Tunisie : les salafistes font toujours ce qu’ils disent

La discipline des salafistes, leur persévérance et leur mobilisation sont impressionnantes et constituent des atouts dans la guerre d’usure qu’ils sont en train de mener pour imposer leurs lois. Ce matin, fidèles et ponctuels au rendez-vous qu’ils se sont donné hier, ils se sont postés devant l’administration décanale de l’université de la Manouba, guettant l’arrivée du doyen. Dès que celui-ci apparaît, ils font de leur corps un barrage humain lui obstruant l’accès à son bureau. Il aura fallu quarante minutes de discussions pour les convaincre de libérer la voie. Ils l’ont fait moyennant la promesse que le doyen engagerait avec leurs représentants des pourparlers au sujet de leurs revendications qu’ils ont présentées par écrit dans un arabe très approximatif. La salle de prière, le droit des niqabées de se couvrir le visage pendant les cours et les examens et l’annulation des sanctions prononcées par le conseil de discipline du 2 mars dernier, sont les réclamations formulées dans le document présenté au doyen. Ils en ont oublié deux qui figurent sur les affiches placardées sur la porte d’entrée de l’administration décanale : la validation de l’examen des étudiantes qui ont passé les épreuves avec le voile intégral et l’annulation du conseil de discipline qui devait se tenir le 17 mars dernier et qui a été reporté au 28 avril prochain, à la demande des avocats d’une dizaine d’étudiants coupables de violences, d’entrave au déroulement des cours, d’entrave à un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions, d’effraction d’une salle de cours, etc.
Dans le journal de 20 heures de la chaîne première de la Télévision nationale (tunisienne) diffusé le mardi 17 avril, le directeur général de l’enseignement supérieur, M. Wahid Gdoura, avait déclaré que la solution au problème ne pouvait se faire que par la voie des négociations, et exhorté les étudiants à respecter le règlement intérieur de l’institution et les décisions du conseil de discipline. Cette exhortation, émanant pour la première fois d’un responsable ministériel et dans une apparition publique, a été appréciée par de nombreux enseignants qui y ont vu les prémisses d’une nouvelle position du ministère de l’Enseignement supérieur, dont le premier responsable nous avait habitués, au cours de ses apparitions télévisées et ses interviews aux médias de la place, à tomber à bras raccourcis sur les enseignants de la FLAHM et leur doyen, en leur faisant endosser la responsabilité de la crise.
Ces énièmes pourparlers qui interviennent après un marathon de négociations avortées pendant la semaine infernale du 28 novembre au 6 décembre 2011, et celles également infructueuses des 2 et 3 janvier 2012, s’annonçaient aussi ardues que les précédentes en raison des logiques antinomiques en présence et du refus des salafistes de reconnaître les lois de l’institution. M. Wahid Gdoura en sait quelque chose, lui qui a été délégué par le ministre pour faire les bons offices pendant les dernières négociations et qui s’est heurté à l’intransigeance des salafistes. De fait, le premier round de ces tractations, qui a duré plus de trois heures, s’est achevé sans résultats palpables. Les représentants des salafistes ont toutefois promis de revenir à la table des négociations après avoir soumis à leurs camarades les propositions du conseil scientifique. D’après les informations qui ont filtré, la proposition, qui sera soumise par les salafistes à leurs camarades, permet aux étudiants d’avoir un lieu de prière – ce que l’administration de la FLAHM n’a jamais refusé – moyennant le respect par les salafistes d’une charte qui fixe des règles strictes d’utilisation de ce lieu et la stricte observance des règlements de l’institution et des lois qui régissent la vie universitaire. C’est la solution envisagée lors des dernières tractations. Acceptée par les négociateurs, elle avait été rejetée par leur base.
Les enseignants réunis en assemblée générale syndicale ont dénoncé les violences salafistes et recommandé la fermeté dans l’application des dispositions réglementaires. Ils se sont déclarés déterminés à sauver l’année universitaire pour «faire échec aux tentatives de sabotage de ceux qui ont misé sur l’année blanche», selon la formule utilisée par l’un des participants au débat. Ils ont salué l’appel émanant de 130 universitaires, d’intellectuels, d’artistes et de personnalités de la société civile pour la constitution d’un comité de défense des valeurs universitaires et de soutien à la FLAHM. Cet appel a été mis en ligne sur le site Pétitions 24 et on peut y accéder en utilisant le lien : http://www.petitions24.net/appel_pour_la_defense_des_valeurs_universitaires.
Le conseil scientifique, convoqué pour une session ordinaire, a examiné les derniers développements de la situation. Il a fustigé la recrudescence de la violence et il a recommandé la poursuite des négociations tout en recommandant à la délégation des négociateurs le respect des fondamentaux qui régissent les activités pédagogiques et la vie universitaire.
Habib Mellakh, universitaire, syndicaliste.
Département de français, Faculté des Lettres de la Manouba (Tunisie)

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