Covid-19 : le patho-climatologue Mostefa Khellaf répond au Dr Aziz Ghedia
Nous cédons la parole aux praticiens pour éclairer nos lecteurs à travers leurs avis autorisés mais néanmoins contradictoires. Ce qui confirme que la société savante scientifique peine à se mettre d’accord sur la méthode à suivre pour enrayer la pandémie du coronavirus qui a eu le «mérite» de révéler les limites de la médecine moderne, en dépit des grands progrès supposés réalisés dans ce domaine.
Par Dr Mostefa Khellaf – Durant cette période critique où même les éminents spécialistes en virologie et en santé de l’environnement perdent le Nord, on assiste à une avalanche de propositions, d’analyses et de conclusions hâtives, souvent sans fondement. C’est en lisant l’article du Dr Aziz Ghedia que j’ai relevé plusieurs critiques qui montrent soit une mauvaise maîtrise du sujet, soit des postulats qui sont loin d’être convaincants. A chaque remarque, j’essaye d’apporter les arguments pour étayer mon point de vue, qui ne reste qu’un avis personnel. Libre au lecteur d’interpréter les choses selon ses connaissances. A titre d’information, je finalise un article intitulé «La pandémie Covid-19, jusqu’à quand ?».
Le premier reproche est lié à cette phrase : «Pourquoi ces professeurs ont-ils donc pris comme modèle la Chine et les pays européens dont les populations sont tellement vieilles que le moindre virus pourrait les terrasser ?» Ma réponse portera sur plusieurs points relatifs à cette remarque.
Si on ne suit pas le modèle chinois – difficile à appliquer dans beaucoup de pays, compte tenu de sa spécificité – et les procédés appliqués par quelques pays en Europe, tels que le confinement qui est la référence à l’échelle mondiale, que doit-on appliquer ? N’est-il pas plus raisonnable de suivre un modèle qui est testé et qui, de l’avis des différents conseils scientifiques des pays impliqués, déboucherait certainement sur de bons résultats ? Le choix reste limité en l’état actuel des choses : confinement, immunité collective et dépistage massif – dans mon article, je détaille amplement ces procédés avec une nouvelle grille de confinement – en l’absence de la solution radicale : le vaccin.
Vous mentionnez une expression qui ne reflète pas du tout la réalité en indiquant que les populations vieilles d’Europe sont vulnérables au moindre virus. Certes, elles sont d’un côté sujettes à de graves conséquences, mais il ne faut pas oublier que ces pays disposent des meilleurs systèmes de santé. A titre d’exemple, cet hiver, la France n’a enregistré que 78 cas de décès suite à la grippe saisonnière. Selon les CDC, citation du journal The Lancet concernant la grippe saisonnière, par exemple, «la plupart des décès surviennent parmi les personnes âgées de plus de 75 ans, et dans les régions les plus pauvres du monde». Le virus ne fait aucune différence entre les personnes dans un pays qu’il soit riche ou pauvre. Il anéantit les personnes faibles, prédisposées, âgées et soumises aux aléas de l’environnement – système de santé précaire, pauvreté.
L’argument démographique est très critiquable et dangereux. Même si vous prenez le cas d’un pays dont la structure démographique est jeune, comme l’Algérie, on ne doit pas oublier que 10% de la population a plus de 60 ans. Un contingent vulnérable de plus de 4 millions, placé dans un environnement contaminé risque d’être très impacté avec des milliers de victimes. C’est le risque quand on opte pour l’immunité collective.
Le second reproche est mon incompréhension totale lorsque que vous favorisez l’économique sur l’humain. Votre discours opte clairement pour une préservation de l’économique pour sauver le monde. Vos illustrations sont sans équivoques. Il suffit de relire ce paragraphe : «Non, il n’y a pas que le Président américain, Donald Trump, qui pense cela. Il n y’a pas que les adeptes du capitalisme sauvage – ou à visage humain – et les partisans du laisser-faire, laisser-passer en matière d’économie qui partagent cette vision». «Tout être sain d’esprit aboutit à cette simple réalité : cette pandémie et les politiques de confinement qui lui sont systématiquement associées ne pourront qu’aboutir à une récession économique mondiale qui remettra certainement le monde sens dessus dessous.»
Je ne partage pas votre point de vue. Actuellement, cette vision de la primauté de l’économique sur le volet humain est en train de faire vaciller l’homme le plus puissant de la planète. On constate aujourd’hui que le président Trump est en train de payer cher son amateurisme ou plutôt son inconscience vis-à-vis de la vie humaine. Il en est de même pour Boris Johnson qui a opté pour une immunité collective. Les citoyens Américains et les Anglais sont en train de payer chèrement les décisions inconséquentes de leurs responsables politiques qui ont totalement sous-estimé le virus et ont placé l’aspect économique avant la santé de leur population. La courbe de la pandémie aux Etats-Unis connaît une forte progression exponentielle, elle risque de se terminer en une véritable hécatombe – plusieurs millions de morts selon l’Impérial Collège.
Une rétrospective montre que le monde a connu des récessions en 1929, durant la Seconde Guerre mondiale, etc., puis il a su relever le défi et rebondir. Rien ne vaut une vie humaine. Comment pouvons-nous validez une thèse macabre ? Que les adeptes de cette approche soient rassurés : un nouveau monde émergera avec plus d’humanisme et dans lequel les médecins algériens, entre autres, penserons à soigner les malades sans chercher le lucre.
Mon troisième reproche est relatif à votre expression suivante qui me laisse perplexe car elle me semble sans fondement et loin des attentes dans le cas de cette pandémie : «Au lieu de cela, songeons plutôt à confiner de façon ciblée les personnes âgées, les personnes porteuses de maladies chroniques, comme le diabète ou les pathologies cardiaques, ceux qui, pour une raison ou une autre, ne participent pas à la vie économique du pays.» Les personnes vulnérables et prédisposées doivent tout simplement suivre des consignes strictes pour éviter toute contamination ; c’est le premier commandement de toute la communauté scientifique et médicale en général. On ne songe pas, on impose la rigueur médicale et sanitaire qui est de mise dès le début de la pandémie dans beaucoup de pays. En tant que diabétique, j’étais invité à me confiner chez moi. Un confinement total même à l’intérieur du domicile en évitant le contact avec les membres de ma famille autant que faire se peut car tout contact avec les enfants et les petits-enfants demeure un risque potentiel de contamination. Ceci, en sachant que les personnes vulnérables sont quatre fois plus exposées que les personnes supposées saines.
Mais que faites-vous des autres prédisposés qui sont en activité ? A titre d’exemple, en Algérie, 14% de la population est diabétique, 3/1000 d’Algériens subissent des crises cardiaques, et 40 000 nouveaux cas de cancer sont recensés chaque année. Il est demandé impérativement à ces personnes d’être totalement protégées, de se mettre en arrêt de travail. La solution est en application dans beaucoup de pays. J’imagine mal qu’un praticien puisse suggérer à un patient aussi vulnérable qu’un diabétique ou un cancéreux dont le système immunitaire est en défiance, d’aller travailler dans ces conditions.
Je sais qu’il n y a pas de pensée cartésienne absolue ; il y a simplement des pensées relatives qui permettent une réflexion, une approche et l’avantage de progresser. Votre contribution a permis d’aborder un sujet très délicat où les bonnes réponses prendront certainement beaucoup de temps pour émerger.
M. K.
Patho-climatologue
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