Contribution – Réponse à Amira Bouraoui : barakat d’insulter le peuple !

peuple
Une manifestation de Barakat en mars 2014 à Alger. New Press

Par Kaddour Naïmi – Encore une fois, on lit des affirmations (1) qui exigent des réactions. «Une nation est avant tout la conscience d’un peuple». Mais, étant donné que ce «peuple» est composé majoritairement de chômeurs, de travailleurs manuels, de techniciens, d’employés de niveau hiérarchique inférieur, c’est-à-dire de personnes dominées et exploitées, donc dans l’impossibilité matérielle de se doter de conscience, laquelle s’obtient par l’instruction, la lecture, la formation, ce qui suppose disposer de temps libre et ne pas être exténué par la journée de travail, comment ce peuple, donc, aurait-il pu acquérir cette «conscience» ?

Par contre, la personne qui dispose de cette «conscience» aurait-elle pu l’avoir si elle était soumise aux conditions matérielles épouvantables de ce peuple ? Evidemment pas. La personne qui a pu disposer de conscience bénéficie de conditions matérielles assez favorables (2) pour avoir le temps (et l’argent) pour se consacrer à l’acquisition de cette conscience, par la lecture, par les discussions et par la pratique militante.

Donc, la «conscience d’un peuple» n’est-ce pas d’abord celle des personnes qui ont le privilège de disposer des moyens matériels pour disposer de cette «conscience» ? Donc, la «conscience d’un peuple» n’est-elle pas, d’abord, celle de cette partie privilégiée qui a les moyens matériels de la posséder ? Aussi, si l’on dispose d’une suffisante connaissance socio-historique, notamment concernant un peuple, une nation et une conscience, on devrait plutôt dire : une nation est avant tout la conscience d’une intelligentzia qui est la partie la plus éclairée d’un peuple. Parce que nulle part on a vu une conscience de peuple si elle n’a pas été fournie par sa composante capable de l’acquérir : la minorité d’intellectuel-le-s ayant eu la possibilité d’accéder à un savoir.

Par cette explication, on comprend que la citation en examen, mentionnée au début de ce texte, évacue (par ignorance, sinon par opportunisme) le facteur «intelligentzia» pour ne considérer que le peuple, ce qui permet, alors, de le considérer seul responsable de la conscience.

On lit encore : «Sans conscience, il n y a pas de peuple». Je viens d’expliquer quel agent social devrait d’abord, parce qu’il bénéficie de moyens matériels, avoir cette conscience. La réalité devrait formuler donc la phrase autrement : sans une minorité de privilégiés matériels qui ont, malgré cela, le sens «de la liberté, de la justice et de la dignité», comment cette conscience existerait ? Et qu’est-ce, alors, que cette «conscience», sinon la capacité de la concrétiser par une résistance, une lutte pour réaliser cet idéal de «liberté, justice, dignité» ?

Ah ! Mais voilà l’argument qui justifie la prémisse formulée sur la conscience : «Je ne militerai plus jamais pour des soumis !» Doit-on militer uniquement pour des insoumis ? N’est-ce pas trop commode ? La militance ne se justifie-t-elle pas, d’abord, en faveur des «soumis» pour tenter de les convaincre en leur proposant des moyens pour se libérer de cette soumission ?

Puis on lit : «J’ai milité contre le viol de la Constitution en 2008, j’ai milité contre un quatrième mandat en 2014 et je militerai contre un cinquième mandat pour 2019 !» Très bien ! Mais voici la suite : «Ceci dit, s’il y a un cinquième mandat malgré tout, je quitte l’Algérie». Et quel est le motif présenté ? «J’estime que si un peuple accepte un tel mépris, il faut changer de peuple et de pays».

Les considérations sur le peuple et l’intelligentzia, que j’ai exposées auparavant, permettent de corriger cette «estimation» ainsi : «si un peuple accepte un tel mépris», c’est parce que l’intelligentzia qui prétend le représenter et parler en son nom est, elle, d’abord, responsable de l’acceptation de ce mépris par le peuple. Dès lors, ce qu’il faudrait changer, c’est d’intelligentzia ! Parce qu’elle s’est révélée incapable d’être à la hauteur de son rôle social. Partout et toujours, c’est ce que l’histoire humaine montre.

