Rabat n’a pas compris
Par Anouar Macta – Le Maroc cherche encore le miracle. Après avoir épuisé la carte du glamour et du show-business pour maquiller son occupation du Sahara Occidental, voilà qu’il tente de rejouer la scène coloniale par le théâtre économique. Stars fatiguées, chanteurs compromis, influenceurs en quête de chaleur marocaine : cette diplomatie des paillettes, qui faisait illusion dans les salons dorés de Marrakech, a fini par s’éroder. Rabat change donc de registre. Il troque la scène contre le marché, le festival contre le contrat. Il espère que l’économie accomplira ce que la politique n’a pas su arracher : une reconnaissance déguisée, par en dessous, de sa prétendue souveraineté sur un territoire toujours inscrit à l’ONU parmi ceux à décoloniser.
Dans les années 1990, les multinationales signaient les yeux fermés, tant que le contrat était juteux et les matières premières abondantes. L’éthique ? Un supplément d’âme pour conférences en fin d’année. Aujourd’hui, le moindre investisseur, la plus modeste start-up, la plus puissante multinationale, sait qu’elle n’échappe plus au tribunal de l’opinion. Le boycott rôde, la transparence s’impose, la RSE n’est plus une brochure mais une exigence stratégique. Le consommateur scrute, l’actionnaire questionne, la société civile traque. Une entreprise peut supporter les fluctuations du marché, rarement celles de sa réputation.
C’est ce que semble ignorer Rabat, en multipliant les accords économiques sur le dos du peuple sahraoui. Le diplomate sahraoui Oubi Bouchraya Bachir l’a dit clairement : le Maroc veut impliquer des entreprises étrangères dans des investissements «illégaux» sur des terres occupées, pour qu’elles deviennent les lobbies d’une reconnaissance officieuse. C’est le colonialisme par le contrat, le vol des ressources emballé dans des conventions de partenariat.
Mais cette stratégie, qui repose sur le cynisme des années passées, se heurte aujourd’hui à un obstacle inattendu : l’éthique est devenue un facteur de rentabilité. A titre d’exemple, le Royaume-Uni a récemment refusé de signer un accord énergétique avec le Maroc, précisément, parce que l’électricité proposée venait des territoires occupés du Sahara Occidental. Un précédent. Un signal. Un coup d’arrêt.
Face à la réticence des puissances économiques européennes, Rabat semble se rabattre sur un allié désormais structurel : Israël. La licence octroyée à la société New Med Energy pour la prospection pétrolière au large des côtes sahraouies n’est pas une décision commerciale anodine : c’est un adossement stratégique. Le Maroc parie sur le savoir-faire israélien en matière d’occupation, de contournement du droit, de colonisation normalisée. Ce pacte énergétique, c’est une transposition du modèle Gaza dans le désert saharien. Une exportation du cynisme en kit.
Mais ce choix aura un coût. Car en s’alignant sur la politique israélienne dans un contexte mondial marqué par les crimes de guerre à Gaza, le Maroc creuse un peu plus sa tombe morale. Il ne gagne pas en influence, il s’enferme dans un axe du discrédit.
A Rabat, on mise sur les politiques du moment. Mais les dirigeants passent, les opinions restent. Un président peut demain effacer un engagement. Une entreprise, elle, vit de son image. Elle n’oubliera pas que son logo a été vu sur une carte d’occupation. Et le consommateur d’aujourd’hui, surtout celui des nouvelles générations, n’est plus près de consommer un produit issu de territoires pillés.
L’Espagne l’a compris. Son engagement passionné pour la cause palestinienne n’est pas seulement un réflexe de gauche : c’est un calcul économique. C’est le choix de l’avenir. Celui d’une économie qui doit conjuguer profits, justice et visibilité mondiale. Rabat, lui, continue de croire que quelques contrats suffiront à blanchir l’illégalité.
Mais qu’il le sache : le temps des deals sans morale est révolu. Et l’occupation, même emballée dans une promesse d’investissement, reste une occupation.
A. M.
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