Espionnage et désinformation crédible : quand le secret n’est plus un secret

Snowden
Les Snowden (photo), Assange et leurs héritiers 3.0 ont ouvert une boîte de Pandore. D. R.

Par A. Boumezrag – «Quand le secret n’est plus un secret, il se vend sur les plateaux de télévision à New York, Paris, Tel-Aviv, Ankara…» Cette phrase, à la fois lucide et ironique, résume peut-être mieux que tout discours la profonde mutation des rapports entre vérité, pouvoir et renseignement dans notre monde en surchauffe.

Nous sommes en 2025. L’été est brûlant, la planète halète, et les services de renseignement, eux, continuent de jouer une partition plus discrète que jamais – ou plus visible que jamais, selon l’angle choisi. Car aujourd’hui, l’espion ne se cache plus toujours dans l’ombre. Il oriente la lumière.

Le secret éventré : la fin de l’opacité stratégique

Autrefois, le secret était un sanctuaire. Un espace protégé, réservé à l’Etat, aux armées, aux diplomates et à quelques initiés. Aujourd’hui, il est spectacle, produit dérivé, contenu viral.

On ne lit plus les secrets : on les regarde. On les consomme, entre deux débats sur la présidentielle ou les Oscars. L’ex-agent devient consultant télé. Le lanceur d’alerte devient héros de série. L’information classifiée fuit avant même d’être imprimée.

Les Snowden, Assange et leurs héritiers 3.0 ont ouvert une boîte de Pandore où la vérité n’est plus qu’un fragment parmi d’autres, rivalisant avec les récits alternatifs, les deep fakes, les post-vérités.

En 2025, les grandes fuites ne sortent plus forcément de serveurs russes ou de bases militaires américaines. Elles se nichent dans des podcasts pseudo-indépendants, des forums cryptés ou des documents PowerPoint présentés comme des évidences.

De l’ombre à l’algorithme : la mutation du renseignement

Le renseignement classique, celui des micros, des filatures, des valises diplomatiques, n’a pas disparu. Il s’est transformé.

Aujourd’hui, l’essentiel du travail ne se fait plus dans des ruelles sombres, mais dans des centres de données climatisés, via des outils d’analyse prédictive, des IA de surveillance linguistique, du big data géopolitique.

Le cœur du métier n’est plus seulement de savoir ce que pense un dirigeant ou ce que cache un bunker. C’est de savoir ce que les masses croient savoir – et de pouvoir en jouer. On ne protège plus seulement les secrets d’Etat : on oriente les récits de masse, on sculpte le chaos, on désigne les «vérités acceptables». C’est l’âge du renseignement d’influence, des guerres cognitives, de la diplomatie algorithmique.

Quatre villes, quatre nœuds du renseignement contemporain

New York, Paris, Tel-Aviv, Ankara : autant de scènes sur lesquelles se joue aujourd’hui cette nouvelle dramaturgie du secret. New York, entre Wall Street et les Nations unies, centre de l’espionnage financier, du lobbying globalisé et des conflits d’intérêts à l’échelle planétaire. Paris, carrefour stratégique entre Europe, Afrique et Moyen-Orient, reste un bastion de la cyberdéfense et du renseignement antiterroriste. Tel-Aviv, avec ses start-up de cybersécurité et ses unités militaires tech-savvy, est devenu le Silicon Valley du renseignement numérique. Ankara, quant à elle, orchestre habilement sa position géographique et géopolitique entre Otan, Russie et Proche-Orient, jouant à la fois l’arbitre, l’acteur et le fauteur de trouble.

Chacune à leur manière, ces capitales réinventent le rapport au secret, à la désinformation et à la puissance. Le théâtre du renseignement n’est plus un décor en carton-pâte : c’est un écran LED géant, où tout se joue en direct différé.

Lendemains qui chantent ou lendemains qui déchantent ?

Alors, que nous réserve l’avenir ? Le renseignement de demain sera-t-il l’arme de la paix ou l’instrument d’une surveillance dystopique ?

Dans un monde idéal, les outils modernes d’analyse et de prédiction pourraient permettre de prévenir des génocides, d’anticiper des guerres, de désamorcer des crises.

Le renseignement deviendrait alors un outil de régulation mondiale, un gardien des équilibres.

Mais dans un monde réel, la tentation du contrôle, de la manipulation et de la guerre narrative permanente risque de transformer la vérité en produit marketing et la démocratie en spectacle de transparence sélective.

Le renseignement, loin d’être dépassé, n’a jamais été aussi central. Mais il ne protège plus seulement : il orchestre, il façonne, il encadre le réel.

L’art moderne du secret

«Le vrai secret, aujourd’hui, c’est de savoir mentir avec des preuves et dire la vérité comme une théorie du complot.» Cette maxime résume, à elle seule, la schizophrénie informationnelle de notre époque.

Désormais, ce n’est plus ce qu’on cache qui fait le secret. C’est ce qu’on laisse fuiter, comment et par qui. Le mensonge s’institutionnalise dès lors qu’il est bien emballé. La vérité, elle, devient suspecte dès qu’elle est trop brute, trop évidente, trop mal racontée.

Les services d’espionnage ne sont plus seulement les gardiens de l’invisible : ce sont les scénaristes du réel. Ils créent des narratifs plausibles, des vérités digestes, des mensonges crédibles. Et dans ce théâtre global, le citoyen est à la fois spectateur, figurant et cible.

La vérité existe peut-être encore, quelque part. Mais, en 2025, elle n’a pas de carte de presse.