Dans l’article (3), le journaliste, à propos de Amira Bouraoui, intitule un chapitre : «Héritière de Djamila Bouhired», et dit que Amira Bouraoui «évoque les femmes qui l’ont précédée sur le chemin de la révolution dans l’histoire du pays comme des héroïnes. Parmi elles : Hassiba Ben Bouali et Djamila Bouhired, figures de la lutte pour l’indépendance, ou encore Kahina». Très bien ! Alors, posons la question : imagine-t-on la Kahina, Hassiba Ben Bouali ou Djamila Bouhired déclarer, dans la période où leur peuple était soumis à la féroce dictature des conquérants arabes moyen-orientaux ou français, et avant le déclenchement de la résistance : «S’il y a une autre période de domination coloniale, je quitte l’Algérie. J’estime que si un peuple accepte un tel mépris, il faut changer de peuple et de pays» ?

Ainsi, une personne qui change de peuple comme on change une chemise, pour choisir un peuple et un pays estimés «sur mesure», que penser de son sens de la liberté, de la justice et de la dignité ?

On lit cette autre justification : «Je ne veux pas mourir pour une cause perdue !». La Kahina, Hassiba Ben Bouali et Djamila Bouhired étaient-elles certaines de gagner leur cause, comme condition pour lutter ? Ceci dit, apprécions la sincérité de la déclaration. Comme dit le proverbe italien, «la più belle donna non puo’ dare che quello che ha» (la plus belle femme ne peut donner que ce qu’elle a). Cependant, ce désir de «ne pas mourir pour une cause perdue», pourquoi l’imputer au manque de conscience du peuple et non pas à notre incapacité de prétendu intellectuel ou/et militant ne sachant pas donner au peuple la conscience qu’il devrait avoir ?

Autre justification : «Savoir aimer c’est avant tout s’aimer soi-même pour savoir aimer ceux qui partagent le même sens de la dignité, de la liberté, de la justice.» Est-ce à dire que ceux qui manquent de ce «même sens» sont exclus de l’amour ? Est-ce leur faute s’ils manquent de ce «sens» ? Les personnes qui ont eu la malchance d’être les victimes d’un système social qui les a abruties par le manque de travail pour survivre, ou un travail exténuant servant à peine pour survivre, par la négation de toute éducation et par un conditionnement idéologique obscurantiste, donc des personnes qui n’ont jamais eu l’occasion de savoir ce qu’est la dignité, la liberté, la justice, ces personnes ne méritent pas d’amour ? En outre, si l’on veut «aimer» uniquement «ceux qui partagent le même sens», où finit-on, sinon par se replier à former un groupuscule se limitant à admirer son propre ego de petite communauté élitaire ? Le mouvement Barakat ne fut-il pas et n’est-il pas ce genre de groupuscule ? Sinon, pourquoi aucun impact sur le peuple, mais seulement des éloges médiatiques d’une certaine presse pour certains «leaders» ?

Encore ceci : «J’ai su aimer mon pays, je saurai en aimer un autre avec lequel je partagerai la même définition de la liberté, de la justice et de la dignité». Où est donc le pays sur cette planète qui pratique réellement la liberté, la justice et la dignité, selon la définition que leur donnent les penseurs qui ont écrit et lutté pour les authentiques liberté, justice et dignité ? Certes, dans ce domaine, des différences appréciables existent entre l’Algérie et certains pays. Mais cela permet-il de parler de «pays» comme la citation les décrits ? Quelle est donc cette «même définition» ? Et les peuples de ces pays de «liberté, justice et dignité», qu’en est-il de leur situation ? Ne sont-ils pas soumis aux mêmes dirigeants politiques («socialistes» ou «libéraux» en Europe, «démocrates» ou «républicains» aux Etats-Unis) et à la destruction systématique de leurs acquis sociaux et économiques, comme au conditionnement idéologique des mass medias possédés par les castes dominantes-exploiteuses ?

Enfin, nous lisons : «S’il y a un cinquième mandat, je refuse de cautionner, pas même au nom de ce qui fut ma nationalité. J’en aurais honte». Très bien ! Mais ce refus justifie-t-il de «changer de peuple et de pays» ?

Certes, on a le droit d’être fatigué de militer, de vouloir quitter le pays dont on possède la nationalité, de «changer de peuple», de perdre l’espoir de «réussir» une action militante par un immédiat résultat, de se battre pour ce qu’on considère une «cause perdue». Partout et toujours, des «héros» se fatiguent ; cela fait partie de la dynamique sociale. Mais ces «héros» ne devraient-ils pas, cependant, par sens de la justice et de la dignité dont ils se réclament, assumer leur fatigue et leur désillusion, sans les justifier par le mépris du peuple ? N’est-ce pas là accuser son «chien» de rage pour s’en débarrasser et, dans le cas examiné ici, pour trouver un «chien» plus adéquat ?

