Sahara Occidental : l’Eucoco de Berlin influera-t-elle sur la position allemande ?
De Berlin, Hocine-Nasser Bouabsa – Juste après l’invasion du Sahara Occidental par l’armée et les hordes affamées du Makhzen marocain en 1976, les forces progressistes à travers le monde et notamment européennes s’étaient rangées derrière le peuple sahraoui pour le soutenir dans son combat juste pour arracher son droit à l’autodétermination. C’est dans cette dynamique que naissait la Conférence européenne de soutien et solidarité avec le peuple sahraoui (Eucoco).
Cette année, l’honneur revient à Berlin pour l’abriter. Il s’agit de la 46e édition de cette manifestation annuelle qui s’est tenue les 2 et 3 décembre et qui a vu la participation des militants sahraouis, des sympathisants de la cause sahraouie et de nombreuses délégations internationales – dont celle de l’Assemblée nationale populaire algérienne – représentant tous les continents.
Le choix de la capitale allemande par les organisateurs n’est pas anodin, mais reflète surtout l’importance que jouera l’Allemagne dans la modulation attendue de la position de l’Union européenne au cours l’année charnière 2023, concernant le conflit du Sahara Occidental qui perdure depuis presque cinquante ans. Un des objectifs majeurs de cette conférence est donc de sensibiliser l’opinion publique allemande pour qu’elle fasse pression sur le gouvernement d’Olaf Scholz afin qu’il réajuste sa position en la rendant de nouveau compatible avec le droit international, comme ceci a toujours été le cas jusqu’à ce que Annalena Baerbock prenne le gouvernail de la politique étrangère allemande.
Revirement honteux du gouvernement allemand
La grande affluence à la Conférence de Berlin reflète le nouvel élan de solidarité croissante avec le peuple sahraoui opprimé, qui s’est accrue particulièrement après l’invasion au mois de novembre 2020 de la zone-tampon de Guergarate par les forces marocaines. Cette invasion tolérée par le Conseil de sécurité des Nations unies ne laissa aucun choix au peuple sahraoui que de renoncer au cessez-le-feu conclu en septembre 1991 sous l’égide de l’ONU et de reprendre les armes contre l’occupant marocain qui montra en novembre 2020 encore une énième fois son vrai visage hideux et belliqueux, en s’attaquant aux civils pacifiques sahraouis qui campaient dans cette zone pour attirer l’attention de l’opinion internationale sur le sort incertain de la dernière colonie en Afrique, dont le peuple est terrorisé quotidiennement par l’occupant marocain qui, il faut le rappeler, a ouvertement officialisé en décembre 2020 les relations secrètes qu’il entretenait déjà depuis les années 1960 avec le régime raciste israélien, dans le but de renforcer, grâce au soutien militaire et diplomatique de l’Etat sioniste, sa mainmise sur les ressources des territoires occupés dont le peuple sahraoui est l’unique propriétaire.
Le soutien croissant qui s’exprime au profit du peuple sahraoui dans beaucoup de pays, notamment africains et sud-américains, contraste avec un changement honteux dans la position de certains gouvernements européens dont celui de l’Espagne en mars 2022. Mais le plus étonnant revirement vient surtout du gouvernement allemand dont la politique étrangère est devenue du ressort du parti les «Verts», membre de la coalition gouvernementale au pouvoir en Allemagne depuis un an. Ce parti, jadis à l’avant-garde du pacifisme mondial, est devenu l’un des principaux fervents soutiens de l’OTAN (1).
La soumission de l’Allemagne aux intérêts des Etats-Unis et d’Israël
Prétendre, comme le laissent entendre les ténors des Verts allemands, que le revirement de la position de l’Allemagne est seulement motivé par la préoccupation d’assurer à ce pays le contrôle sur les sources d’énergies vertes basées sur l’hydrogène vert que les entreprises allemandes comptent développer au Maroc et au Sahara Occidental, est un moyen de dissimuler d’autres raisons plus importantes car d’ordre stratégique et géopolitique, dictées, en effet, par la politique étrangère états-unienne à qui l’Allemagne est soumise, en raison des contraintes résultant de l’armistice de 1945 qui a relégué l’Allemagne vaincue à un Etat occupé. Cette situation de soumission fut d’ailleurs rappelée en 2013 à ce pays, lorsque l’opinion publique allemande prendra connaissance de l’espionnage de la chancelière Merkel par le service secret états-unien NSA (National Security Agency).
Le revirement allemand dans le conflit du Sahara Occidental ne découle donc pas de la volonté souveraine du peuple germanique mais, d’une part, d’un alignement forcé de l’Allemagne sur la position états-unienne, que l’administration américaine a entérinée officiellement en janvier 2021, après sa reconnaissance, au mépris du droit international et des décisions de l’ONU, de la souveraineté illégale du Makhzen marocain sur le Sahara Occidental et, d’autre part, du forcing de milieux internationaux pro-israéliens qui s’activent, eux aussi, à démontrer à l’opinion publique mondiale qu’Israël est en mesure d’influencer les rapports de force internationaux au profit de ses nouveaux alliés arabes, qui ont signé les Accords d’Abraham et dont le Maroc en fait partie.
La soumission de l’Allemagne aux intérêts des Etats-Unis est devenue encore plus évidente et apparente depuis le début de la guerre russo-ukrainienne. En effet, le gouvernement allemand, qui espérait à long terme tirer des avantages et des dividendes des relations amicales qui se sont développées avec la Russie depuis le retrait des troupes russes d’Allemagne, a buté depuis que Biden est à la Maison-Blanche sur le veto catégorique de son administration. L’affaire du gazoduc Nord Stream I et II en est l’une des meilleures illustrations, en sus des livraisons d’armes lourdes que Olaf Scholz s’est engagé à ne pas livrer à l’Ukraine, mais que l’Allemagne est sommée en définitive de livrer contre son gré.
Retour improbable de l’Allemagne à son ancienne position
Dans la logique de l’environnement diplomatique décrit avant et malgré le travail formidable accompli par les organisateurs de la Conférence et à leur tête les infatigables Pierre-Louis Galand et Oubi Bouchraya, respectivement défenseur historique de la cause sahraouie et représentant du Polisario en Europe, il est improbable que l’Eucoco de Berlin puisse déboucher sur un retour concret du gouvernement allemand à la position conforme au droit international, que les ex-ministres des Affaires étrangères, tels que Heiko Mass, Sigmar Gabriel, Frank-Walter Steinmeier ou Guido Westerwelle ont à leur temps fait valoir. Pis, il est à craindre que la nouvelle position de l’Allemagne serve d’exemple et de prétexte auprès des autres capitales européennes et que dans cet environnement détestable les juges chargés de statuer sur les dossiers en suspens auprès de la Cour de justice de l’Union européenne soient, eux aussi, infectés par le virus d’immoralité qui ravage les esprits des politiciens européens. Que Dieu n’en veuille, un tel cas entraînerait certainement des répercussions négatives très graves sur toute la région d’Afrique du Nord et de l’ouest de la Méditerranée.
Pour éviter qu’un tel scénario se produise et pour contrecarrer aussi le lobbysme du Makhzen et de ses alliés auprès des gouvernements et Parlements européens, l’Eucoco a élaboré un programme de travail et d’actions basé sur la synthèse des recommandations de quatre ateliers de travail. Ce sera le sujet de ma prochaine contribution.
H.-N. B.
1- https://www.algeriepatriotique.com/2022/06/17/les-verts-allemands-du-pacifisme-radical-a-lavant-garde-du-bellicisme-atlantiste-i/
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