Occident pompier pyromane en mission humanitaire ou quand brûler devient une stratégie
Une contribution du Dr A. Boumezrag – Des ruines de Kaboul aux sables du Sahel, en passant par le chaos libyen, l’Occident joue depuis deux décennies un rôle trouble : pyromane par intérêt, pompier par image, sauveur par habitude. Mais en ce printemps 2025, le monde ne veut plus être sauvé à coups de frappes ciblées et de conférences humanitaires. Le Sud se délie, se défie et, parfois, se débarrasse de lui. Cette chronique interroge : et si, derrière les bons sentiments se cachait une stratégie du désordre ?
Parole tenue : l’Occident est là pour aider. Parole oubliée : c’est lui qui a allumé l’incendie.
L’image est connue, mais toujours efficace : un homme met le feu à une maison, revient quelques minutes plus tard avec un extincteur à la main, grimpe sur le toit, et proclame : «Regardez comme je sauve des vies ! » Cet homme, en 2025, s’appelle encore l’Occident. Il est coiffé d’un casque de l’Otan, porte une croix humanitaire sur le torse, et fait des conférences de presse en anglais, en français ou, parfois, en langue diplomatique universelle : celle de l’ambiguïté stratégique.
Acte I : pyromane éclairé. Du Moyen-Orient au Sahel, de l’Afghanistan à la Libye, l’Occident a laissé derrière lui un paysage de cendres. Interventions musclées sous prétexte de guerre contre le terrorisme, renversement de dictateurs à coups de missiles, remodelage démocratique à la hussarde… et puis plus rien. Silence radio. Retrait précipité. Problèmes techniques. On ne répond plus.
En Libye, il a «protégé les civils» en 2011 en bombardant tout un régime, pour laisser ensuite une guerre civile s’installer durablement. En Afghanistan, il a «libéré» un pays en 2001 pour le rendre en 2021, comme un colis Amazon abîmé, à ceux qu’il prétendait avoir vaincus. Au Sahel, il a joué au stabilisateur, puis s’est fait éjecter sans autre forme de procès. Exit le pompier, reste la braise.
Acte II : pompier professionnel. Mais attention, le pompier reste actif. Il reconstruit ce qu’il a détruit, avec des appels à projets, des ONG, des fonds d’aide conditionnés et des rapports de la Banque mondiale. Il envoie de la farine, des drones et des leçons de démocratie. Il organise des colloques sur la paix durable dans des hôtels climatisés à Genève ou à Paris. Et il pleure parfois, avec une sincérité presque touchante, sur le sort des civils qui fuient des guerres qu’il a contribué à allumer.
Tout cela, bien sûr, au nom de la morale. Et si cela ne suffit pas, on sort la carte magique : les droits de l’Homme. L’Occident n’est pas parfait, dit-il, mais il essaye. Il ne comprend pas pourquoi on le rejette. Ingratitude africaine, trahison orientale. Et pourtant, il est encore là, à tendre la main. Enfin… tant que cela n’implique pas d’accueillir trop de réfugiés.
Acte III : fuite stratégique. Quand l’affaire tourne mal, il fuit. Pas trop vite, mais assez pour qu’on ne puisse pas lui coller le procès. C’est la doctrine du «on a fait ce qu’on a pu». Le repli devient une stratégie. Il laisse le terrain à d’autres pyromanes plus bruyants – Wagner, Turquie, Chine, milices locales. Et il regarde, consterné, ce désordre qu’il a contribué à semer.
Mais ne vous y trompez pas : l’Occident reviendra. Il revient toujours. Avec de nouvelles promesses, de nouveaux logos, de nouvelles leçons. L’humanitaire est une vocation, surtout quand il sert les intérêts géopolitiques.
Et si le feu venait à manquer ?
Mais que deviendrait donc l’Occident… sans incendie à éteindre ? Sans chaos à canaliser ? Sans ennemi à diaboliser, ni démocratie à imposer ?
Privé de sa posture de sauveur, il se retrouve nu, désorienté, sans récits à raconter. Car depuis des décennies, le désordre ailleurs est devenu une fonction identitaire ici : on intervient pour exister, on reconstruit pour se rassurer, on s’indigne pour se disculper. L’humanitaire, la guerre propre, la paix rentable : tout cela compose le théâtre d’un Occident qui peine à se penser autrement qu’en centre du monde.
Et pourtant, ce monde a changé.
Les peuples jadis «aidés» refusent désormais l’aide sous conditions. Les régimes détestés ne s’effondrent plus sous les bombes, mais prospèrent dans les vides que l’Occident a créés. Et dans ces vides, la Chine investit, la Russie s’infiltre, les opinions locales s’organisent, souvent contre lui. L’ancienne métropole devient suspecte. Sa parole, mise en doute. Son retour, indésirable.
Car à force de vouloir tout éteindre, l’Occident a fini par étouffer la confiance. Et à force de brandir le seau d’eau, il n’a jamais vu que, parfois, les incendies étaient des révoltes légitimes, des colères trop longtemps contenues.
Alors oui, il peut encore sauver. Mais il devra d’abord apprendre à écouter. A réparer sans dominer. A intervenir sans s’imposer. Et surtout, à reconnaître ceci : on ne sauve pas un monde qu’on ne comprend plus.
Et si un jour, le Sud refusait à l’Occident le droit d’apporter son aide ? Peut-être alors comprendrait-il que «sauver le monde» commence par le laisser respirer sans lui.
A. B.
Comment (2)