Pour éviter tout malentendu, je me vois obligé de fournir une information aux personnes qui l’ignorent, afin d’apprécier à sa juste mesure la réponse qui vient d’être écrite.

J’ai quitté le pays en 1973, parce que j’avais été empêché d’y poursuivre mon travail théâtral et social (4) et, depuis lors, j’ai vécu à l’étranger, en retournant rarement au pays. Mais jamais je n’ai pensé accuser mon peuple de ce choix. Je considérais et considère toujours que la faute en incombe, principalement, à mon incapacité personnelle de savoir comment continuer à lutter et, accessoirement, à l’inexistence d’un mouvement assez puissant pour me permettre d’y adhérer afin de continuer à lutter. Ajoutons que je considère tous les peuples de la terre avec la même estime, sans distinguer entre peuple «méritant» et peuple à «mépriser» ou qui «se méprise». Car où serait alors mon sens de la justice ? Et, étant né dans une famille où le père était ouvrier et la mère d’origine paysanne pauvre, j’ai appris que mépriser un peuple ou l’accuser de carences, avec dédain, c’est, d’abord, manifester une arrogance de privilégié ignorant. Celui-ci ne sait pas, d’une part, ce qu’est un peuple (ses misères matérielles et culturelles, imposées par ses dominateurs) et, d’autre part, quel est le rôle des personnes qui prétendent «militer» pour lui.

Quant à évoquer une période d’action militante pour se faire une gloire de bon citoyen et une justification pour mépriser le peuple, l’argument est irrecevable. Quelle que soit leur obédience idéologique, les bourgeois, les petit-bourgeois, les aventuriers, les opportunistes qui considèrent leur militance comme investissement de carrière politique, tout ce «beau» monde, aussi, a «milité», «milite» et même, parfois, fut ou est emprisonné, torturé, assassiné. Militer ne justifie en aucune manière mépriser un peuple, à moins d’utiliser ce peuple uniquement pour «réussir» une carrière «militante» afin de faire partie d’une nouvelle caste dominante. Militer à la seule condition de vaincre, à la seule condition de disposer d’un «peuple» qui favorise cette action, n’est-ce pas faire preuve d’opportunisme, ainsi que d’une vision étriquée de ce qu’est l’authentique action militante ?

De tout ce qui vient d’être dit, si le président de l’Etat actuel aura un cinquième mandat, est-ce la faute du peuple ou de celles et ceux qui, détenant un savoir, sont incapables de donner à ce peuple la conscience pour savoir où réside son intérêt de peuple ? Dès lors, ne doit-on pas dire à toutes ces personnes qui justifient leur retrait du combat social par les carences du peuple «barakat (ça suffit !) d’imputer au peuple, en l’insultant, votre personnelle incapacité !» ?

Retirez-vous, allez où vous voulez, mais en gardant, au moins, le sens des authentiques justice et dignité, lesquelles exigent le respect de tout peuple, quelles que soient ses carences, qui sont d’abord les vôtres. Et si vous ne le comprenez pas, vous n’êtes pas méprisables, mais simplement incapables. Et, au moins, n’insultez pas le peuple, mais raisonnez correctement. Et si, dans le pays et le peuple que vous estimez dignes de vous, vous employez votre passé militant pour vous faire une confortable place au soleil (en nouveau privilégié, au détriment du peuple), nous ne vous mépriserons pas, mais, simplement, nous penserons que c’est là votre sens de la «liberté», de la «justice» et de la «dignité». Quant au peuple, tôt ou tard, sans vous, il finira par ne plus supporter le mépris que vous et ses dominateurs lui jetez à la figure, et il montrera sa valeur, avec le concours de celles et ceux qui savent qu’aucun peuple ne mérite le mépris, mais notre solidarité, selon nos possibilités.

K. N.

(1) Voir http://www.algerie-focus.com/2018/03/cinquieme-mandat-amira-bouraoui-menace-de-quitter-le-pays-si/

(2) «Il est vrai que je suis heureuse au quotidien, mais peut-on être heureux quand tout le monde souffre autour ?», a déclaré Amira Bouraoui, dans l’article de Allaoua Mezian, du 22 mars 2014, in http://www.france24.com/fr/20140320-amira-bouraoui-medecin-opposante-algerie-presidentielle-barakat-bouteflika/

(3) Déjà cité.

