Une contribution de Youcef Benzatat – Une Constitution sans le peuple et contre le peuple

Une Constitution c’est d’abord l’aboutissement d’un large débat public entre les représentants du peuple, élus souverainement par un suffrage universel, par lequel le peuple les aurait mandatés pour lui élaborer un texte de loi, de principes et d’orientation appelé Constitution, pour ensuite la lui soumettre dans sa mouture finale pour approbation par référendum. C’est ainsi que se constitue un Etat souverain, républicain et démocratique. Or, dans notre cas, le peuple est inexistant. Car les hommes qui ont pris le pouvoir ont tout fait pour que le peuple ne puisse exister. Le peuple, ce n’est pas cette masse d’individus sans lien social, sans référent, sans un intérêt commun, sans un idéal qui cimente sa cohésion. Pour qu’un peuple puisse exister, il lui faudra être capable de descendre dans la rue à l’unisson et s’affirmer en tant que peuple. S’affirmer souverainement être la source du pouvoir et de la Loi. Mais qu’ont-ils fait les hommes qui ont monopolisé le pouvoir depuis que le colonisateur est parti ? Tout, sauf permettre que le peuple puisse exister souverainement. Ils l’ont réprimé à chacune de ses tentatives d’exprimer ce désir. Ils l’ont abruti par la religion, par l’ignorance, appâté par la corruption généralisée et achevé par le bâton. Faisant de lui une masse d’individus ignorants et terrorisés, repliés sur eux-mêmes, totalement dépolitisés et végétant entre l’assistance par la rente et l’impunité de la perversion dans la corruption qui se pratique ouvertement à l’échelle de la société entière. La Constitution qu’on lui présente aujourd’hui est faite sans lui, car son avis ne peut se constituer du fait de sa carence en tant que peuple souverain, capable d’émettre son avis et d’exercer un contrôle sur son contenu. Alors, des hommes comme Bouteflika, Bensalah, Saïdani, Ouyahia, Sellal, et tous ceux qui participent au «hold-up» permanent de la souveraineté de ce peuple n’ont que faire à se soucier de son existence, encore moins de son opinion. Ils peuvent fabriquer des Constitutions à la pelle au gré des conjonctures et des intérêts du moment. Ils peuvent aussi bien en changer le contenu partiellement, de temps à autre, ou bien la refonder de fond en comble à leur guise, sans demander l’avis de personne. Qui pour les en empêcher ? Gaïd-Salah et ses collègues de la chaîne de commandement des forces armées, pourtant censés être ses garants et dont l’une de leurs principales missions c’est de veiller au respect des processus légaux de son élaboration et de sa stricte application ? Non ! Ces forces constituent, au contraire, les garants de sa non-application, par la violation du principe même qu’elle prétend allouer au peuple pour exprimer sa souveraineté, qui est le droit de manifester. Comment le pourraient-elles ? Car si le peuple pouvait manifester sans craindre de répression sanguinaire, il aurait commencé par rejeter le processus d’élaboration de la Constitution elle-même, l’ingérence des pouvoirs les uns sur les autres, et il aurait exigé leur séparation. Mais dans un Etat sans peuple, personne ne respecte ses principes. Car trop occupés par l’argent facile et le pouvoir absolu sur des populations réduites à des sujets, comme au temps de la colonisation. Les partis politiques dits d’opposition ? Les médias dits libres ? Les bataillons de l’encadrement de l’éducation nationale ? Non ! Ces segments de la population font partie du sérail élargi, il leur est interdit de soulever cette question de carence du peuple. Cela peut leur coûter leurs privilèges, que ce jeu de profanation perpétuel de la Loi fondamentale leur octroie. C’est une position excentrée par rapport aux règles établies par le pouvoir. Cela s’apparente à de la subversion et donc au trouble à l’ordre public et à la sûreté de l’Etat. Les rôles sont ainsi distribués. Chacun sa tâche, chacun sa mission. Tout au plus on s’indigne hypocritement sur tel aspect de la Loi qui constitue une régression, ou tel autre qui dénote une contradiction. Mais sans oser remettre en question l’absence du peuple dans son élaboration et donc l’illégitimité du processus mis en œuvre pour sa réalisation. Tout acte de parole en public qui s’engage dans une démarche de conscientisation de la masse des sujets vers la quête de souveraineté individuelle et collective, que devrait représenter le peuple souverain, est considéré comme un acte subversif, passible de représailles. Ni le politique, ni l’intellectuel ou le journaliste, ni l’enseignant ou le syndicaliste n’osent s’aventurer sur ce chemin miné. Il y va de leur propre quiétude et de celle de leurs familles. On aimerait bien que les choses s’enveniment d’elles-mêmes à force d’acculer cette masse de sujets vers les limites insupportables de l’avilissement et que la rue soit débordée spontanément dans le désordre, synonyme de chaos, de destructions et de sang versé, en espérant que les choses changeront. Pendant ce temps-là, on peut très bien s’en laver les mains à l’abri et se contenter de survivre la nuque brisée et le ventre plein sous l’autorité de faiseurs de Constitutions sans le peuple et contre le peuple.
Youcef Benzatat

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