Le gaz de schiste provoque d’abord un schisme

La rencontre du mercredi 18 juin 2014 au forum de Liberté, avec M. Abdelmadjid Attar et M. Amor Khelif, a tenté un moment à se démarquer de «ces politiques qui n’ont rien à se mettre sous la dent». Oui, les politiques de la bouffe, effectivement, il faut s’en éloigner, car la «mazafranisation» finira certainement par les broyer au cours de leur digestion. Pourquoi le pouvoir crie-t-il à la manipulation et au mensonge quand les Algériens veulent savoir de quoi il retourne sur un sujet qui fait la Une des médias internationaux et surtout quand ils sont largement cités ? Si le pouvoir veut transformer le projet de production de gaz de schiste en schisme, c’est qu’il y a anguille sous roche. M. Abdelmadjid Attar, ancien PDG de Sonatrach, ancien ministre des Ressources en eau, entame son exposé par : «Au lieu de parler du gaz de schiste, je préfère faire un tour d’horizon et dire pourquoi on parle du gaz de schiste maintenant. Je commence par l’économie. L’économie algérienne comme vous le savez c’est 90% des recettes, c’est 70% du budget de l’Etat, 33% du PIB, et hélas des recettes qui couvrent plus de 50% du budget de fonctionnement. Voilà ce que représente les hydrocarbures en Algérie ; c'est-à-dire une dépendance plus qu’alarmante. Vous savez parfaitement que nous avons consommé plus de 50% des réserves aussi bien en pétrole qu’en gaz. Sur la totalité de la production énergétique algérienne, 70% est exportée, 30% est consommée à l’intérieur dont 12% va aux domestiques et 11% aux transports, le reste pour l’industrie. Que nous exportons ou que nous consommons, nous ne produisons rien, et c’est là le problème. C’est pour vous montrer que le problème de l’Algérie est ailleurs et n’est pas dans le gaz de schiste. Il est dans l’économie. Maintenant, beaucoup de gens parlent de perspective, c’est bien beau de dire que l’Algérie est un pays sous-exploité. Ecoutez, on ne peut trouver le pétrole que là où il a pu être généré, piégé, on ne peut pas trouver du pétrole par exemple dans le Hoggar, qui fait presque la moitié du Sahara, parce que la géologie ne le permet pas…. On ne peut actuellement bâtir une perspective une stratégie que sur ce qu’on a réellement. Si on prend les réserves prouvées actuellement et si on continue à produire, à exporter et à consommer au même rythme, la rente va diminuer à partir de 2019 jusqu’à 2030 et celle provenant des hydrocarbures liquides sera nulle d’ici là. Pour le gaz, il commencera à baisser à partir de 2030. Le ministère de l’Energie a lancé un plan pour l’énergie renouvelable de 60 milliards de dollars d’investissement pour produire 40% des besoins en électricité et les 60% restants, en 2030, d’où vont-ils venir ? Alors que dans le monde entier, tous les experts prévoient 22% d’énergie renouvelable d’ici 2030 pour la simple raison que les énergies renouvelables sont subventionnées partout dans le monde, ce n’est pas parce qu’il y a des miroirs partout, ce n’est pas le voltaïque qui va faire fonctionner le pays, c’est le thermique, voyons ! Il y a un sérieux problème aujourd’hui, un problème de réserve. Il y a aujourd’hui un problème de stratégie. Quelle est la stratégie ? En fonction de ce que je sais, le premier problème à mon avis n’est pas un problème de gaz de schiste, mais un problème de changement, il faut complètement modifier l’économie algérienne. Il faut absolument la séparer des hydrocarbures c’est ça. Mais est-ce qu’on pourra le faire d’ici 2030 ? C’est ça le défi.»
