Réponse au professeur Alain Bentolila

Par Fatima Tlemsani – Le Pr Bentolila ayant exprimé du mépris (ou plutôt déguisé en tel) pour ma personne, je mettrai moins de gants que pour mon premier article. Dans celui-ci, je me suis forcée à en cacher l’extravagance.
De l’expression d’une colère au mystère d’une contribution

Par Fatima Tlemsani – Le Pr Bentolila ayant exprimé du mépris (ou plutôt déguisé en tel) pour ma personne, je mettrai moins de gants que pour mon premier article. Dans celui-ci, je me suis forcée à en cacher l’extravagance.
De l’expression d’une colère au mystère d’une contribution
A l’article dans lequel je l’invitais à réfléchir à un certain nombre d’arguments opposés à la solution linguistique qu’il propose à l’Algérie, le Pr Bentolila me répond par un article dont le premier trait est celui-ci : alors que je n’ai pas cessé de me référer à lui avec les formules «le Pr Bentolila» ou «le linguiste Bentolila», il m’adresse tout un article sans citer une seule fois mon nom. «Tlemsani» lui a-t-il paru un peu trop éloigné de ce créole qu’il pourrait désirer voir officialiser à partir du lexique «casrona », «marméta », «tricinti», «tonombile», «forchéta», «jornane», «tabla», «zoufri», «biceklette», «cousina»… ? Je comprendrais si l’objectif est d’arriver, à plus ou moyen terme, à confirmer la thèse d’Eric Zemmour selon lequel l’Algérie n’existait pas avant d’être créée par la France. Je comprendrais s’il s’agit de ne pas éloigner l’Algérie, dont le passé remonte jusqu’à plus loin que Dihia, Massinissa et Yughurtha, de ces îles où vivent les descendants d’esclaves remontant au temps des négriers et des chasseurs de peaux noires. Il est vrai que l’arabe littéral ou le berbère laisserait plus de traces d’une Algérie ayant bien existé avant 1830. Que le professeur veuille bien relever que dans mon article je me suis imposé de ne faire aucun lien avec le fait que l’un de ses deux terrains de prédilection est le créole des Iles. M. Bentolila me répond sans daigner, non plus, utiliser une seule fois «Mme», «Melle», «l’universitaire». Il a le droit de regretter éventuellement la Relizane de 1949 où il est né français après être passé de l’autre côté de la barrière (suite au décret Crémieux) et où moi je serais née indigène. Mais comme, entre autres, rien ne certifie que la question de la langue scolaire relève plus de la linguistique que de la psychopédagogie, qu’on ne m’interdise pas d’écrire contre une position qui pourrait choquer certains des plus incontestés parmi les linguistes de la planète. Nombre de juifs d’Algérie ont continué à aimer leur terre d’origine après l’avoir quittée et ceux qui en avaient la possibilité, intellectuels ou artistes par exemple, l’ont manifesté. M. Bentolila a écrit des dizaines d’articles, il s’est même lié avec le Maroc et a écrit dessus, mais rien sur l’Algérie. Puis subitement, un jour, il se prononce sur une des questions les plus centrales pour un Etat et pour une nation, à savoir la langue officielle. La volonté (avouée ?) des deux premières classes du primaire est bouleversée : l’«arabe algérien» doit devenir la langue du pays, en remplacement de l’arabe littéral. Oubliant qu’il s’adresse à un Etat et que la question relève de la Constitution, l’auteur va jusqu’à pratiquement déclarer que la ministre de l’Education nationale devrait en prendre la décision. Est-ce en France que ça se passe ainsi ou c’est une spécificité de l’Algérie ? Je n’ai rédigé mon premier article que parce que cette publication des moins inattendues m’a troublée. Mon problème aujourd’hui est de comprendre qu’une petite armée était prête dès la sortie de l’article pour en assurer l’apologie (el-madh) et la protection contre les «réactionnaires anti-darija» de tous bords et les ennemis de l’Algérie. Mme Tlemsani, pour des raisons que je tais, était attendue. Des enseignants transformés en animaux féroces étaient là pour insulter, diffamer et menacer tout ennemi de la révolution «darijiste».
