Religion, engagement civique et élections américaines de 2012
Les musulmans américains, issus de la communauté afro-américaine, forment depuis un certain temps déjà un contingent d’électeurs important, motivé dans son engagement politique par des griefs de longue date, liés à des questions raciales plutôt que religieuses.
Les musulmans américains, issus de la communauté afro-américaine, forment depuis un certain temps déjà un contingent d’électeurs important, motivé dans son engagement politique par des griefs de longue date, liés à des questions raciales plutôt que religieuses.
En revanche, les musulmans issus d’une vague d’émigration plus récente ont tardé à s’impliquer dans la vie politique des Etats-Unis, en partie parce qu’ils sont nombreux à croire que l’engagement politique n’est pas approuvé par l’islam, et qu’il est même proscrit. Cette hésitation à s’engager s’explique aussi du fait d’une certaine dépendance vis-à-vis d’érudits musulmans à l’étranger, qui préconisent que voter implique une allégeance au pouvoir laïc plutôt qu’à Dieu.
Cependant, avec le temps, la tendance est en train de changer. Des érudits d’origine américaine, tel que Sherman Jackson, docteur en religion et titulaire de la chaire King Faisal de Pensée et Culture islamique de l’Université de Californie du Sud, disent au contraire que s’engager civiquement ne va aucunement à l’encontre des principes de l’islam. Sherman Jackson souligne d’ailleurs qu’il est même indispensable de voter pour que les problèmes d’emploi, de logement, de santé et d’éducation puissent être résolus.
En 2000, les immigrés musulmans se sont impliqués davantage et ont réussi à faire pencher la balance en faveur de George W. Bush dans plusieurs Etats clés où le vote des électeurs n’est pas gagné d’avance. C’était la première fois que le vote musulman s’alignait au nom d’intérêts communs. Les attaques du 11 septembre 2001, l’adoption du Patriot Act et les guerres qui s’ensuivirent en Afghanistan puis en Irak ont par la suite consolidé cette nouvelle tendance à s’aligner. Motivés par ce que de nombreuses personnes ont perçu comme une «guerre contre l’islam», les musulmans américains se sont de plus en plus engagés ; ils ont affiné leurs connaissances politiques et la plupart de l’électorat a orienté son soutien vers le parti démocrate.
Selon le rapport «Impliquer les musulmans américains» publié cette année par l’Institute for Social Policy and Understanding, une cellule de réflexion et de recherche indépendante, les inscriptions de vote sur les listes électorales et la participation ont augmenté au cours de ces dix dernières années : désormais on compte 1,2 million de musulmans inscrits. En effet, les responsables musulmans locaux encouragent les campagnes d’inscription électorale et incitent les membres de leur communauté à s’impliquer davantage dans la vie civique.
Les musulmans américains dont le nombre est en hausse représentent un potentiel important pour les candidats à la présidentielle, en particulier dans les Etats clés – comme la Floride, le Michigan, l’Ohio et souvent la Virginie – où il est difficile de prédire les résultats.
Désireux de servir leur pays, de faire respecter la justice sociale et de promouvoir les liens familiaux soudés et la compassion au sein de leur communauté, les musulmans américains participent aux débats actuels sur la réforme du système de santé, ainsi que sur l’immigration, l’éducation, l’écologie et la crise économique.
Aux yeux des musulmans pratiquants, pour que la solution à ces problèmes soit équitable et juste, elle doit s’inspirer notamment de la religion. Les mosquées et les organisations à but non lucratif – comme le Council on American-Islamic Relations et le Muslim Public Affairs Council – sont de plus en plus nombreuses à faire partie d’alliances interreligieuses et à organiser des programmes pour éduquer leurs membres en matière d’engagement civique et politique et d’inscription électorale. Désormais, les communautés musulmanes américaines présentes dans le pays depuis plusieurs générations donneront du fils à retordre aux candidats à la présidentielle, qui devront réfléchir à ce qui est important pour les musulmans et à la façon de gagner le vote de ces derniers.
D’ailleurs, les candidats se sont déjà mis à la tâche.
Le conseil de la communauté musulmane du Michigan, qui représente les différentes communautés musulmanes de cet Etat, promeut l’engagement civique, le service communautaire et d’autres formes d’engagement au sein de la communauté, créant également des liens avec les autorités locales pour aborder des questions importantes pour les musulmans.
La campagne d’inscription électorale de l’Islamic Center of Southern California date de la fin des années 1980 ; le centre avait d’ailleurs reçu à l’époque des candidats comme le révérend Jesse Jackson, qui représentait le parti démocrate en 1984 et en 1988. Alors que dans le passé ce centre a été critiqué au sein même de la communauté musulmane, il est aujourd’hui connu pour sa solide tradition de relations interreligieuses, l’organisation de réunions de mouvements de jeunes leaders, la prise d’initiatives de responsabilisation et le maintien de liens forts avec les autorités.
Le site Muslimvoterusa.com, qui est administré par le groupe American Muslim Caucus à Chicago, est un autre exemple d’engagement civique de la part de musulmans américains.
L’objectif principal de ce site est d’éduquer les musulmans sur l’importance du vote et de leur permettre de s’inscrire sur les listes électorales, en mettant à leur disposition des outils de vote électronique et en prodiguant des conseils sur les pratiques à privilégier et celles à éviter dans leur engagement politique, d’un point de vue musulman.
Le fait de s’engager civiquement et de se soucier du bien-être de tous les Américains est conforme aux enseignements de l’islam. Si les musulmans américains réussissent à tirer parti de leur engagement civique naissant pour former un véritable bloc en tant que citoyens inspirés par leur religion, leur voix aura sans doute un poids considérable dans les prochaines élections de novembre 2012.
Altaf Husain
Professeur assistant à la faculté de travail social de l’Université Howard. Il est également chercheur à l’Institute for Social Policy and Understanding et membre du conseil d’administration de la Société islamique de l’Amérique du Nord.