IATF 2025 : à la fois vitrine diplomatique et test de crédibilité de «l’avènement économique» annoncé

IATF 2025
L’IATF est à la fois vitrine diplomatique et test de crédibilité. D. R.

Par Ben Youcef Bedouani – La tenue à Alger de la quatrième édition de la Foire commerciale intra-africaine (IATF 2025), organisée par l’Afreximbank, l’Union africaine et le secrétariat de la ZLECAf, est présentée comme une étape décisive pour un pays qui vise la diversification économique et une insertion plus profonde dans les chaînes de valeur du continent. L’événement accueille plus de 35 000 visiteurs et près de 2 000 exposants entre le 4 et le 10 septembre 2025, avec des retombées contractuelles attendues autour de 44 milliards de dollars (1). Pour Alger, l’IATF est à la fois vitrine diplomatique et test de crédibilité de «l’avènement économique» annoncé : la question centrale est de savoir si la foire se traduira par des retombées tangibles et mesurables pour le citoyen, à la différence des éditions du Caire (2018, 2023) et de Durban (2021) (2).

«Le commerce intra-africain n’est pas seulement une affaire de chiffres, mais une question de survie économique et sociale pour nos peuples.» La formule de Ngozi Okonjo-Iweala, directrice générale de l’OMC, rappelle l’essentiel : l’IATF n’a de sens que si elle densifie des chaînes de valeur et améliore le quotidien (6). Or, malgré l’effet d’affichage des précédentes éditions, la littérature souligne un différentiel persistant entre promesses et décaissements, des coûts logistiques élevés et une interopérabilité encore incomplète des systèmes financiers, qui limitent l’impact local (5). A Alger, l’enjeu est d’éviter ce piège connu.

Le contexte macro continental renforce l’urgence. La part de l’Afrique dans le commerce mondial stagne autour de 3% (4), tandis que les échanges intra-africains plafonnent encore dans une fourchette de 15–16% des échanges totaux du continent (5). Le déficit d’infrastructures (transport, énergie, télécoms, financement) pèse mécaniquement sur la productivité et la croissance. La réponse ne peut se limiter à l’abaissement tarifaire : il s’agit de faire de la ZLECAf un levier d’industrialisation et d’intégrations matérielles – routes, pipelines, interconnexions énergétiques, backbones de données – qui rendent l’intégration irréversible (3, 4). Dans cette logique «Made in Africa», mise en avant par le média électronique Echos Plus, l’enjeu est bien d’ancrer davantage de valeur sur le continent (3).

Dans ce cadre, trois volets, souvent mis en avant autour de l’IATF, méritent une attention particulière. D’abord, l’expérimentation de co-productions technologiques adaptées aux contextes africains : fintech d’inclusion (paiement, micro-crédit, KYC), agri-tech frugale (outils mobiles d’information de marché, météo, conseils agronomiques) et énergies renouvelables décentralisées (mini-grids solaires/éoliens) susceptibles de délivrer rapidement des services essentiels. Ensuite, l’accès effectif aux financements multilatéraux africains – crédits au commerce, garanties, financement de projets – avec une exigence de localisation : transformer les signatures en actifs productifs sur sol algérien. Enfin, la consolidation d’un rôle de pivot crédible grâce aux infrastructures transsahariennes (routes et liaisons ferroviaires vers le Sahel) et aux «ponts bancaires» en Afrique de l’Ouest : simplifier et sécuriser le passage des marchandises, des capitaux et des services (1, 10).

L’IATF peut servir de laboratoire de co-production. L’Afrique ne concentre pas les technologies de pointe au sens des semi-conducteurs avancés ; elle a en revanche produit des innovations pragmatiques à forte valeur d’usage. Dans la fintech, l’essor de plateformes panafricaines a montré leur capacité à élargir l’accès aux paiements et à réduire les frictions de transaction, conditions-cadres d’une inclusion financière élargie et d’une montée en gamme des PME exportatrices. En agriculture, l’adaptation d’applications mobiles (USSD/Android) aux filières céréalières, dattières et fourragères du Sud algérien peut réduire les pertes post-récolte, améliorer les rendements et stabiliser les prix au consommateur ; ce sont des technologies frugales dont l’efficacité a été documentée sur d’autres marchés africains et qui se prêtent à des transferts de compétences (8). Côté énergie, les mini-réseaux renouvelables – photovoltaïque, éolien, hybrides avec batteries – ont démontré, études de cas à l’appui, leur pertinence technico-économique pour électrifier rapidement des zones à faible densité à des coûts compétitifs face au diesel, avec des bénéfices immédiats (eau, froid, continuité de services publics) (7).

La dimension financière est déterminante. Afreximbank annonce pour Alger un volume d’accords attendus d’environ 44 milliards de dollars. L’Algérie, actionnaire de classe A depuis 2022 (10), dispose d’un levier à condition d’orienter ces flux vers des projets localisés : unités de transformation agro-alimentaire pour l’export (semouleries, dérivés de la tomate, dattes transformées), plateformes logistiques connectées aux corridors sahariens et au réseau portuaire, ou micro-centrales solaires pour services essentiels. L’objectif n’est pas d’additionner les promesses, mais de convertir des lignes de financement en actifs physiques et en emplois qualifiés.

