Témoignage : comment Aït Ahmed a maintenu la rébellion de 1963 après la défection de ses initiateurs

Dans son excellent témoignage, FFS contre dictature, de la résistance armée à l’opposition politique, paru cette année aux éditions Koukou à Alger, Abdelhafid Yaha, ancien officier de l’ALN qui a contribué à la création du FFS, relate les circonstances dans lesquelles a été créé le maquis qu'allait diriger Hocine Aït Ahmed par la suite. Il explique que ce qui a d’abord poussé les militants et anciens combattants à «se rebiffer», ce furent les luttes intestines au sommet de l’Etat qui ont éloigné les dirigeants de leur peuple. «L’Algérie mérite mieux, écrit-il, et nous ne pouvons pas nous taire plus longtemps». Avec les dirigeants de la Wilaya III historique, il avoue son impuissance, et celle de ses pairs, face à l’ampleur des problèmes socio-économiques qui s’accumulaient et qu’il fallait affronter : chômage galopant, misère, dénuement des familles des chouhada, absence totale d’infrastructures viables, une administration inefficace, etc. C’est alors que les officiers en charge de la transition dans cette région déshéritée ont décidé d’«agir». Car, pour eux, ce serait «renier le combat et trahir le serment fait aux martyrs», estime le commandant Yaha. Selon lui, c’est ce petit cercle d’officiers supérieurs, à leur tête le colonel Mohand Oulhadj, qui a eu l’idée de «se rebeller» et de joindre sa voix à celle des politiques tout aussi désabusés, pour créer un mouvement d’opposition comme «réponse politique aux errements autoritaires d’un pouvoir de fait accompli imposé par la force», comme le décrit l’auteur. Les tractations ont abouti à la création du Front des forces socialistes, dont la naissance sera proclamée solennellement le 29 septembre 1963. D’après l’analyse de cet ancien officier de la Wilaya III, les éléments déclencheurs étaient l’arrestation de Mohamed Boudiaf, le 21 juin 1963, et l’adoption «expéditive» de la nouvelle Constitution par les partisans de Ben Bella. Dans son récit, l’auteur raconte comment les tractations ont eu lieu avant de lancer ce mouvement d’opposition. Il relate les discussions qui ont eu lieu au siège de l’état-major de l’ex-Wilaya III (devenue la 7e Région militaire), toujours sous le commandement du colonel Mohand Oulhadj, dit le «sage», auxquelles le commandant Abdelhafid Yaha était lui-même présent.
Un politique pour diriger le maquis
On apprend que Krim Belkacem était le premier politique à prendre part aux discussions. Yaha témoigne que c’est lui qui a été chargé par Krim et Mohand Oulhadj de contacter Hocine Aït Ahmed pour le «sonder» sur leur projet de constituer un front d’opposition, corrigeant au passage une certaine idée reçue selon laquelle Aït Ahmed serait à l’origine de la création du FFS. Le lendemain matin, Abdelhafid Yaha rejoint Aït Ahmed chez lui, dans sa villa située à Hydra. Celui-ci accepte de rencontrer les deux dirigeants, Krim Belkacem et Mohand Oulhadj, en plus de certains anciens officiers et membres de la Fédération de France, chez lui, pour des discussions plus approfondies. Entretemps, Aït Ahmed devait rencontrer Ben Bella au siège de la Présidence (à la villa Joly), à l’occasion d’une réception organisée en l’honneur du célèbre responsable des services secrets égyptiens Fethi Dib, en visite en Algérie, pour lui faire part de la gravité de la situation qui prévalait dans le pays, après les dernières mesures prises à l’encontre des militants. «Ben Bella est buté. Il est décidé à continuer dans sa politique de répression et d’arrestations», a-t-il rapporté au commandant Yaha. Après avoir écouté le compte-rendu d’Aït Ahmed, le groupe se sentit davantage rassuré sur son choix. Aït Ahmed fut, selon l’auteur, le dernier à parler. «Si vous pouvez faire un coup de force, dira-t-il, je vous cautionnerai». Sur le coup, les présents voyant les rapports de force sur le terrain rejetèrent l’option d’un coup de force militaire. Ils campèrent sur l’idée de créer un parti politique qui rassemblerait tous les militants opposés au pouvoir de Ben Bella. Yaha témoigne que Hocine Aït était, au début, réticent à l’idée de la création d’un parti. L’auteur cite Mohand Oulhadj, exprimant sa déception, en disant que c’est la seconde fois qu’Aït Ahmed leur faisait «faux bond». Contre toute attente, Aït Ahmed décide, quelques jours plus tard, de rejoindre secrètement la Kabylie, mais sans n’avoir encore pris aucun engagement en faveur du projet. Il s’installe à Michelet (actuellement Aïn El-Hammam) dans la clandestinité totale, et c’est là-bas qu’il rencontre à nouveau Mohand Oulhadj et d’autres dirigeants des anciennes Wilayas III et IV, dont le colonel Dehilis et le commandant Lakhdar Bouregâa, pour annoncer enfin sa décision de rejoindre le mouvement. Plus tard, quand ceux-là mêmes qui ont tant insisté pour avoir Aït Ahmed de leur côté (Mohand Oulhadj, Bouregâa, etc.) vont faire défection, suite à des tractations avec Ben Bella par l’intermédiaire de Krim Belkacem, pour faire cesser les hostilités. Aït Ahmed maintiendra le cap contre vents et marées, en continuant à assumer son rôle jusqu’au bout à la tête de la rébellion.
R. Mahmoudi

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