Contribution de Houria Aït Kaci – Faut-il tuer tous les Yéménites pour sauver le trône d’un président ?

Alors qu'en Syrie, la coalition occidentale-wahhabite réclame la tête du président Bachar Al-Assad, sous prétexte que c'est un dictateur, au Yémen, c'est au contraire pour sauver le trône d'un président démissionnaire, contesté, qu'une guerre des plus violentes est menée sous la conduite de l'Arabie Saoudite depuis le 26 mars, avec déjà plus de 2 355 tués, dont plus de 500 enfants, et 4 862 blessés, dont 702 enfants et 1,7 million souffrant de la faim. On a vu comment le prétexte de l'élimination de dictateurs – invoqué souvent par des dictateurs eux-mêmes – a été utilisé en Irak, en Syrie, en Libye, pour laisser place à une autre dictature plus féroce, celle de groupes takfiristes comme Daech (EI). Ces derniers, bien armés, bien équipés, s'occupent, curieusement, de piller les puits de pétrole, les gisements de gaz, les trésors archéologiques de ces pays, qu'ils arrivent à écouler, tout aussi curieusement sur le marché.
Les mariés aussi étaient des Houthis ?
Au Yémen, le prétexte servi par la coalition arabe est de soutenir la «légitimité» du président contesté, qui a démissionné (ou été poussé à la démission par ses adversaires) cache difficilement l'objectif d'une ingérence étrangère dans les affaires politiques du Yémen considéré par son puissant voisin, l'Arabie Saoudite, comme son arrière-cour. La guerre déclenchée par surprise le 26 mars contre le Yémen a brusquement mis fin au dialogue, mené sous l'égide de l'ONU, entre les différents acteurs yéménites, qui était sur le point d'aboutir à une solution politique. Ismail Ould Cheikh, l'actuel chargé de mission de l'ONU pour le Yémen, a déclaré dernièrement à la chaîne de télévision Russia Today, en arabe, que les Houthis avaient accepté lors des récentes négociations à Mascate, la résolution onusienne 2216, mais que le président Abed Rebbo Mansour Hadi a exigé qu'ils en fassent l'annonce publiquement. La surenchère de l'allié de Riyad a encore fait capoter le dialogue et les efforts déployés à Mascate (Oman) par plusieurs parties, qui ne renoncent pas pour autant. L'appel pour la paix au Yémen lancé par le secrétaire général de l'ONU et plusieurs pays n'a pas été entendu par Riyad et ses alliés, car manque l'aval des Etats Unis, principal allié et partie prenante de cette guerre (renseignements, logistique) et qui restent le principal obstacle à la paix, selon le mouvement Ansar Allah-Houthis. Faut-il laisser cette guerre se poursuivre et faire encore plus de victimes ? Faut-il tuer 26 millions de yéménites pour sauver le trône d'un président ? A supposer que ce président soit remis sur son trône, mais que son peuple est massacré, qui va-t-il diriger ? Ce président contesté par une bonne partie des Yéménites régnera alors sur quel Yémen ? Un Yémen vidé de ses habitants et occupé par l'Arabie Saoudite, Al-Qaïda et les Emirats arabes unis ? Encore, voudront-ils d'un Hadi ? Selon certains médias qui couvrent le conflit yéménite, comme Al-Akbar, la confiance est déjà érodée entre Hadi et Riyad, et entre Hadi et son chef de gouvernement en exil, Khaled Bahah, qui serait soutenu par les Emirats arabes unis qui prennent une part active à la guerre et se sont installés dans la ville portuaire d’Aden, cohabitant avec Al-Qaïda, qui domine dans cette ville portuaire après le retrait «tactique» des Houthis à la mi-juillet. Le second prétexte utilisé dans cette guerre, la plus violente de la Péninsule arabique, avec son lot de dizaines de civils yéménites tués chaque jour est celui de l'appui apporté par l'Iran au mouvement des Houthis, d'obédience chiite (en réalité, ils sont zaydites et non chiites). Faut-il alors tuer tous les Houthis, pour empêcher l'influence iranienne qui menacerait l'hégémonie saoudienne dans la région, surtout après l'accord nucléaire iranien ? Ne serait-il pas plus productif de se mesurer à l'Iran dans une compétition pacifique, sur le terrain de la recherche scientifique, de l'économie, de la technologie, ce qui serait bénéfique à tous les peuples musulmans de la région ? Alors que tous les pays occidentaux font la queue pour être reçus à Téhéran, l'Arabie et les monarchies du Golfe ne trouvent rien de mieux à faire que de déclencher une guerre par procuration contre l'Iran ? Pourquoi les musulmans, qu'ils soient chiites, sunnites, hanafites, ibadites, qui ont toujours exercé leurs rites dans le respect et la cohabitation, sont