Victoires de l’autogestion solidaire

enseignants villages
Sit-in du Cnapest à Béjaïa. D. R.

Par Kaddour Naïmi – On apprend qu’environ quatre cents villages en Kabylie sont entrés en autogestion libre et solidaire pour gérer la propreté de leur environnement public. Et cela sans attendre ou, plutôt, pour avoir trop attendu l’action d’un Etat insouciant à ce problème.

On apprend également que la ministre de l’Education nationale a renoncé au licenciement des grévistes du secteur de l’enseignement. Qu’est-ce qui l’a contrainte à ce geste d’«apaisement» ? La capacité des grévistes à autogérer leur mouvement au point de résister à toutes les tentatives de corruption de leurs représentants, à consentir tous les sacrifices matériels, à ne pas laisser crédit aux calomnies, les accusant de ne pas tenir compte des élèves (la ministre), d’être des «anarchistes», au sens de désordre gratuit et destructeur (le Premier ministre).

Voici donc revenir à l’ordre du jour ce qui a été mis depuis longtemps dans le placard : la conception autogestionnaire. Comme toujours, les «experts», les «docteurs» universitaires, les «intellectuels», dans le monde comme en Algérie, se sont trompés, parce que aveuglés par leurs privilèges de castes. Non ! L’autogestion, si elle a été vaincue, n’est pas morte ; si elle a perdu beaucoup de batailles (en Russie, en Espagne, en Yougoslavie, en Algérie et ailleurs) n’a pas perdu la guerre.

La conception autogestionnaire est, aujourd’hui, ce qu’était la conception de l’égalité entre les êtres humains pendant l’époque esclavagiste, puis durant la période féodale : ce que les profiteurs du système dominateur-exploiteur jugeaient une utopie donquichottesque s’est révélée une conception opératoire. La partie (minoritaire) de l’élite intellectuelle a dénoncé successivement l’esclavage puis le féodalisme, comme systèmes iniques qui devaient être éliminés pour instaurer un système social plus juste. Cette partie minoritaire d’intellectuels libres et solidaires a réussi à convaincre les peuples : ils ont éliminé l’esclavagisme puis le féodalisme.

Nous en sommes à l’avatar suivant et actuel du système exploiteur-dominateur : le capitalisme que certains appellent «libéralisme». Et, actuellement, la conception autogestionnaire est dénigrée comme utopique donquichottesque de la même manière que le furent les conceptions anti-esclavagistes puis antiféodales.

Cependant, tant bien que mal, des initiatives, des expériences autogestionnaires surgissent ici et là, en Algérie et dans le monde. Elles prouvent que sous le feu du capitalisme actuellement triomphant, les cendres de l’autogestion existent encore.

Mais, pourrait-on demander, mais qu’est-ce donc que cette autogestion ?

Elle n’a rien à voir avec celle qui fut nommée ainsi par les détenteurs de l’Etat en Yougoslavie, puis en Algérie. Dans les deux pays, l’autogestion authentique des travailleurs fut étouffée, bureaucratisée, puis éliminée au profit d’un capitalisme d’Etat. Pour «dorer la pilule» au peuple, on appela ce qui le remplaça «socialisme». C’est ainsi que les esprits superficiels manquant de connaissance historique confondent la conception autogestionnaire réelle avec le «socialisme» des ex-pays de l’Est ou de l’ex-Algérie «socialiste».

Or, qu’est-ce que l’autogestion véritable en quelques mots, vu le cadre limité où cette contribution est publiée ? C’est la démocratie la plus authentique, à savoir que les citoyen-ne-s aient le droit et la possibilité de se réunir librement, puis d’exposer tout aussi librement leurs problèmes et les solutions qu’ils estiment adéquates.

Cependant, dans le monde comme en Algérie, on constate que cette véritable démocratie, cette pratique autogestionnaire, est contrecarrée et empêchée par tous les moyens. Ils sont de deux sortes. Dans les pays «libéraux», les citoyen-ne-s sont conditonné-e-s par les médias, détenus par une minorité dominante-exploiteuse, à croire au seul modèle «libéral». Dans les pays autoritaires, les mêmes citoyen-ne-s sont soumi-se-s à une répression qui leur interdit le droit à la libre association et expression de leurs problèmes et des solutions qu’ils jugent utiles.

Mais, demanderait-on, pourquoi cette conception autogestionnaire est très peu évoquée dans le monde, et totalement ignorée dans l’Algérie actuelle ? J’en vois deux motifs :

1- défendre cette conception exige de ne pas tirer un profit matériel personnel du système dominant, en termes de privilèges, d’une manière directe ou indirecte. Or, combien sont les personnes qui déclarent défendre le peuple mais se trouvent pas dans ce cas ?

2- Défendre cette conception, c’est, également, ne pas la faire accoucher d’une nouvelle caste dominatrice-exploiteuse, comme ce fut le cas successivement avec la fin de l’esclavage au profit du féodalisme, avec la fin de celui-ci au bénéfice du capitalisme, et après la défaite provisoire de ce dernier avec la victoire des marxistes dans les pays «socialistes».

Combien de personnes sont capables de défendre une conception sociale sans en tirer rien d’autre que le devoir de servir le peuple exploité-dominé, sans aucune prétention à le «diriger» pour s’accaparer de privilèges à son détriment ? C’est dire toutes les difficultés d’existence de la conception autogestionnaire mais non son impossibilité. La preuve : les villageois de Kabylie et les grévistes des secteurs de l’enseignement. Ces réalités, aussi «modestes» soient-elles, ne laissent-elles pas ouverte la porte de l’espérance concernant la conception autogestionnaire ?

K. N.

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