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Pourquoi la contribution de la Chine au règlement des crises en Afrique dérange-t-elle autant l’Occident ?

Une contribution de Mohamed-Lamine Kaba(*) – Au cœur d’un continent secoué par des crises savamment entretenues du dehors et du dedans, la Chine s’impose désormais comme l’architecte discret mais décisif d’un nouvel équilibre africain.

Depuis les années 1990 jusqu’à aujourd’hui, l’Afrique a été le théâtre d’un enchevêtrement de crises (crises politiques, coups d’Etat, guerres civiles, guerres hybrides, terrorisme, extrémisme violent, crime transnational en bandes organisées, pirateries maritimes, conflits frontaliers) qui ne sont jamais de simples soubresauts internes. Ils sont le produit d’un système global de domination, entretenu par des alliances occultes, des interventions conditionnées, des réseaux de parrainage dispersés. Toutefois, depuis une décennie, un acteur imposant, la Chine, et le bloc du Sud, oscillant autour des BRICS et de l’OCS, jouent un rôle de contrepoids, intervenant non pas pour soumettre, mais pour coopérer. Et ce basculement modifie progressivement l’architecture du pouvoir mondial.

En effet, l’Afrique contemporaine est un continent meurtri, mais non vaincu. De Bamako à Khartoum, de Tripoli à Kinshasa, le sang versé et les ruines accumulées racontent une vérité amère : celle d’un continent pris en otage par les convulsions géopolitiques d’un ordre international unipolaire à bout de souffle. Depuis les indépendances, chaque décennie a vu l’Afrique devenir le laboratoire des ambitions occidentales, un théâtre d’expérimentations militaires, politiques et économiques où se rejouent, sous couvert d’aide et de démocratie, les vieux réflexes coloniaux. C’est précisément dans cette scène saturée de tragédies récurrentes que la Chine, patiemment et méthodiquement, bien sûr, a émergé comme l’acteur du rééquilibrage, celui qui transforme la dépendance en partenariat, et la crise en opportunité de souveraineté retrouvée.

Depuis 2011, année de désarticulation et du démembrement de la Libye sous les bombes de l’OTAN (prélude à la déstabilisation en chaîne du Sahel), l’Afrique est entrée dans une ère de tourment orchestré. La chute de Mouammar Kadhafi, pierre angulaire de la stabilité régionale, a libéré des torrents d’armes et de milices qui ont submergé le Mali dès 2012, le Burkina Faso en 2015, puis le Niger en 2023. Ces coups d’Etat en cascade – Mali (2020, 2021), Burkina Faso (2022), Niger (2023) – ne sont pas des anomalies africaines, mais des symptômes d’un désordre géopolitique voulu : celui d’un Occident qui, après avoir détruit les équilibres, s’érige en pompier pyromane, distribuant sanctions, injonctions et bases militaires sous couvert de «stabilité démocratique».

Parallèlement, dans l’est du continent, d’autres plaies suppuraient : la guerre du Tigré en Ethiopie (2020-2022), la résurgence des affrontements dans les Kivus en République démocratique du Congo (2023-2025), la guerre fratricide au Soudan entre l’armée et les Forces de soutien rapide (avril 2023), sans oublier le Sud-Soudan, déchiré par la guerre civile depuis 2013. Ces tragédies s’ajoutent à la crise permanente de la Centrafrique (depuis 2012), aux tensions post-électorales de la Côte d’Ivoire (2010-2011) qui continuent de polariser la scène politique nationale et sont susceptibles d’affecter l’élection présidentielle prévue pour le 25 octobre 2025, et à la fragilité chronique des Etats du golfe de Guinée. Partout, le même scénario : la main invisible des anciennes puissances coloniales et de leurs supplétifs transatlantiques, entretenue par la logique du chaos, de l’extraction et du contrôle.

De surcroît, la crise soudanaise a atteint un niveau d’horreur extrême depuis 2023 : l’affrontement entre l’armée du général Abdel Fattah Al-Bourhane et les Forces de soutien rapide (FSR) dirigées par Mohammed Hamdan «Hemetti» s’est transformé en guerre civile à grande échelle. Plus de 150 000 morts et 13 millions de déplacés sont recensés à ce jour, tandis que le Darfour sombre dans un abîme de violence ethnique et de fragmentation. Autant de crises, de lieux, de dates : chacune témoigne que l’Afrique n’est pas le fruit du hasard, mais un réceptacle du désordre imposé. Et dans ce contexte, la Chine, loin d’être un «faiseur de dettes», vient proposer un modèle alternatif.