Une réponse absolument vide
M. Bentolila s’était tellement mal préparé à cette promotion de la darija qu’il n’a pas réussi à répondre à un seul de mes contre-arguments. Même pas essayé ! Je lui ai opposé deux arguments fondamentaux sans le traitement desquels aucun dialecte au monde ne peut être mûr pour l’âge de l’écriture. En deuxième argument, je lui ai reproché une confusion entre langue maternelle et langue orale, exacerbée par des propos effarants auxquels j’ai répondu : «Si j’ai bien compris, dans le cas des Algériens et de leur langue, pour s’élever intellectuellement, il faudrait utiliser la langue de la rue et de la complaisance que le milieu familial et les parents ont naturellement avec le tout jeune enfant. Quant à la langue la plus travaillée, la plus améliorée et la plus structurée, elle serait la langue de l’abrutissement. Le Pr Bentolila sait-il que le rapport de "l’arabe algérien" à l’arabe classique est un rapport qui lie à l’intérieur d’une même langue une expression parlée à la forme écrite ?» Sa réponse est un silence total. En troisième argument, je lui ai demandé de quel «arabe algérien» il parlait, en relevant avec détail l’immense diversité de l’arabe parlé en Algérie (sans compter le berbère) ; j’y ai été si radicale que je me suis résumé par «l’arabe de l’écrit a rapproché linguistiquement les Algériens». Il n’y réagira pas, ne serait-ce que par un mot. Silence de mort. En quatrième argument, je fais ressortir une contradiction fondamentale de son discours en résumant son explication de la faillite de l’école algérienne : «Ainsi, une langue (arable littéral) qui constitue la base et forme la partie la plus large – dans la phonétique, dans la grammaire et dans le vocabulaire – de la propre langue (arabe algérien) de l’élève, celle qu’il entend depuis sa naissance et qu’il parle presque aussi bien qu’un adulte (selon les plus grands spécialistes à travers le monde) à la veille d’entrer à l’école élémentaire, a causé un genre d’illettrisme déguisé. Mais pour y remédier, il faudra enseigner à l’enfant berbérophone une langue qui n’a absolument rien à voir avec la sienne.» Pas un seul mot, mais un geste d’attention diplomatique qui constate la contradiction : «Elle est, s’oblige-t-il à relever, encore pire pour le petit berbérophone qui doit franchir une triple barrière : arabe dialectal, puis arabe classique, puis français». Le fait est que la diplomatie ne résout pas la contradiction. Le Pr Bentolila n’avait tellement pas de réponses, pas de défense, à m’opposer qu’il a exprimé cette gêne par le mépris (ou colère déguisée en mépris) qu’il a eu pour ma personne (voir ci-haut). Plutôt que liée à un fait de compétence, cette incapacité est liée à l’extravagance de la thèse (projet pour l’Algérie) qu’il a voulue ou qu’on lui a commandé de défendre.
Une fuite en avant à donner le vertige
En vérité, la réponse de M. Bentolila pêche par bien plus grave. Il ne se contente pas de ne pas répondre. S’étant obligé (ou ayant été obligé) de me répondre, il doit remplir un texte et occuper le lecteur. Alors qu’il ne pouvait rien me dire, il s’enfonce en remplissant un vide argumentaire. Il se lance dans les problèmes de la francophonie et le résultat (surréel) en est que l’arabe littéral est étranger au petit «darijophone» algérien (distinct du berbérophone), parce que le français est étranger au créole du petit Haïtien et étranger au wolof (ou au sérère) du petit Sénégalais : «La tragédie du petit Sénégalais, nous surprend-il, est la même que celle du petit Algérien brutalisé par une école en arabe classique.» Qui peut y voir autre chose que de quoi être choqué. Mais n’y a-t-il pas toute une partie d’Algériens, très peu nombreux certes, que ceci semble avoir convaincue ? Certainement, puisque j’ai dit que la contribution de M. Bentolila a été commandée et que je l’ai appris à mes dépens.