M. Daho Djerbal, directeur de la revue Naqd ouvre le débat avec deux questions et une remarque. Première question : M. Attar, vous avez présenté des tableaux statistiques sur l’exploitation du gaz de schiste avec les techniques d’injection des volumes d’eau. Vous avez donné des chiffres de cette eau puisée dans une nappe phréatique, nappe captive. «Elle n’est pas phréatique, la nappe phréatique est à 100 mètres, 200 mètres», précise le conférencier. Une nappe d’eau qui est fossile, reprend l’intervenant. «Oui», dit le conférencier, et non renouvelable, précise M. Djerbal. «Partiellement», rétorque Mr Attar. Pour les Etats-Unis qui ont puisé leur eau dans les rivières, eau renouvelable pour les Etats-Unis, et non pour l’Algérie. Si on fait les calculs avec les chiffres que vous avez donnés, à terme, cette nappe sera épuisée. «Oui», dira le conférencier. Que deviennent la population saharienne et le patrimoine oasien de l’Algérie ? Est-ce qu’on a envisagé cette question de la disparition de la population de son territoire. Deuxième question : Il y a eu un engagement entre le gouvernement ou la présidence de la République et une entreprise française, Total, pour l’exploration du gaz de schiste en Algérie. Est-ce que cet engagement a été soumis à l’Assemblée nationale ? Il faut rappeler que la loi sur la nationalisation des ressources du sol et du sous-sol n’est pas seulement une loi sur la nationalisation des hydrocarbures. Ces ressources du sol et du sous-sol ont été dénationalisées au profit d’une étatisation, puisque ces ressources sont aujourd’hui la propriété de l’Etat. Il y a une différence entre nationalisation et étatisation. La question : qui a le droit d’hypothéquer nos ressources ? Réponse de M. Attar : «En ce qui concerne l’eau, il faut savoir que les deux nappes sont appelées à être détruites qu’on fasse le gaz de schiste ou non. » Tout est dit, et les chiffres qu’il étale par la suite semblent un écran de fumée à l’instar des statistiques en général et particulièrement les statistiques officielles depuis un certain temps. Il précise plus tard «qu’en Algérie, il ne faut pas aller chercher dans les oasis ou près des villes». «A ma connaissance, Total n’a signé aucun contrat. Il y a des conventions d’études avec des sociétés de services, six en tout, pour des évaluations. Il n’y a pas de contrat de recherche ou d’exploitation pour la simple raison que la loi 2013 n’a pas commencé à être appliquée. L’appel d’offres a été lancé et les premiers contrats ne seront signés qu’en octobre 2014.» L’éventuel contrat avec Total choque d’autant plus que la France a interdit la production du gaz de schiste. Attar répond que cette interdiction est justifiée parce que son électricité vient du nucléaire. «Ce n’est pas un pays qui contient le plus de gaz de schiste en Europe comme la Pologne et l’Ukraine. A votre question sur la nationalisation, je n’ai pas compris.» J’ai demandé, quant à moi, à M. Attar si avec une faible moyenne dans le forage on peut connaître les réserves algériennes des hydrocarbures conventionnels quand on sait que la moyenne algérienne est de 8 puits /10 000 km2, la moyenne mondiale est de 100 puits/ 10 000 km2, la moyenne au Texas est de 500 puits/10 000 km2. Le sol et le sous-sol ne sont plus nationaux, mais étatiques, a rappelé Mr Djerbal dans sa remarque. Pour aller dans le même sens et vous permettre de comprendre, lors de la dernière campagne électorale des présidentielles à la télévision nationale, des porte-voix ont revendiqué la privatisation des terres, le sous-sol en sus. Dénationalisation, étatisation, division-morcellement et enfin privatisation, j’ajoute ici : sont les suites logiques des luttes sournoises des compradores, avec cette autre remarque que la recherche du gaz de schiste exige beaucoup de terre en surface et que l’exploitation est liée à l’exploration.
Extrait de l’exposé de M. Khelif : «Il s’agit de gérer un patrimoine national, de réévaluer l’expérience de 50 années d’investissement dans le secteur des hydrocarbures. Je ne résiste pas au plaisir de vous donner les statistiques ici et honnêtement sans la volonté de vouloir tuer ce débat. Si on regarde les 40 dernières années, 1970-2010, on constate qu’en 1971, le secteur représentait dans le PIB 32% et sa part dans les exportations était de 44% ; sa part dans la fiscalité publique était de 42%. En 2010, on est passé de 32% pour le PIB à 45% et pour l’exportation on est passé pratiquement à 98% aujourd’hui. La part de la fiscalité est passée aujourd’hui à 66%, et l’essentiel est de dire que pendant toute cette période, l’objectif était de diversifier l’économie ! Pour dire que la logique fondamentale qui s’est mise en place dans l’économie algérienne est une logique sectorielle, plus on investit dans les hydrocarbures, plus on est contraint d’investir davantage. Il n’y a pas que la politique publique qui commande ce secteur, c’est aussi les pressions internationales, les compagnies, les pays consommateurs qui ont fait de l’Algérie une source pour leurs approvisionnements. Le problème est cette spécialisation de l’Algérie sur un segment des matières premières, une spécialisation de l’économie du XIXe siècle qui repose sur l’exportation des matières premières fussent-elles énergétiques, fussent-elles assez bien valorisées.» Il donne l’exemple de la Tunisie qui exporte 25% de produits manufacturés et qui elle est dans le XXe siècle, affirme-t-il. A mon avis, ce n’est pas le volume du produit exporté qui donne le niveau de développement. Le niveau de développement est dans les conditions sociales du producteur et dans les conditions de production, sinon, on peut rappeler qu’au temps de l’indigénat, l’Algérie exportait du blé, du vin des dattes…. Il ne faut pas confondre la manne et sa gestion.
