Sabrina Sebaihi : «Je suis menacée à chaque fois que je parle d’Algérie !»
Par Kahina Bencheikh El-Hocine – Sabrina Sebaihi, députée franco-algérienne à l’Assemblée française, est revenue, dans une interview à l’association Union Algérienne, sur la grave crise qui secoue les relations algéro-françaises depuis les déclarations d’Emmanuel Macron en faveur d’une prétendue marocanité du Sahara Occidental. Pour cette élue, parler de l’Algérie est toujours difficile. «A chaque fois qu’on aborde les questions qui avaient un lien avec l’Algérie, cela devient difficile. Ce qui revient toujours, c’est la notion de cinquième colonne comme si, finalement, on avait parmi ces binationaux des ennemis de l’intérieur qui sont les Franco-Algériens. La deuxième remarque qui revient tout de suite après c’est : retourne chez toi ! Tu n’es pas française», note-t-elle.
Sebaihi, qui a auditionné l’historien Benjamin Stora sur les travaux réalisés autour des questions mémorielles, a fait savoir que l’historien était très clair dans ses déclarations en affirmant que le travail de mémoire n’avait jamais commencé. «Ce travail aurait dû se faire il y a des années. Il n’est toujours pas fait et à chaque fois qu’on parle de mémoire, de colonisation ou de la Guerre d’Algérie, on nous oppose systématiquement la repentance», a-t-elle affirmé, en ajoutant : «Quand j’ai déposé la résolution sur le 17 Octobre 1961, j’ai reçu des menaces de mort. A chaque fois qu’on parle de l’Algérie, on est insulté et menacé systématiquement.»
La députée franco-algérienne poursuit en pointant du doigt le Rassemblement national qui, selon elle, est le parti qui fait le plus de fixation sur l’Algérie. «Il y a une obsession du RN sur l’Algérie mais, malheureusement, il n’est pas seul. Vous avez, aujourd’hui, énormément de courants politiques, qu’on retrouve facilement, car ce sont soit des descendants de l’OAS, soit des nostalgiques de l’Algérie françaises qui s’assument, tiennent des discours algérophobes», fait-elle savoir, en soulignant qu’«une discrimination spécifique» à l’encontre des Algériens existe bel et bien en France. «Bruno Retailleau a déclenché une crise entre Paris et Alger. Nous avons eu beaucoup de contre-vérités et de mensonges qui ont été déversés pendant des mois et des mois», a-t-elle affirmé, en précisant qu’«il y a forcément une responsabilité politique au plus haut sommet de l’Etat, lequel a mis une cible dans le dos des binationaux algériens, qui seraient les responsables de tous les maux en France».
Selon la députée des Verts, la relation entre la France et l’Algérie est réduite à une question migratoire, alors que c’est une question de famille, de coopération économique et de coopération sécuritaire.
Abordant le sujet de l’islamophobie qui règne en France, Sebaihi a indiqué que «la réalité est que la haine de l’islam ou la haine du musulman en France tue» – référence à l’assassinat du jeune malien Aboubakar Cissé dans une mosquée du Gard, en France. «On a remis un rapport à l’Assemblée nationale sur l’islamophobie en France et tous les sociologues que nous avons auditionnés nous expliquent qu’il y a un amalgame qui est fait entre musulman, islam, islamiste et terroriste. Pour eux, c’est la même chose. Ils expliquent aussi que la colonisation, notamment de l’Algérie, a un lien direct avec ce qu’il se passe aujourd’hui autour de l’islamophobie», a-t-elle dit.
«Il y a eu un racisme pendant de nombreuses années en France contre les Maghrébins et, depuis qu’on ne peut plus attaquer l’Algérien ou le Maghrébin, l’Arabe finalement, eh bien, on passe par l’islam. Une manière détournée d’attaquer les mêmes pour la simple et bonne raison que dans les débat autour de l’islam que vous avez sur les chaînes de télé de grande écoute, ils ne pensent qu’aux Maghrébins et essentiellement aux Algériens. S’attaquer à l’islam est une manière détournée d’un racisme anti-arabe, anti-algérien qui n’a totalement jamais disparu, et qui a juste muté», a-t-elle étayé.