(4) Voir http://www.kadour-naimi.com/f-ecrits_theatre.html

Comment (75)

    Anonyme
    27 mars 2018 - 1 h 12 min

    Quelle mouche a piqué ce kadour?? S’en prendre à bouraoui!! Ya pas d’autre personne anti nationale à qui s’en prendre?? Amina a raison,quand vous sortez manifester avec slogan clair: contre 4 eme mandat et que les gens vous regardent de loin,et n’osent même pas vous porter soutient…ya de quoi se demander si on se bat pas contre moulins à vent comme don quichotte. Et vous si Naomi pourquoi etes vous parti??

    Awassif ilelli
    24 mars 2018 - 23 h 13 min

    Ce petit bout de femme qui ne craint ni les menaces, ni les arrestations, pourrait bien s’en passer de ma vulnérable armure, car elle possède de plus grandes capacités pour se défendre soi-même. Ce n’est sûrement pas la première fois qu’elle est diffamée, calomniée par des propos mensongers. La bêtise a mené – dans un excès de zèle – une indicible compagne de dénigrement contre sa personne et sa famille durant la campagne électorale pour les dernières élections présidentielles. Ce lynchage médiatique n’a eu raison ni d’elle, ni de ces convictions militantes. Le « crime » de cette citoyenne révoltée est d’avoir osé réclamer la fin du « système » et le départ de ces gueux qui nous gouvernent: ces dirigeants du pays, qu’elle qualifiait allégrement d’ »incompétents, de corrompus ou de carriéristes ». Une Kahina des temps modernes qui aspire à vivre dans un État de droit, dans une Algérie enfin libre, moderne et démocratique. Une deuxième Fadma n Summer qui s’engage pour le bien de ce pays, le respect des lois et de la République.

    Amira Bouraoui est de cette race qui a enfanté les Hassiba Ben Bouali, Djamila Boupacha, Louisette Ighilahriz, Djamila Bouhired… Elle est l’antithèse de cette « députée » qui pète tout haut ce que pensent tout bas tous ces lâches illuminés. J’ai nommé Naïma Salhi pour d’abord dénoncer son racisme primaire et ensuite le silence affligeant de Kadour Naïmi et de tous les populistes (ses semblables) et la non-assistance aux Kabyles, à la kabylité et la kabylitude, livrés aux calomnies, dénigrements, mensonges, médisances et délations …

    D’où lui vient cette obsession de vouloir tordre le cou à Amira Bouraoui, lui qui se tord le cou pour mieux s’entendre rire, comme les marins sur le « port d’Amsterdam » de Jacques Brel? Kadour Naïmi est un manipulateur qui utilise et exploite les autres à ses propres fins. Il est égocentrique – il se prend pour le centre du monde et cherche à être le centre de l’attention. Il est égotiste, il ne pense qu’à lui et ramène toutes les discussions vers lui. Il ne s’intéresse absolument pas aux autres (sauf par stratégie). Il se vante de ses succès et exploits – il manque surtout de modestie. Il se comporte de façon méprisante, hautaine et arrogante vis-à-vis d’autrui. Il a un sentiment de supériorité, il est persuadé qu’il est quelqu’un de spécial, exceptionnel et unique. Il aime paraître et s’attend à être admiré en permanence. Il aime que l’on flatte son égo, il se sent « vide » lorsqu’il ne reçoit pas de louanges – un vide qui se traduit par de l’ennui, de l’apathie ou de la dépression. Il est jaloux et envieux à l’égard des autres – et il pense que les autres l’envient. Dans ses écrits, Kadour Naïmi ne se remet jamais en question, il n’est jamais responsable, ce sont les autres personnes de son entourage ! Il est exigeant et intransigeant avec les autres et souffre d’insatisfaction chronique.

    Le pauvre se fait beaucoup d’illusions: Il sait tout mieux que tout le monde (un cauchemar s’il est votre père ou tuteur !). Il aime paraître et s’attend à être admiré en permanence. Il adopte des comportements grandioses et pense qu’il n’y a que les gens intelligents qui peuvent le comprendre. Il est sans scrupule, n’a pas de remords et ne se culpabilise pas mais culpabilise continuellement les autres. Il ne supporte pas qu’on le critique et se vexe facilement. Par contre, lui va critiquer, rabaisser et dénigrer les autres.

    Je pense que si un sculpteur avait voulu faire une statue représentant la pathologie narcissique, Kadour Naïmi aurait été le modèle de référence. Le trouble narcissique se soigne et l’intéressé pourrait consulter Dr. Said Sadi, à qui il a lancé une flèche empoisonnée dans son interminable publication et qui est docteur en psychiatrie et d’aucuns lui prêtent une plus grande compétence en la matière qu’en politique. Il ne lui fermera certainement pas la porte au nez: il a soigné même Ali Belhadj en prison!

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