Que vive la démocratie directe ! (1)

démocratie
Les jeunes Algériens déterminés à changer le système. D. R.

Par Kaddour Naïmi Plus d’une fois, de la ville d’Oran ont surgi des initiatives très heureuses, jusqu’à étonner par leur originalité et leur utilité, jusqu’à devenir des exemples suivis dans le reste du pays. Cirons deux qui me viennent à l’esprit : la musique raï et, pardon de me citer, l’emploi de la halga (cercle) traditionnelle comme scénographie de représentation théâtrale(1).

Agora

Depuis la bénie intifadha populaire inaugurée le 22 février 2019, Oran a vu surgir un Forum de discussion, en plein centre-ville, sur la bien nommée place du 1er Novembre(2). Durant le ramadhan, les réunions eurent lieu le soir, vers 22h ; depuis la fin du mois sacré, elles se déroulaient ver 18h. Les rencontres sont quotidiennes et durent généralement deux heures. Les organisateurs installent un microphone et des haut-parleurs pour que l’assistance écoute convenablement. Par chance, le trafic de véhicules n’est pas dérangeant. Pas d’agents de police près du Forum. Tout au plus, un véhicule de ce service stationne discrètement au loin.

Au Forum, toute personne est invitée à intervenir pour exprimer ses opinions. La liberté de parole est totale, limitée uniquement par l’emploi d’un langage respectueux. Ce qui se réalise presque toujours de manière aisée, sans intervention du modérateur. Durant les réunions auxquelles j’ai assisté, quelques barbus habillés de chemise longue saoudienne étaient présents ; leurs interventions respectaient les règles de convivialité, leur langage n’avait rien d’intégriste totalitaire mais reflétait un esprit démocratique. Durant mes discussions personnelles, j’ai constaté que kamis et sandales saoudiens, barbes ne signifient pas forcément intégriste fasciste, mais au contraire, une personne réellement désireuse d’une Algérie authentiquement démocratique dans le sens populaire. Attention donc aux apparences et aux observations superficielles !

Les intervenants sont de diverses catégories sociales : chômeurs, travailleurs manuels, enseignants, avocats et autres ; de tous les âges, jeunes, adultes et chibanis, des «instruits» et des «pas instruits». Outre les organisateurs, quelques personnes assistent et interviennent de manière régulière, au cours de réunions; d’autres viennent les jours où leur activité le leur permet.

Les propos sont généralement courtois et clairs. Rarement, un intervenant se laisse échauffer par ses émotions. Je n’ai pas entendu un seul mot inconvenant. Parfois, un humour sain et très agréable allège les discussions. Certains passages d’intervenants sont applaudis par les assistants, en signe d’acquiescement et de soutien. Les assemblées se concluent en se prolongeant par la constitution de petits groupes qui poursuivent leur discussion pendant plus d’une heure encore.

Les «bien-pensants» seraient totalement surpris, eux qui décrétèrent le peuple algérien gravement dépourvu de convenance et de convivialité sociales.

Université populaire

L’un des organisateurs du Forum, avocat de profession et ex-juge, fournit quand nécessaire des explications dans le domaine juridique en ce qui concerne les institutions du pays. Bien entendu, il parle non pas en français (très exceptionnellement) ou en arabe classique, mais en langage populaire. Ses exposés sont clairs, d’un langage simple mais précis, à la portée de tout un chacun. Et certains imposteurs, néo-colonialement aliénés, prétendent que le parler populaire, dans ce cas arabophone, − que j’appelle non pas darija, mais dziriya(3) − ne se prête pas aux concepts et aux nuances. Qu’ils daignent aller assister au Forum !

Un 19 juin, ce ne furent pas les chars qui occupèrent le centre-ville à Alger (en 1965), cet autre 19 juin de l’année 2019, le Forum d’Oran accueillit un professeur d’université, Rabah Lounici, qui fit fit une conférence sur le «mouvement» citoyen. Absolument merveilleux(4) ! Un professeur d’université intervenant non pas dans un amphithéâtre mais sur une place publique, entouré non pas d’étudiants ou d’«experts»,mais de citoyens ordinaires, employant non pas la langue française mais l’arabe classique, toutefois simplifié autant que possible. J’aurais préféré qu’il fasse l’effort de recourir uniquement sinon principalement à la langue du peuple. Oui, je le répète, le souligne et le démontre dans l’essai sur les langues auparavant mentionné, la langue populaire dziriya est capable d’exposer sur l’intifadha populaire actuelle ! Toutefois, la présence de cet intellectuel sur une place publique, parmi des citoyens du peuple, fut une excellente et exemplaire initiative. Professeur, permettez : encore un effort linguistique pour vous rapprocher du peuple en sachant utiliser son propre langage. C’est possible ! L’intifadha populaire, c’est, aussi, mettre à l’honneur le langage du peuple. Après l’exposé, des membres de l’assistance formulèrent des questions auxquels le conférencier répondit.