Une lourde accusation : ce que je n’ai jamais dit
Le professeur m’accuse d’avoir déclaré que pour se permettre d’écrire l’article que j’ai critiqué, il aurait fallu qu’il soit algérien et en même temps arabophone : «Ainsi, donc, écrit-il, il faudrait être Algérien et arabophone pour être autorisé à analyser les contradictions de la politique linguistique algérienne.» Qu’il veuille bien m’indiquer où j’ai tenu un tel propos et qu’il fixe le lecteur ! Une telle accusation ne se contente pas faire à de moi une barbare au XXIe siècle, ce qui est suffisant pour gagner un lectorat contre un autre. Dans cette soudaine et mystérieuse euphorie pour la darija, époque où il suffit de prendre quelque recul pour être insulté comme le pire des «intégristes» et des «baathistes», l’accusation est bien plus forte. Donc, s’il ne précise pas ses références, je n’y verrais plus que le signe d’un manque d’honnêteté intellectuelle. A cet argument barbare que je lui aurais opposé, il répond avec ironie : «Et (faudrait-il) – pourquoi pas ? – être femme pour oser parler de parité ou encore être sourd pour travailler sur la langue des signes ?» Cette réponse est aussi dénuée de sens que le fait de me faire dire que pour défendre la darija, il faudrait être la darija elle-même. Ai-je tenu un tel propos ? Professeur, je n’ai jamais écrit que pour défendre la femme, il est obligatoire d’être une femme, et la preuve en est que je n’ai jamais cru que pour défendre les éléphants, il faudrait se métamorphoser en éléphant. De même, comme je n’ai jamais défendu l’idée selon laquelle il faudrait être un végétal pour devenir botaniste, je ne peux pas avoir dit qu’il faudrait être sourd pour travailler sur la langue des signes. Le Pr Bentolila qui est un linguiste, honneur que je n’ai pas, devrait faire un peu plus attention à son usage linguistique, lui qui sait certainement mieux que moi ce que parler veut dire.
Une lourde accusation : ce que j’ai dit
Par contre, le professeur serait d’accord avec moi pour dire qu’on ne peut défendre la parité entre hommes et femmes si on ne sait pas ce que signifie «homme» et «femme». C’est pour cette raison qu’on n’a jamais vu un chat assurer une telle défense ou une baleine prendre position dans la question de la langue des signes. Or, ce n’est qu’en partant de cette indiscutable évidence que je me suis permis de demander au professeur s’il parle quelque peu les deux langues dont il traite dans son article. Cette question m’a paru opportune d’autant plus que M. Bentolila est si certain de son savoir qu’il ne prend pas le moindre gant pour déclarer que s’il avait été le ministre algérien de l’Education nationale en 1962, il n’aurait pas hésité une seconde à faire de l’«arabe algérien» – qui est, je persiste à le dire et je signe, une langue d’abord orale – la langue de l’enseignement et la langue officielle. Tout cela et dès 1962, sans même laisser quelques années durant lesquelles on continuerait à vivre avec la langue française, le temps de laisser quelques spécialistes œuvrer à la transformation d’une langue orale en une langue de l’écriture. Le Pr Bentolila est choqué que je lui demande s’il possède la plus minuscule maîtrise de la langue qu’il nous conseille et de celle qu’il voudrait nous voir jeter aux oubliettes. Tout le monde serait d’accord pour dire qu’on ne doit avoir le droit d’ouvrir un cabinet de cardiologue que si après sept ou huit ans de médecine générale on a passé quelques années à apprendre la science du cœur. Personne ne serait choqué si j’écrivais que pour donner un avis d’expert sur la langue des signes, il faudrait d’abord savoir ce qu’est la surdité et ce qu’est l’absence de surdité. Tout ceci ferait une unanimité universelle. Mais il est outrageant, sacrilège, de demander ce qu’il sait des langues A et B à un expert qui dit à l’Algérie : «Prenez la langue A et jetez aux oubliettes la langue B.» Le sujet est tellement faussé et sa discussion est tellement aveuglée par des considérations qui lui sont étrangères que ce n’est pas simplement le Pr Bentolila qui s’en trouve choqué. Non ! Ce sont des commentateurs algériens (armée protégeant la darija) qui feignent (pour la cause) de se montrer si outrés qu’ils insultent, diffament et menacent le questionneur. C’est ainsi que des commentateurs en service ont agi avec moi. Suffirait-il que l’expert ait publié sur les langues créoles et l’illettrisme pour qu’il puisse nous proposer d’opter entre l’arabe littéral ou la darija ? Où allons-nous ? Où va l’Algérie ? Comment peut-on réformer l’école, pour ne pas dire la sauver, dans de telles conditions (de débat) ? Mais cet argument n’a plus aucune importance vu que M. Bentolila a esquivé et la diversité du «parler algérien» et la confusion entre langue maternelle et langue orale.
F. T.
Université Djilali-Liabès

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