Sur le volet «ce que l’Algérie peut offrir à l’Afrique», l’offre est déjà tangible. Dans l’énergie, l’expertise de Sonelgaz et des opérateurs nationaux peut se traduire par des partenariats sur les interconnexions régionales (Maghreb–Sahel) et le déploiement de mini-réseaux dans les zones non interconnectées, deux axes explicitement promus par les feuilles de route d’électrification décentralisée et par les projets d’intégration énergétique du PIDA (7, 9). Dans les matériaux, l’Algérie est devenue un exportateur régulier de clinker et de ciments, compétitif pour servir les chantiers des pays enclavés. Dans l’acier, la montée en capacité (ronds à béton, fil machine, HRC) peut alimenter des chaînes régionales du bâtiment et des travaux publics. Côté mécanique agricole, la relance de la production de tracteurs 4×4 à Sidi-Bel-Abbès ouvre une fenêtre d’exportation vers des pays sahéliens aux besoins d’équipement comparables. En pharmacie, un appareil industriel national d’environ 200+ usines – dont des acteurs publics comme Saidal – offre une base pour des co-licences et productions à façon compétitives (génériques cardio-métaboliques, anti-infectieux, OTC). Enfin, la construction et maintenance navales en cours de relance peuvent soutenir la montée en gamme de la flotte marchande et des services offshore régionaux. Ces offres prennent tout leur sens si elles s’adossent à des corridors et à des hubs : la route transsaharienne Alger-Lagos, les projets de liaisons ferroviaires vers le Sud et le gazoduc transsaharien (TSGP) – inscrit au PIDA de l’Union africaine – qui a fait l’objet d’avancées intergouvernementales récentes (9).

Une note analytique s’impose sur l’articulation capacités militaires/industrie civile. Sans recentrer le propos sur la défense, l’expérience technologique, la culture qualité, la maintenance lourde (MRO), la robotique et les procédés de fabrication de précision développés dans l’appareil militaire peuvent servir de propulseur à des chaînes civiles : machines-outils, mécatronique, opto-électronique, composites, sûreté des chaînes logistiques. Des pays ont institutionnalisé de tels transferts vertueux : la «fusion civil-militaire» chinoise organise des passerelles entre universités, entreprises technologiques et armée pour accélérer les transferts d’innovations (11) ; la Corée du Sud s’est appuyée sur une industrie de défense robuste, des partenariats public-privé et des synergies mécaniques-électroniques-matériaux pour irriguer l’appareil productif civil et soutenir l’export (12). Dans un cadre de gouvernance claire (normes, supervision civile, objectifs d’industrialisation), l’Afrique bénéficierait de coopérations spécialisées en maintenance, sécurité des infrastructures et formation d’ingénieurs – domaines où l’Algérie dispose d’atouts différenciants.

Reste la critique – nécessaire – des éditions précédentes : pourquoi l’impact a-t-il été peu perçu par les populations en Egypte ou en Afrique du Sud ? Parce que les décaissements n’ont pas suivi au rythme des annonces, que l’inertie réglementaire et les coûts logistiques sont restés élevés, et que l’interopérabilité financière demeure incomplète (5). La leçon opérationnelle, ici proposée, n’est pas de s’en démarquer par la posture, mais de publier une matrice d’exécution : chaque annonce IATF taguée (secteur, localisation, partenaires, montage financier), jalons T0/T+6/T+12, et rapatriée dans un tableau de bord hébergé par une institution indépendante (par exemple, CNESE) et consolidé avec la Cour des comptes et des universités. C’est par la traçabilité (contrats, contenu local, emplois, effets prix) que l’on crédibilise la promesse.

Enfin, l’Algérie ne pourra revendiquer un rôle de pivot que si des indicateurs s’améliorent et que son action y contribue : 3% de part dans le commerce mondial, intra-africain toujours 15–16 %, attractivité en capital volatile. D’où trois bornes d’évaluation simples : T0 (signature + publication du montage et des KPI), T+6 (premiers décaissements, installation, démarrage), T+12 (livrables : unités en service, MW installés, volumes exportés, emplois et compétences). L’épreuve de vérité ne se lira pas dans la somme des promesses, mais dans la facture d’électricité sécurisée d’un village saharien, le ticket de caisse d’un ménage mieux approvisionné, le carnet de commandes d’une PME exportatrice et la feuille de paie d’un technicien nouvellement formé.

B.-Y. B.

Références :

Afreximbank, IATF 2025 : programme officiel/communiqués (ordre de grandeur 44 Mds USD).

Afreximbank, IATF Past Events : 2018 (Caire), 2021 (Durban), 2023 (Caire).

Echos Plus, IATF 2025 à Alger : la ZLECAf au cœur de l’intégration, de l’emploi et de l’industrialisation en Afrique. https://www.echosplus.com/2025/09/05/iatf-2025-a-alger-la-zlecaf-au-coeur-de-lintegration-de-lemploi-et-de-lindustrialisation-en-afrique/

UNCTAD, Economic Development in Africa Report 2024 (part de l’Afrique ~3% du commerce mondial).

Afreximbank, African Trade Report 2024 (commerce intra-africain ~15–16 %).

OMC, Okonjo-Iweala, N., interventions publiques sur l’intégration africaine (2021).

IRENA, Renewable Mini-Grids in Africa: State of Play & Lessons (2023).

arXiv, Mobile Agriculture Applications in Tanzania: eKichabi v2 Case Study (mars 2024).

Union africaine, PIDA, fiches TSGP & corridors transsahariens (cadre d’intégration physique).

Afreximbank, Algeria becomes Class A shareholder (30 juin 2022).

CSET (Georgetown), Kania, E.B. et al., Pulling Back the Curtain on China’s Military-Civil Fusion Strategy (2023).

CFR, Snyder, S.A., South Korea’s Defense Industry: Rising Ambitions, Enduring Challenges (2022).

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