pris aujourd'hui par le démon des luttes confessionnelles qui se prolongent par des confrontations militaires sanglantes ? Qui cherche à semer la fitna, la discorde au sein des pays musulmans ? Pourquoi l'Arabie Saoudite lance ses bombes sur des cibles de «rebelles houthis » même là où il n’y en a pas ? Les jeunes mariés, les bébés, les femmes, tués dans un massacre lors d'une cérémonie de mariage par les avions de la coalition à Taez où 130 civils ont perdu la vie, étaient-ils aussi des rebelles Houthis ? Les mariés n'ont pas eu le droit de convoler en justes noces, car cette attaque, la plus sanglante de la coalition au Yémen, les en a empêchés. Les 90 Yéménites qui faisaient leurs courses au marché Al-Maqna, à Saada, et qui ont été tués le jeudi 1er octobre par une attaque des avions de la coalition étaient-ils aussi des Houthis ? Les bombes à fragmentation, les bombes au phosphore (armes interdites), utilisées par la coalition, peuvent-elles faire la différence entre les Houthis et les non-Houthis, ciblés dans les marchés, les centres de santé, les écoles, les usines, les stades, les ponts, les barrages, les camps du Croissant-Rouge, les monuments archéologiques, les mosquées, les cimetières ? Tous les Yéménites seraient donc des Houthis ? Et les Houthis, zaydites ou chiites, n'ont-ils pas le droit à la vie et à la paix, tout comme les autres citoyens yéménites ? La paix reste encore un objectif lointain pour les Yéménites qui résistent pour défendre leur territoire, leur souveraineté et leur liberté même à un prix élevé, comme dans toute guerre d'occupation. Pourtant, ces derniers jours, les forces populaires (armée régulière et comités populaires) ont marqué de nombreux points face à la coalition aussi bien à Bab El-Mandeb qu'à Maarib, où elle a dû se replier en laissant de nombreuses pertes. Les sources officielles yéménites ont démenti les informations sur une prise de contrôle de la zone stratégique de Bab El-Mandeb et annoncé le 4 octobre la mise en échec de l'offensive terrestre et maritime lancée le 1er octobre par les partisans du président Abed Rabo Mansour Hadi, soutenus dans cette attaque par une couverture aérienne et maritime des forces de forces de la coalition pour progresser vers le port de Bab El-Mandeb (sud-ouest du Yémen), dans le gouvernorat de Taëz. L'armée et les comités populaires contrôlent totalement le détroit de Bab El-Mandeb, selon un communiqué de l'armée cité par l'agence officielle Saba. «Les éléments d'Al-Qaïda et les mercenaires agresseurs, épaulés par les chasseurs et les navires de la coalition saoudo-américaine, cherchaient à progresser vers Bab El-Mandeb», mais «l'armée et les comités populaires ont repoussé ces avancées, infligeant de lourds dégâts aux agresseurs». Ce communiqué démentait les informations de la coalition rapportées par une partie de la presse internationale sur le succès de son offensive à Bab El-Mandeb. «Nous avons réussi à reprendre Bab El-Mandeb et Dhubab au prix de violents combats, après avoir reçu des renforts d'Aden», a dit à l'AFP Abed Rabbi al-Mihwali, un responsable de l'opération militaire, qui a fait état de la mort de 23 rebelles et de 15 combattants loyalistes dans les affrontements dans ces deux localités. Selon l'agence Khabar News (prive), citant une source militaire, «les forces de la coalition ont été forcées de battre en retraite à Ras Amran , à se replier au passage maritime de Khour Amira et elles ont subi «de lourdes pertes en vies humaines et en équipements» (six véhicules militaires, quatre véhicules blindés et d'autres équipements détruits). Selon la chaine panarabe Al-Mayadeen, «les mercenaires saoudiens ont tenté de s'infiltrer à quatre reprises dans la région de Bab El-Mandeb avant de se heurter à la vaillante résistance des forces yéménites. «24 heures après le retrait des forces émiraties et bahreïnies du point de passage Al-Wadiaa dans le nord-est de Maarib, des dizaines de véhicules blindés appartenant à la coalition pro-Riyad se sont repliés abandonnant leurs positions à Maarib», ajoutant que «plus de 60 éléments de Hadi et de la coalition ont été tués et 150 blessés». Pour le quotidien libanais Al-Akhbar, généralement bien informé, un missile sol-air yéménite a ciblé un avion Apache de la coalition qui assurait la couverture aérienne de l'offensive qui a mobilisé 50 véhicules militaires des forces et des groupes armés, alors qu’«Al-Qaïda, à Aden, a appelé au djihad ses partisans pour prendre part à cette