Sable au Sahara Occidental et sang en Palestine : chroniques de deux peuples à effacer
Une contribution du Dr A. Boumezrag – Il y a des peuples qu’on célèbre et d’autres qu’on tolère. Et puis, il y a ceux qu’on efface. Non pas brutalement – ce serait trop voyant – mais méthodiquement, lentement, avec cette grâce froide que seule la diplomatie moderne sait offrir : quelques rapports, des silences feutrés et une conférence de presse bien cadrée.
Deux peuples excellent aujourd’hui dans cette catégorie : les Palestiniens et les Sahraouis. Deux noms, deux tragédies parallèles, un même art de l’invisibilité imposée. L’un survit sous les bombes, l’autre sous le sable. Mais dans les deux cas, l’adresse est connue : zone grise. Ni Etat ni espoir. Juste un code postal pour le désespoir administré.
Gaza, mai 2025. Le ciel est dégagé – littéralement, car il n’y a plus d’immeubles pour bloquer la vue. Les drones survolent des quartiers entiers nivelés par la paix, version guidée. L’opération a un nom, comme toujours. Peut-être «Bordure protectrice 2.0» ou «Justice de fer». Peu importe : à la fin, c’est toujours la même rengaine. Les civils comptent leurs morts ; les puissances occidentales comptent les voix à ne pas perdre. On dira que c’est complexe. Et c’est vrai : il faut beaucoup d’efforts pour justifier l’injustifiable sans cligner des yeux. L’ONU «condamne fermement». Les Etats-Unis «déplorent». L’Europe «appelle à la retenue». Tout le monde parle. Sauf les morts.
A 3 000 km de là, sous un soleil qui ne bronze personne, le Sahara Occidental dort sous occupation. Une occupation douce, polie, administrativement fluide. Le Maroc s’y est installé comme on pose ses valises dans une maison qu’on ne rendra jamais. Il y a des barrages, des drapeaux, des gisements – et quelques Sahraouis qu’on préfère compter en pourcentages d’intégration plutôt qu’en voix discordantes.
Tindouf, côté algérien, est devenue une ville de l’attente. Attente d’un référendum fantôme, d’un droit à l’autodétermination qu’on brandit dans les discours de fin de colloque. Mais entre Rabat qui investit, l’Europe qui oublie et l’Union africaine qui s’embourbe, il ne reste plus aux Sahraouis que le sable pour graver leur nom.
Le monde ne nie pas leur existence. Il fait mieux : il la dilue. Trop de crises, trop de conflits, trop de causes. La Palestine et le Sahara ne sont pas niés ; ils sont relégués. Comme des notifications qu’on ne lit plus. Ils sont là, mais ils gênent. Ils crient, mais plus personne n’écoute. Ils résistent, mais cela ne rentre pas dans les budgets de coopération. Les cartes sont claires : on y inscrit ce qui rapporte. L’empathie, elle, n’a pas de pipeline.
Deux peuples, deux tragédies, un même traitement : l’effacement propre. Pas de détonation mondiale, pas de procès de Nuremberg, juste l’usure du droit, le sabotage des mots, le sablier du silence. Pendant ce temps, Rabat signe des partenariats, Tel-Aviv développe ses IA et les réfugiés s’entassent dans des territoires trop petits pour leurs morts. Mais tout va bien : un nouveau sommet est prévu. Avec des mots. Et un buffet.
Citation à graver sur les murs de la géopolitique moderne : «On n’efface pas les peuples, on les rend incompatibles avec l’agenda.» Manuel du bon diplomate, édition fantôme.
Moralité : là où il n’y a plus de moralité, il reste la realpolitik ; Gaza, la Palestine et le Sahara Occidental en sont les terrains d’entraînement.
Ce ne sont plus des tragédies : ce sont des dossiers, des lignes de budget, des clauses à ignorer. On y enterre des droits avec méthode, on y fabrique l’oubli avec des bulletins diplomatiques. Et pendant qu’on débat de principes, des peuples vivent dans des parenthèses qu’on ne referme jamais.
A. B.
Commentaires