Face à cette fabrique du désastre, la Chine a choisi une autre voie. Depuis son premier Livre blanc sur l’Afrique (2006), Pékin a privilégié le dialogue politique, le développement économique et la médiation discrète mais ferme. Là où l’Occident bombarde, la Chine bâtit ; là où Washington sanctionne, Pékin négocie ; là où Paris s’enferme dans la nostalgie d’un empire perdu, Pékin construit des infrastructures, des hôpitaux et des corridors économiques. L’initiative «la Ceinture et la Route», lancée en 2013, a fait de l’Afrique un pilier du grand dessein multipolaire. Plus de 50 pays africains y participent aujourd’hui, transformant les ports de Mombasa, de Djibouti, de Lagos et de Dar es-Salaam en carrefours stratégiques du commerce eurasiatique. Ces investissements ne se limitent pas à l’économie : ils renforcent la paix par la prospérité, un levier qu’aucune armée étrangère ne peut offrir.

Ainsi, en Centrafrique, la diplomatie chinoise a soutenu le processus de stabilisation engagé sous l’égide de l’Union africaine et de la Russie, démontrant que la sécurité ne se décrète pas depuis Bruxelles ou Washington, encore moins de Londres, mais se construit par le respect des souverainetés. En RDC, la Chine a investi dans la reconstruction des infrastructures et dans le secteur minier, favorisant une approche «gagnant-gagnant» au moment même où les multinationales occidentales continuaient de piller le cobalt et le coltan pour leurs industries de haute technologie. Au Soudan et au Sud-Soudan, Pékin a assumé un rôle de médiateur discret, envoyant ses diplomates dans les négociations d’Addis-Abeba, puis dans les forums régionaux de l’IGAD, tout en maintenant une présence économique et humanitaire constante. En Somalie, la coopération chinoise a permis le développement du port de Mogadiscio et la formation des garde-côtes, contribuant à réduire la piraterie maritime là où l’intervention militaire occidentale avait échoué.

Dès ses premières actions, Pékin a institué le Forum sur la Coopération sino-africaine (FOCAC), mais c’est dans les années 2010-2020 qu’il est devenu un instrument d’infrastructures réelles, d’investissements non conditionnels et de médiation. Par exemple, en 2024, la Chine a conclu des accords majeurs avec le Tchad et le Sénégal pour l’électricité, l’eau et les infrastructures de défense, donnant plus de poids aux Etats qu’aux bailleurs de conditionnalités. Au Mali, la relation stratégique s’est renforcée et la Chine s’est investie selon les besoins maliens, en appui infrastructurel dans un pays ravagé par le terrorisme, les insurrections et les ruptures politiques.

Cette posture s’est traduite également sur le plan diplomatique. En 2022, la Chine appuya la conférence «Horn of Africa Peace, Good Governance and Development Initiative», réunissant les pays de la Corne (Ethiopie, Djibouti, Somalie, Kenya, etc.) autour d’un dialogue centré sur la paix et le développement, sans ingérence. Les effets de cette diplomatie «non intrusive» sont d’autant plus puissants qu’ils s’interconnectent avec l’expansion des BRICS (élargis) et de la Nouvelle Banque de Développement (NDB), qui financent des infrastructures en Afrique sans conditionnalités moralisatrices. Beaucoup sont des Etats africains qui, en rejoignant le bloc BRICS (Egypte, Ethiopie…), renforcent leur autonomie diplomatique face aux anciennes puissances.

Ce glissement stratégique ne réjouit guère les nostalgiques de l’unipolarisme occidental. Il déstabilise les narratifs selon lesquels l’Occident est le seul «civilisateur». Là où Washington sanctionne en nommant des terroristes, Pékin investit en nommant des routes utiles ; là où Paris prétend à la paix pour imposer des bases, la Chine propose d’abord le développement, seule voie vers l’ordre.

Mais c’est au niveau global que la portée de cette action devient historique. La Chine, à travers ses alliances au sein des BRICS et de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), articule un paradigme inédit : celui du multipolarisme pacificateur. En intégrant de nouveaux membres et partenaires africains (l’Egypte, l’Ethiopie, le Nigeria), les BRICS deviennent la première plateforme où l’Afrique parle d’égal à égal avec les puissances émergentes. Dans ce cadre, la Chine promeut un modèle de règlement des crises fondé sur le développement inclusif, la non-ingérence et le respect mutuel, principes que les vieilles puissances occidentales n’ont jamais su ou voulu appliquer.

L’impact géopolitique est alors vertigineux. L’Afrique cesse d’être une périphérie pour devenir un centre, un acteur pivot de la recomposition mondiale. En appuyant la paix par les infrastructures, Pékin modifie la nature même du pouvoir international. L’ancienne équation coloniale instabilité= dépendance se renverse désormais en coopération= souveraineté. C’est cette dynamique qui horripile les tenants du monde unipolaire : voir le continent qu’ils croyaient éternellement soumis s’émanciper par l’acier chinois, par les routes du développement, par la diplomatie du respect.

