Comment Washington utilise l’Algérie comme levier de pression sur l’Europe
Par Sid-Ali Mokhefi – Ce que certains décrivent comme une coopération énergétique algéro-américaine est, en réalité, un masque posé sur une stratégie beaucoup plus profonde et insidieuse. L’Algérie, par sa position géographique et sa richesse énergétique, n’est pas un simple fournisseur : elle est un point d’appui géostratégique dans une guerre d’influence qui traverse aujourd’hui trois continents.
Les Etats-Unis, depuis la rupture brutale entre l’Europe et la Russie, cherchent une nouvelle architecture énergétique. Ce n’est pas seulement une quête de gaz, c’est une reconfiguration complète des flux, des routes, des alliances. Et dans ce jeu, l’Algérie devient une pièce centrale. Pas une alliée libre, mais une sphère à contenir, à séduire, à verrouiller.
En signant une série de protocoles d’accord avec Sonatrach, les Américains ne viennent pas simplement acheter du gaz : ils achètent de la visibilité sur les sites, de la participation discrète aux décisions, du positionnement logistique. Ils s’ancrent dans le cœur énergétique de l’Afrique du Nord, cette région encore largement indépendante des grands conglomérats transatlantiques. L’Algérie devient un point d’entrée. Une porte qu’ils veulent entrouvrir, puis tenir.
Mais leur stratégie ne s’arrête pas là. L’objectif plus large est clair : utiliser l’Algérie comme levier de pression sur l’Europe. En l’absence du gaz russe, et face à une instabilité persistante au Moyen-Orient, Washington a compris qu’il pouvait faire de l’Algérie une source sécurisée pour le continent européen. En apparence, cela renforce le rôle algérien. En réalité, cela installe un filtre : celui par lequel les flux doivent passer, les normes doivent être validées, les infrastructures doivent être compatibles avec les standards américains.
Ce n’est pas une ingérence classique. C’est un habillage d’influence. Ils ne prennent pas le contrôle, ils le co-construisent à leur manière.
Et le troisième pilier de cette stratégie, peut-être le plus déterminant, reste la route transsaharienne. Ce projet de gazoduc Nigeria–Niger–Algérie n’est pas seulement une infrastructure énergétique. Il est l’ossature d’un corridor stratégique allant du Golfe de Guinée à la Méditerranée. Une colonne vertébrale qui, si elle voit le jour, servira non seulement au gaz mais aussi aux données, aux fibres, aux flux de marchandises, aux mouvements militaires. Une route sous apparence africaine, mais dont les jalons technologiques et financiers pourraient bien être américains. Ou, du moins, validés par eux.
Le risque est simple : ce qui commence par un contrat finit par un réseau. Ce qui commence par un appui finit par une dépendance. L’Algérie, si elle n’y prend pas garde, pourrait se retrouver encadrée, encordée, puis intégrée dans un système énergétique transméditerranéen qu’elle ne maîtrisera plus.
Les Etats-Unis ne veulent pas seulement du gaz. Ils veulent positionner leur présence au cœur des routes, des terminaux, des normes et des décisions. Ils ne cherchent pas à dominer : ils cherchent à verrouiller. Doucement. Profondément. Définitivement.
Ce n’est pas un partenariat. C’est un partage de souveraineté déguisé. Une souveraineté énergétique algérienne mise en vitrine, mais dont les commandes se déplaceraient peu à peu ailleurs.
Et, pendant que certains se félicitent des signatures de protocole, d’autres devraient déjà préparer les contre-mesures. Car, une fois la toile tissée, il sera trop tard pour s’en défaire.
S.-A. M.
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