La députée n’a pas manqué de fustiger le terme «beurette» qui stigmatise le Maghrébin en général et sur la demande de changement de sa signification à l’Académie française. «Je pense qu’il ne faut rien laisser passer. Ce terme est dévoyé et utilisé à mauvais escient. C’est dans la même veine que lorsqu’une ancienne ministre a déclaré que des millions d’Algériens pourraient sortir, armés d’un couteau. Je crois qu’il faut arrêter de libérer cette parole complétement raciste et décomplexée dans le pays», recommande-t-elle, assurant que «ce travail peut aboutir pour en avoir parlé avec la ministre de la Culture, qui était favorable à l’idée d’avancer là-dessus. Le mot beurette doit trouver sa place dans le dictionnaire avec cette définition : beurette est une insulte.» Pour elle, il est important d’avoir des associations qui travaillent sur ces sujets. «Nous autres députés proposons, mais il faut un portage de la société civile pour pouvoir changer la société».
Sabrina Sebaihi appelle, par ailleurs, à l’implication et la mobilisation de la société civile sur la question mémorielle. «La société civile doit se manifester et dire que la France et l’Algérie sont deux pays amis et n’ont aucune raison de se faire la guerre ou de se détester, qu’on avance vers une relation beaucoup plus apaisante pour nos deux pays, parce que c’est dans l’intérêt de tout le monde», a-t-elle argumenté. Pour elle, ce qui pose réellement problème, c’est le fait que toutes les insultes et les propos racistes que subit la communauté algérienne en France passent sans aucune réaction. «Nous avons cédé dans la société à toutes ces insultes qui nous passent au-dessus. On ne fait plus de signalement, on ne condamne plus les propos racistes sur les chaînes de grande audience et c’est bien cela le problème», a-t-elle reproché.
«Ce qui est certain, c’est que nous avons créé un problème qui s’appelle Algérie. Les derniers propos tenus stigmatisant et englobant des millions d’Algériens comme de potentiels dangereux terroristes, sont extrêmement graves et tombent sous le coup de la loi. Il est important qu’on soit nombreux à les signaler pour que, justement, ces propos ne soient plus tenus», a-t-elle revendiqué, estimant que ce climat délétère créé de toute pièce contre les Algériens est pour détourner l’attention des Français des vrais problèmes. «Je rappelle que la France est un pays totalement endetté. On vit une crise démocratique sans précédent avec une dissolution de l’Assemblée qui n’a absolument rien réglé au fonctionnement de nos institutions. Une crise économique sans précédent, un taux de pauvreté qui a explosé et, à tous ces problèmes, on ne répond pas avec des solutions, on crée des problèmes pour faire diversion», a-t-elle fait constater.
S’agissant du sentiment qui habite les musulmans et en particulier les binationaux franco-algériens, et qui se demandent s’ils doivent quitter la France, la députée franco-algérienne a affirmé que ce n’est plus juste une réflexion. «Vous avez, aujourd’hui, des milliers de personnes qui quittent la France à cause de ce climat et de l’ambiance qui y règnent, qu’ils soient Algériens ou musulmans, puisque souvent les deux sont amalgamés. Ceux qui ont les moyens de partir partent dans des pays anglo-saxons ou des pays arabes. C’est dramatique parce que c’est une jeunesse qui a été formée, souvent dans l’école publique. Ce sont des pépites, des gens diplômés qui décident de partir car ils ne supportent plus le climat en France», a-t-elle regretté. Et de rappeler cette vérité qui dérange outre-Méditerranée : «Il y a seize mille médecins algériens qui font tenir l’hôpital public en France.»
«Cela, il ne faut pas l’oublier car, si demain ces médecins décidaient de partir, il y aurait énormément de services, voire d’hôpitaux entiers qui fermeraient leurs portes et on ne pourrait plus se faire soigner. Je crois qu’à un moment, il faudrait que chacun se rende bien compte de ce qu’il dit. On parle d’une richesse, non pas pour profiter du système comme on voudrait nous le faire croire, mais qui contribue largement à produire de la richesse en France», a-t-elle conseillé.
«Je reste persuadée que la diaspora de manière générale et la jeunesse sont la clé pour notre futur commun, sur laquelle il faut s’appuyer et se tourner vers l’avenir, et que le travail mémoriel va payer un moment ou un autre», a-t-elle conclu, sur une note d’optimisme.
K. B.-H.
Comment (14)