Qui l’aurait imaginé en Algérie ?  Après tout ce que le peuple algérien a subi depuis le putsch militaire de l’été 1962. Oui ! J’avais personnellement des difficultés à croire à mes yeux et à mes oreilles, ainsi qu’à retenir mon émotion. Moi qui, en octobre 1968, avait lancé à Oran la halga comme forme théâtrale, l’avait concrétisée sur une place publique dans le quartier El-Hamri, voire cinquante années après, en 2019, une même halga, cette fois haussée et élargie à des discussions démocratiques de citoyens sur leur pays, comment pouvais-je ne pas croire que je rêvais ? Comment ne pas être envahi d’une émotion au plus profond de l’être ? Comment ne pas être conscient de vivre des moments absolument exceptionnels, uniques, splendides dans ce pays de ma naissance, quitté en 1973 parce que trop humilié par la hogra oligarchique et ses harkis ?

Mais je n’étais pas surpris. L’apprentissage de l’histoire sociale enseigne que tout est possible, le pire et le meilleur. En Algérie, le pire commença juste après l’indépendance nationale, et le meilleur débuta le 22 février 2019. Espérons que ce meilleur continuera jusqu’à concrétiser les espoirs de ce peuple trop maltraité par une bande de mafieux masqués derrière le drapeau national et une «légitimité révolutionnaire» usurpée mais rentable en privilèges illégitimes.

Contre-révolution

Durant les multiples rassemblements du Forum auxquels j’assistais, une seule fois, une tentative essaya d’interrompre le bon déroulement des discussions. On ne sait pas exactement qui eut l’initiative de mettre sur la place du 1er Novembre des tentes pour une soi-disant foire d’artisans. Immédiatement, à travers un réseau social, les partisans du Forum réagirent en se rassemblant sur la place. Et les inopportunes tentes furent éliminées pacifiquement. Ainsi, le Forum poursuivit sa pacifique et très utile activité d’échanges libres d’opinions.

Rarement, un incident survient, par exemple le 20 juin. Un jeune ivrogne tenait absolument à intervenir. La parole lui est donnée, bien que son ivresse l’empêche de respecter l’ordre d’intervention établi auparavant. «Khawa ! Khawa  (Frères ! Frères !) se limita-t-il à dire.

Toujours le 20 juin, la sérénité des discussions fut un peu violemment, mais uniquement sur le plan verbal, interrompue par l’intervention d’un jeune qui employa trop souvent le terme «zouaoui» pour indiquer les compatriotes kabyles. C’est qu’à cette rencontre, le débat se concentrait trop sur l’intervention du chef d’état-major, au sujet de l’interdiction d’emblème autre que le drapeau national. Mais rapidement, les modérateurs et des assistants parvinrent à rétablir la sérénité et l’usage verbal adéquat : non pas «zouaoui» mais «amazighe». Les échanges se sont poursuivis de manière fructueuse.

Après la mort du leader égyptien Morsi, membre de la secte des Frères musulmans», intervinrent quelques jeunes sont intervenus au Forum. Visiblement, ils semblaient faire partie de la même organisation. Ils exprimèrent librement leurs opinions sur la disparition de ce leader ; l’un des intervenants demanda même une prière pour le défunt, ce qui fut fait.

(à suivre)

K. N.

1) Voir « Ethique et esthétique au théâtre et alentours », « LIVRE 1 : EN ZONE DE TEMPÊTES », point « 6. Scénographie circulaire », librement disponible ici : https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-theatre-oeuvres-ecrits%20sur%20theatre_ethique_esthetique_theatre_alentours.html

(2) Voir le documentaire vidéo dont ce texte est une présentation, in https://youtu.be/CZgiMergUX0

(3) Voir l’essai Défense des langues populaires : le cas algérien, librement disponible sur : https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-defense_langues_populaires.html

(4) Voir la vidéo référencée en note 2

NDLR : les opinions exprimées dans cette tribune ouverte aux lecteurs visent à susciter un débat. Elles n’engagent que l’auteur et ne correspondent pas nécessairement à la ligne éditoriale d’Algeriepatriotique.

Commentaires

    KACI
    29 juillet 2019 - 15 h 18 min

    Donc vous préconisi la democratie derecte, et quand c’est inderect c’est la dimatkaci

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