offensive» pour prendre le contrôle de l'accès au détroit de Bab El-Mandeb. La tentative de contrôler Bab El-Mandeb, carrefour de la navigation maritime internationale dans le golfe d'Aden et considérée comme une ligne rouge à ne pas franchir, pas seulement par les forces yéménites, mais aussi par l'Egypte, selon des analystes de ce pays (pourtant membre de la coalition anti-yéménite), dont le canal de Suez est naturellement affecté par le trafic maritime sur le passage maritime de Bab El-Mandeb. Mettant en garde l'Arabie Saoudite, qu'il tient directement responsable de toute «folie» commise dans le détroit par la coalition, Mohamed Abdel Salam, le porte-parole du mouvement Ansar Allah a estimé que cette «escalade» ne se justifie nullement par des objectifs de sécurité dans la zone, mais «par l'impasse dans la guerre contre le Yémen et pour venger l'impasse qu'elle a mise en place elle-même et qui cherche à entraîner le monde dans leurs aventures». Il a interpellé la communauté internationale sur les dangers de voir «glisser» le conflit à Bab El-Mandeb vers une direction voulue par l'ennemi et par les éléments d’Al-Qaïda et Daech, bien connus dans les domaines de l'occupation étrangère», soulignant que «les forces yéménites ont tout fait pour tenir éloigné le détroit de Bab El-Mandeb de toutes les formes de conflits et de violence dans le but de protéger le trafic maritime international dans ce détroit assurant des intérêts communs vitaux du reste de la région et les pays du monde». Alors qu'elle n' pas réussi à prendre Maarib pour rentrer sur Sanaa, contrôlée par l'armée fidèle à l'ancien président Ali Abdallah Salah et Ansar Allah-Houthis, pour permettre au président démissionnaire Abed Rabbo Mansour Hadi de reprendre son fauteuil présidentiel à Sanaa, la coalition a dû se replier. Selon les dernières informations, plus de 55 militaires de la coalition et de leurs alliés ont été tués et blessés à Maarib (Centre), laissant derrière plus de 15 véhicules militaires et chars détruits. Le commandant des forces de réaction rapide des Emirats arabes unis a également été tué, au Yémen, dans les combats à Jafina, dans la province de Maarib.
Les forces yéménites poursuivent leur infiltration dans les territoires saoudiens
Les forces yéménites poursuivent leur avancée sur le front des frontières avec l'Arabie Saoudite. Selon Saba, le 30 octobre, un bulldozer, un Humer et un char de type Bradley furent détruits dans la région frontalière saoudienne de Ji'an et où plusieurs soldats saoudiens ont été tués le 1er octobre suite à l'attaque contre leur char par des tirs yéménites qui ont également pilonné au missile Al-Nadeem al-Thaqeb, le port de Jizane. La base saoudienne de Kowa à Najran, a été également bombardée. Les forces yéménites ont infligé de lourdes pertes à l'Arabie, dont la mort de 13 soldats saoudiens à la fin du mois de septembre et l'occupation de quatre bases militaires, à proximité du site militaire saoudien d'Al-Houtheira (Jizane) dont elles ont récemment pris le contrôle. Des dizaines de blindés saoudiens ont été détruits après des affrontements avec l'armée saoudienne, qui a reconnu la mort d’un général de brigade, à Jizane, dans le sud du royaume, près de la frontière avec le Yémen. C'est le deuxième haut officier saoudien tué en un peu plus d'un mois à la frontière avec le Yémen, après celle, annoncée le 23 août, du commandant de la 18e brigade des forces armées. «Sud saoudien contre Sud yéménite» est, selon certains, un choix stratégique fait par Ansar Allah après les pertes subies lors de l'offensive de la coalition dans les villes du Sud, comme Hadramaout, Shabwa, Lahaj et à Aden contrôlée par Al-Qaïda et des takfiristes, et où «même Hadi et ses miliciens ne contrôlent plus rien ». Porter la guerre à l'intérieur du camp ennemi, stratégie pratiquée par de nombreuses armées dans le monde, permet aux Yéménites de protéger Sanaa la capitale (nord). «Ansar Allah et l'armée yéménite mènent une stratégie d'infiltration sur le sol saoudien. L'expérience afghane est totalement reconductible au Yémen, car les milices terroristes prolifèrent en ce moment au Yémen. Nous pénétrons régulièrement les provinces saoudiennes de Jizane, d'Assir, de Najran et ce à quoi on assistera dans un proche avenir en Arabie sera particulièrement douloureux», a déclaré Mohamed Ali Al-Houthi, responsable au sein d'Ansar Allah à la chaîne Al-Mayadeen.
Houria Aït Kaci

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