La vérité sans badge

La vérité existe peut-être encore, quelque part, mais en 2025, elle n’a pas de carte de presse. Elle n’est ni accréditée ni invitée sur les plateaux. Elle dérange, elle grince, elle n’a pas le bon logo, ni le bon algorithme. Elle circule à voix basse, dans les marges, entre deux censures, deux réécritures. Elle ne fait pas le buzz, ne valide aucun agenda, ne s’aligne sur aucune stratégie.

Dans ce monde saturé d’experts certifiés et de narratifs calibrés, la vérité n’est pas absente – elle est simplement inaudible, trop authentique pour être monétisée, trop nue pour être habillée en «breaking news».

Et pourtant, c’est d’elle – et d’elle seule – que dépend encore la lucidité.

A. B.

Comment (5)

    🇩🇿 Fodil Dz
    9 juillet 2025 - 17 h 09 min

    Dans le monde du renseignement, ce qui est surprenant c’est quand le service d’un pays fait comprendre à son adversaire que certaines informations sont connues et que celui-ci fait comme si de rien n’était en adoptant une attitude irrationnelle pensant tirer profit de la situation alors que c’est lui qui se retrouve affaibli.
    Chercher à faire de ses défaites des victoires et de ses échecs des réussites, c’est comme ça qu’on pourrait résumer ce paradoxe.
    En temps normal, la révélation de certains secrets pousserait un pays rival à faire profil bas. Mais quand l’ennemi est particulièrement perfide et malhonnête, on peut se retrouver dans certaines situations cocasses, ridicules et grotesques.

    Errayeh
    9 juillet 2025 - 14 h 31 min

    Une analyse pertinente de ce qu’est aujourd’hui l’information ; Les grands medias et leurs stars de la presse en général décrètent leur « vérité », leur propagande.
    Les masses populaires formatées, abrutis, dans leur grande majorité ne sont rien d’autre qu’un écho des discours répétés à outrance par les nouveaux prophètes, gourous et influenceurs des plates-formes TV et numériques.
    Comme vous dites si bien, les vérités et les preuves sont distillées dans des laboratoires d’un autre genre, distribuées clés en main.
    Même les piliers institutionnels — jadis garants de rigueur — aujourd’hui complices, se prosternent devant ces nouvelles écritures numériques ;
    Fini l’ère de James Bond ; Nous sommes dans un monde de hashtag

    🇩🇿 Fodil Dz
    9 juillet 2025 - 12 h 57 min

    On vit une époque qui a bouleversé le monde du renseignement. Quand on parle de renseignement, on pense directement à l’espionnage, aux agents secrets, aux agents dormants …
    Le secret qui n’est plus secret et que l’on retrouve sur les plateaux de télévision révèle la profonde mutation des rapports entre vérité, pouvoir et renseignement selon A. Boumezrag.

    Un secret révélé à un moment précis peut aussi avoir été l’objectif fixé du renseignement militaire d’un pays. En résumé, la mission est accomplie.
    Une fois que le secret n’est plus caché et que l’information a bien été transmis à un pays tiers, le renseignement peut toujours analyser la façon dont la partie adverse réceptionne ce qui n’est plus un secret et traiter ce qu’il en ressort comme enseignements …

    Anonymat
    9 juillet 2025 - 12 h 07 min

    Un général de l’armée allemande pendant la première guerre mondiale disait « L’espionnage est un métier de voyous pratiquait par des seigneurs », tout le monde ment, tout le monde fait de la propagande, tout le monde couche avec tout le monde et tout le monde trompe tout le monde, les intérêts sont le seul élément qui reste vrai quel que soit l’endroit, quel que soit les acteurs et quel que soit le moment, justement les intérêts qui changent au gré des acteurs et des événements définissent qui est l’ennemi du moment et qui est l’amant du moment, les deux peuvent intervertir leur place plusieurs fois dans la même journée, tout le reste est en perpétuel mouvement et en perpétuel changement, la guerre des gaules écrit par Jules César est un magnifique chef-d’œuvre de la propagande et de la désinformation, il y a plus de 20 siècle César était à la fois, journaliste, VRP, agent secret, menteur, manipulateur et propagandiste, Napoléon Bonaparte à fait exactement pareil, aujourd’hui des Snowden et des Assange ont existé parce que des bras trop puissants à l’intérieur de la machine l’ont voulu qu’il soit ainsi, d’ailleurs en dehors de deux personnages à qui on a rendu la vie impossible, Snowden avait de la chance parce qu’il est en Russie mais pour le reste, personne d’autre n’a était arrêté ou inquiété, bien entendu des purges et des règlements de compte au sein de la grosse machine US ont eu lieu, des gens ont reçu l’ordre de donner des documents trop importants pour être publié et Assange a exécuté la mission, celui qui croit que Assange et Snowden sont des chevaliers blancs des réseaux informatiques, celui-là rêvera tellement longtemps, depuis que l’homme est homme, les habitudes n’ont pas changé, le Sapiens livre bataille à ses congénères pour garder le point d’eau, aujourd’hui on se bat toujours pour un autre liquide, il est juste noire, la prochaine fois, il prendra une autre couleur et peut être une autre forme, toutefois, le principe reste le même.

    🇩🇿 Fodil Dz
    9 juillet 2025 - 10 h 54 min

    La guerre et la façon de la faire ont changé au cours des dernières années.
    Le monde du renseignement est crucial dans la guerre.
    Obtenir des informations sur un autre pays est une force en matière de géopolitique. Il permet de prendre de meilleures décisions en matière de défense nationale et d’organiser sa stratégie.

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