Car la vérité crue est là : les crises africaines ne sont pas le fruit d’une incapacité endogène, mais le résultat d’un parasitisme exogène organisé. Et c’est parce que la Chine s’attaque à cette racine systémique qu’elle dérange. En soutenant les processus de réconciliation au Mali, en offrant des alternatives économiques aux sanctions occidentales contre le Niger, en investissant dans la reconstruction du Mozambique post-terroriste, ou en proposant des plans de paix réalistes pour le Soudan, la Chine ne se contente pas d’aider : elle reconfigure la carte mentale du pouvoir mondial.

Pour faire court, quand on observe les crises africaines majeures – Côte d’Ivoire (2002-2003), Mali (2020, 2021), Burkina Faso (2022), Niger (2023), Soudan (depuis 2023), RDC (2025) – on comprend que ces ruptures structurelles n’ont pas lieu dans un vide. Ce sont des moments où la souveraineté et la voie de dépendance s’affrontent. La Chine, en tant que partenaire alternatif, est aujourd’hui au cœur de cette confrontation silencieuse.

Ainsi, la contribution de la Chine au règlement des crises africaines n’est pas une simple assistance : c’est une révolution silencieuse. Une révolution qui oppose les bulldozers aux bombes, le commerce à la coercition, la solidarité au cynisme. Et dans cette bascule, c’est tout l’ordre mondial qui vacille, au grand dam des nostalgiques de l’unipolarisme euro-américano-atlantiste. Le XXIe siècle ne sera pas celui des interventions sous drapeau humanitaire, mais celui du réveil du Sud Global, orchestré par une alliance de raison et de respect. L’Afrique, longtemps considérée comme le ventre mou du monde occidental, devient désormais le cœur battant du multipolarisme – et la Chine, son catalyseur stratégique.

M.-L. K.

(*) Expert en géopolitique de la gouvernance et de l’intégration régionale, Institut de la gouvernance, des sciences humaines et sociales, Université panafricaine.

5 Commentaires

  1. La Chine est la première puissance économique , l’europe n’est qu’un frein sectaire pour ces grand pays que sont USA et Russia

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  2. La Chine, c’est la valeur travail qui prime ?

    Avec les chinois, il faut travailler, il n’y a que le travail qui permet de construire un pays.

    Avec les européens, c’est différent, ils envoient des corrupteurs et poussent les africains à encaisser des commissions occultes pour écarter des concurrents étrangers de sorte que le piège se referme sur le corrompu qui sera sans arrêt obligé d’accepter de nouvelles conditions sur d’autres contrats.

    Cette corruption massive a généré les Bokassa, Mobutu, Abacha, Théodore de la Guinée Bissau et plein d’autres reléguant l’Afrique dernière du classement mondial.

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  3. En terme de géopolitique, la Chine applique la ‘stratégie du jeu de go’. Elle avance donc ses pions.
    Les relations sino-africaines se sont renforcées ces dernières années au détriment des occidentaux. La contribution de « l’Empire du Milieu » au règlement des crises en Afrique dérange l’Occident car il y perd du terrain, des matières premières, des ressources énergétiques, des marchés. C’est-à-dire ses intérêts. Pékin ambitionnant de devenir la première puissance mondiale.

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    • L’Occident va être relégué au second plan. C’est pour cela qu’il est autant dérangé quand la Chine s’invite dans le règlement des crises en Afrique.

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  4. Si on s’appuie sur l’histoire et l’éthique les occidentaux ne devraient avoir aucun droit de regard sur les affaires africaines et asiatiques. Directement ou indirectement, depuis 1945 les occidentaux sont à l’origine de 90% des guerres qui ont secoué le monde en de hors de l’Europe. La Chine pays sage, dont les mains sont propres est, comparée aux occidentaux, plus à même de remplir dignement et efficacement le rôle de pays pacificateur et mediateur dont l’humanité a besoin, au lieu des anciens pays esclavagistes, colonisateurs et prédateurs, qui sont tous soumis à la juiverie et ses doctrines.

    Contrairement à tous les pays occidentaux la Chine est un pays libre, par bonheur affranchi des doctrines sionistes qui font ramper les politiques occidentales, et dont la vision du monde repose sur des principes égalitaires et seculaires.

    Comment un Trump, suppôt du sionisme, et premier allié des terroristes sionistes peut-il se permettre de croire qu’il peut apporter une solution juste en Palestine ?? Il faut être fou et écervelé sans, dignité et sans memoire comme les arabes d’orient pour croire à une telle Gabegie.

    Les arabes devraient s’appuyer sur une puissance neutre, fiable et honorable comme la Chine plutôt que de continuer à croire bêtement que le salut viendra des racistes, haineux et fossoyeurs amis et protecteurs de leurs ennemis.

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