Khélif : «La transition énergétique est liée au déclin du gaz conventionnel. Aujourd’hui, il faut trouver des ressources nouvelles non conventionnelles. Que veut dire non conventionnel ? Des ressources dont on ne maîtrise pas suffisamment les technologies, les coûts de production. Pour les ressources non conventionnelles ou tout est incertain, j’insiste sur incertain.»
Attar : «Il faut placer le débat sur le plan technique et financier. Le gaz de schiste ne constitue pas et ne constituera jamais une rente. On avance 20 000 milliards de réserves récupérables. Un calcul volumétrique, un seul test avec un puits vertical à In Salah, fait par Sonatrach, qui a prouvé l’existence de ce gaz, mais de là à dire qu’on peut le produire demain, personnellement, je n’oserais pas le dire. L’appel d’offres qui vient d’être lancé est pour faire appel au partenariat, ce sont des sociétés étrangères qui vont venir, financer à 100% les premiers tests. Si on trouve et qu’on prouve que c’est rentable, il y aura un bénéfice pour les deux, si on ne trouve pas et ce n’est pas rentable les sociétés étrangères prendront leurs valises et partiront. Elles feront comme la Pologne et c’est tant mieux, parce que cela voudra dire qu’il n’y a rien à gratter et cela voudra dire surtout que pendant 7 à 15 ans l’Algérie n’aura pas investi.» Selon vous, nous avons tout à y gagner, lui demande l’animateur. «Absolument, nous avons tout à y gagner. Cependant, il y a des précautions, car il y a des risques parce que pour faire des milliers de puits, il faut occuper d’énormes surfaces avec une plate-forme tous les cinq cents mètres, des pistes de camions, des tubes, des pipes, évidemment du bruit, etc. Les Américains ont utilisé l’eau des rivières et l’ont jeté dans les rivières, ce qui a fait énormément de dégât, à ma connaissance il n’y a pas de rivière au sud.» C’est à ce moment donc de parler de l’eau de surface et de la nappe phréatique et non pas s’étaler sur l’albien comme il le fait !
Dans la presse du 21-6-14, on apprend que la future ambassadrice américaine en Algérie a exposé, le 17 juin 2014, devant le Congrès, sa mission qui comporte comme sujet le danger du terrorisme dont «le gouvernement algérien a compris la nécessité de maintenir la vigilance contre ceux qui veulent nous faire du mal» et le gaz de schiste dont elle vante l’expertise de son pays et plaide pour une exploitation afin d’assurer la stabilité des marchés mondiaux, après avoir souligné l’importance des réserves en Algérie. Y a-t-il un lien de la promotion de la vente de la technicité américaine par l’ambassadrice et la déclaration de Rasmussen, le chef de l’Otan, sur la Russie qui, dit-il, «travaille en secret avec les écologistes pour s’opposer à la fracturation hydraulique» ? «L’idée selon laquelle nous serions des marionnettes de Poutine est si grotesque qu’il faut se demander ce qu’ils fument au QG de l’Otan», répond Greenpeace.
Mohammed Abdellah Boudiaf écrit : «Contrairement à l’exploitation de gisements à hydrocarbures conventionnels où l’assiette opérationnelle est limitée juste à la zone recouvrant l’accumulation, la zone d’exploitation de ces schistes engage toute la province géologique, y imprimant des stigmates environnementaux indélébiles, y interdisant le développement de toute autre activité humaine.» Il termine par des propositions justes, propres et surtout indépendantes qui évitent un éventuel «mesmar Djeha» que peut planter un oligarque séduit par une ambassadrice à l’Irakienne, ou un compradore dans sa terre du Sud pour donner un vent arrière au cheval de Troie qui chevauche l’Irak, la Syrie , la Libye, et accéder à In Amenas, Hassi-Messaoud, Hassi R’mel par le vent du nord. L’empoisonnement de l’eau de surface et des nappes phréatiques que provoquera la recherche du gaz de schiste dans le Sud, s’ajoutera aux conséquences des essais nucléaires françaises qui font à ce jour souffrir des populations et désolent un environnement aussi vaste que la France. Ces contaminations successives finiront par accéder par l’ouest algérien à la monarchie. Le développement des énergies propres n’est apparemment pas pour demain, puisqu’on apprend que le projet photovoltaïque n’est plus à l’ordre du jour, que la part du solaire est toujours insignifiante quand le gaz conventionnel passe par des turbines américaines pour sa transformation en électricité. Le retard dans l’industrie, ajouté aux retards dans le développement des énergies renouvelables, fait de la diminution des réserves des hydrocarbures et l’augmentation de la consommation de l’électricité des facteurs puissants qui ne laisseront plus de choix aux décideurs. Le gaz de schiste est presque dans la demeure malgré tous les aléas démontrés par l’expérience américaine, les recherches en Pologne et ailleurs. N’est-ce pas là un début de preuve que confirme l’attitude antidémocratique de M. le ministre de l’Energie ?
Saadeddine Kouidri
 

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