à Moscou, Gaza sert d’avertissement au monde arabe et à tous les peuples colonisés. Le message est simple : «Résistez, et vous serez effacés.» C’est un langage que l’Occident comprend très bien, car c’est le sien. Il l’a inventé à Dresde, à Tokyo, à Hiroshima. Israël ne fait que l’appliquer avec zèle, sous l’œil bienveillant de ses parrains.

Quatre-vingts ans séparent Hiroshima de Gaza, mais c’est la même scène : un peuple civil désarmé, une machine de guerre surpuissante et un crime maquillé en nécessité. La seule différence, c’est que nous n’avons plus l’excuse de l’ignorance. Nous savons. Et si nous ne faisons rien, alors Gaza ne sera pas la dernière ville effacée. Elle ne sera qu’une répétition, un modèle prêt à être exporté.

K. B.

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